COURTADE Pierre [COURTADE-CABESSANIS Pierre, Henri, dit]

Par Alexandre Courban

Né le 3 janvier 1915 à Bagnères-de-Bigorre (Hautes-Pyrénées), mort le 14 mai 1963 à Paris (XIXe arr.), professeur d’anglais, puis journaliste au Progrès de Lyon (1939), à Action (1944-1946) et à l’Humanité (1946-1963) ; écrivain ; élu membre du comité central du PCF (1954).

Notre connaissance de la vie de Pierre Courtade jusqu’à la Libération de la France (1944-1945) est très lacunaire.

Bien que d’origine modeste – son père fut employé des Postes – Pierre Courtade était inscrit en classe préparatoire au lycée Lakanal à Sceaux (Seine, Hauts-de-Seine) où il sympathisa avec Jean-Toussaint Desanti et Pierre Hervé.

En 1935, il se rendit en Union soviétique pour la première fois de sa vie. Ultérieurement, il se félicita de n’être devenu communiste qu’après ce voyage : « Je le dis très simplement, je l’ai souvent dit à Maurice [Thorez] d’ailleurs, et bien... je suis très content d’être devenu communiste après, parce que si je m’étais laissé aller simplement aux impressions, comment dirais-je, extérieures et sensibles, et bien certainement... la vie en Union Soviétique ne ressemblait nullement à ce que décrivait à l’époque même notre revue France-URSS ou l’équivalent  » (intervention lors du comité central du 22 juin 1956).

Deux ans plus tard, il se maria avec Eugénie Roffmann, fille d’un vieux bolchevik ; ils se séparèrent par la suite. D’abord professeur d’anglais dans un collège privé à Nantua (Ain), il abandonna ensuite l’enseignement au profit d’un emploi au sein de la rédaction du Progrès de Lyon en tant que rédacteur des pages départementales jusqu’à la déclaration de la Seconde Guerre mondiale. Au lendemain de la signature de l’armistice, il occupa des responsabilités au sein d’un mouvement para-scout vichyssois qu’il quitta rapidement pour rejoindre la revue Confluences dirigée par René Tavernier. Au cours de cette période, Pierre Courtade fréquenta de nombreux écrivains, ce qui, d’après l’historien Jean Vigreux, « renforça à la fois son talent mais aussi ses convictions ». Résistant, arrêté par la Gestapo le 6 juin 1944, il parvint à s’échapper.

À la fin de l’année 1944, après un bref passage au sein de l’Agence France presse (AFP), il intégra la rédaction du journal Action où il retrouva de nombreux intellectuels communistes comme Pierre Hervé, Roger Vailland, Edgar Morin*, Victor Leduc, Maurice Kriegel-Valrimont ou encore Claude Roy.

Au début du mois de juillet 1946, le secrétariat du PCF décida qu’il fallait orienter Pierre Courtade vers la rubrique internationale de l’Humanité. Quinze jours plus tard, ce dernier intégra la rédaction du quotidien communiste où il occupa successivement plusieurs fonctions : journaliste, chef de service, grand reporter, correspondant à l’étranger, éditorialiste. Au cours de ce même mois de juillet 1946, Pierre Courtade adhéra au PCF dont il n’était toujours pas membre.

Chargé de suivre les évolutions de la situation internationale, Pierre Courtade consacra une part importante de son travail de journaliste diplomatique à exposer les initiatives du gouvernement soviétique en matière de politique étrangère. Il s’employa également à suivre au plus près la politique extérieure des États-Unis où il séjourna à plusieurs reprises. En parallèle, il fut régulièrement dépêché par l’Humanité pour assister aux principales conférences internationales, ou bien encore pour rendre compte des sessions de l’Organisation des Nations Unies (ONU). Non seulement Pierre Courtade était « autorisé à se rendre à la session de l’ONU comme journaliste de l’Humanité », déclarait le secrétariat, mais le directeur adjoint du quotidien, Étienne Fajon, fut prié au début du mois de novembre 1954 de lui « rappeler [...] qu’il [Pierre Courtade] doit se rendre à l’ONU comme journaliste de l’Humanité  ». Son « câble  » de New-York paraissait alors spécialement attendu. Parmi les nombreux sujets à caractère diplomatique que Pierre Courtade abordait dans les articles qu’il écrivait dans l’Humanité, deux thèmes étaient prédominants : les relations Est-Ouest d’une manière générale et plus particulièrement les relations franco-allemandes.

Par ailleurs, le responsable de la rubrique internationale du quotidien communiste fut invité à plusieurs reprises à présenter les changements que connaissaient les démocraties populaires européennes. C’est ainsi que pour la seule année 1949, l’Humanité publia tour à tour son appréciation de la situation en Yougoslavie, en Pologne, en République démocratique allemande, en Hongrie et en Bulgarie. Son engagement idéologique, en particulier contre le « titisme », ne laissa alors pas de place au doute.

Pierre Courtade réalisa aussi de nombreux reportages à l’étranger, parcourant la plupart des continents, à l’exception de l’Océanie. Son séjour en République populaire de Chine à la fin de l’année 1952, suivi d’une incursion clandestine en Indochine dans les rangs du Viet minh, fut l’objet de multiples attentions, aussi bien avant qu’après son séjour. « Chargé de rendre compte de son voyage » devant les membres du bureau politique à la fin du mois de janvier 1953, la direction du PCF confirma ensuite son « accord pour que l’Humanité éditât l’enquête de Courtade sur la Chine Nouvelle  ». Quelques semaines plus tard, un supplément illustré du quotidien communiste de quatre-vingts pages fut édité. En outre, l’éditorialiste de politique étrangère s’employa à dénoncer la guerre d’Indochine (1945-1954), puis la guerre d’Algérie (1954-1962).

Pour le reste, Pierre Courtade traita également de politique intérieure, surtout après le retour de De Gaulle au pouvoir en 1958. C’est ainsi qu’il consacra plusieurs de ses articles à la « défense de la République » (mai 1958) ou bien encore à plaider en faveur du « non » lors de la campagne référendaire à propos de la nouvelle constitution proposée par le chef de l’État en septembre 1958. Au demeurant, Pierre Courtade proposa en 1959 aux lecteurs de l’Humanité-Dimanche un « tour d’horizon  » - d’après le titre même de sa rubrique dans les colonnes de l’hebdomadaire - sur la politique de la France.

Au printemps 1960, la direction du PCF donna son feu vert « pour que Pierre Courtade devienne correspondant de l’Humanité à Moscou  » où il rejoignit Max Léon déjà en poste. Quatorze ans après, jour pour jour, son entrée à l’Humanité, l’ancien chef du service de politique étrangère du quotidien communiste, remplacé à la fin de l’année 1955 à la direction de la rubrique internationale par Yves Moreau*, « probablement considéré comme plus apte à suivre la ligne politique » (d’après le témoignage de Jacques Coubard), fut promu à un nouveau poste de responsabilité, non seulement journalistique mais aussi politique.

En même temps qu’il fut amené à exercer sa profession de journaliste à l’Humanité, Pierre Courtade se vit simultanément confier d’importantes fonctions au sein du PCF.

Quelques semaines seulement après son entrée en fonction au sein de la rédaction de l’organe central du parti, Pierre Courtade fut désigné dès la fin du mois de juillet 1946 comme l’un des sept membres de la nouvelle section de politique extérieure auprès du comité central animée par Marius Magnien*, et directement placée sous la direction de Maurice Thorez*. Sa « participation  » fut « confirmée  » une seconde fois en 1955. Le spécialiste des questions étrangères était également régulièrement « invité  » à participer aux réunions du bureau politique, soit pour entendre le rapport de tel ou tel dirigeant relatif à la situation internationale, soit pour y être « entendu  » à la suite d’un de ses séjours à l’étranger.

À l’occasion du XIIIe congrès du PCF (Ivry-sur-Seine, 3-8 juin 1954), Pierre Courtade fut élu membre du comité central. À défaut d’intervenir systématiquement à toutes les sessions de l’organisme dirigeant du PCF - on compte moins de dix réunions où Pierre Courtade s’exprima sur près de soixante de 1954 à 1963 -, ses prises de parole donnaient à entendre un dirigeant politique qui n’hésitait pas à interroger le passé pour appréhender la réalité dans sa complexité en particulier tout au long de l’année 1956 (XXe congrès du PCUS, événements de Hongrie, etc.) : « Comprendre le mécanisme de ce qui s’est passé en URSS  » est indispensable (intervention lors du comité central du 22 juin 1956). De son point de vue, « il est vain et dangereux de passer sous silence les difficultés  » (intervention lors du comité central des 20 et 21 novembre 1956) ; il est alors nécessaire de « revenir vers le passé pour aller vers l’avenir  » (intervention lors du comité central des 4 et 5 juillet 1957).

Ces interventions lui valurent bon nombre de reproches. Il fut accusé, sinon d’utiliser les mêmes arguments que les « opportunistes  » (intervention de Georges Marchais* lors du comité central des 20 et 21 novembre 1956 ; intervention d’André Voguet* lors du comité central des 4 et 5 juillet 1957), du moins de « pinailler  » sur tel ou tel aspect (intervention de Victor Michaut*). Et le secrétaire général du PCF - malgré tout bousculé par quelques-uns de ses propos - n’hésita pas à sévèrement tancer Pierre Courtade qu’il accusait de « récidive  » dans un silence assourdissant : « Quand un camarade - un rédacteur de l’Humanité - ergote sur ces choses, je dis que ce camarade n’a pas raison et qu’il n’est pas d’accord avec la ligne du Parti.  » (intervention de Maurice Thorez* lors du comité central des 4 et 5 juillet 1957). Toutefois, Pierre Courtade semblait particulièrement apprécié de ses camarades, y compris des autres membres du comité central avec lesquels il plaisantait volontiers.

Par ailleurs, la direction du PCF lui reconnut une position particulière en tant qu’écrivain, comme en atteste cette décision prise en janvier 1948 par le secrétariat du PCF de lui « accorder un congé d’un mois pour la préparation de son livre  ». Au total, Pierre Courtade écrivit une dizaine d’ouvrages où se mêlaient à la fois fiction et réalité. La plupart de ces ouvrages furent édités par des maisons d’éditions liées au PCF, comme la Bibliothèque française, ou bien les Éditeurs français réunis, ou encore les Éditions sociales.

Son premier ouvrage de fiction - Les Circonstances - est un recueil de nouvelles édité à la fin du mois de janvier 1946. Elseneur, son deuxième ouvrage de fiction, un roman, fut publié en 1949, et, comme le premier, par la Bibliothèque française. Les deux livres suivants furent édités par les Éditeurs français réunis : dans l’un - Jimmy (1951) - Pierre Courtade dénonce la nature du communisme yougoslave assimilé au « phalangisme », autrement dit au fascisme ; quand dans l’autre- La Rivière Noire (1953) -, le responsable de la rubrique internationale de l’Humanité accuse l’Armée française en Indochine de complaisance à l’égard des « ex-nazis de la Légion étrangère  ». Par la suite, Pierre Courtade publia encore deux autres ouvrages de fiction mais cette fois hors du réseau des maisons d’édition communistes. L’un en 1956, son second recueil de nouvelles, Les Animaux supérieurs ; l’autre, un roman, en 1961, La Place rouge. Un ultime roman fut édité à titre posthume en 1997 par le Temps des Cerises, Le Jeu de paume.

Confronté en 1962 à plusieurs drames personnels, en particulier la disparition de l’un de ses enfants, Pierre Courtade décida de quitter Moscou à la fin du mois d’avril 1963 ; son successeur – Jean Kanapa – était déjà désigné. Quinze jours après son retour à Paris, il fut hospitalisé et mourut des suites de complications cardiaques.

Profondément tourmenté par tous les événements de l’année 1956 - « Entre trop insister et ne rien dire, il y avait une voie juste à trouver et elle est à rechercher » (intervention lors du comité central des 20 et 21 novembre 1956) - la figure de Pierre Courtade, « qui avait l’admiration de la rédaction pour son talent et son entrain » (témoignage de Jacques Coubard), n’est pas sans rappeler celle de Paul Vaillant-Couturier ou bien de Gabriel Péri.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article20925, notice COURTADE Pierre [COURTADE-CABESSANIS Pierre, Henri, dit] par Alexandre Courban, version mise en ligne le 25 octobre 2008, dernière modification le 7 août 2022.

Par Alexandre Courban

ŒUVRE : Les Circonstances, La Bibliothèque Française, 1946, 224 p. [réédité avec des illustration de Pignon en 1954]. — Essai sur l’antisoviétisme, Éd. Raison d’être, 1946, 160 p. — Elseneur, La Bibliothèque Française, 1949, 271 p. — L’Albanie. Notes de voyages et documents, Éd., 1950, 96 p. — Jimmy, EFR., 1951, 359 p. — Meurtre à Athènes : l’assassinat de Nicos Beloyannis et de ses compagnons (en collaboration avec Claude Roy), SEDIC, 1952, 63 p. — La Rivière Noire, EFR, 1953, 205 p. — Les Animaux Supérieurs, Julliard, 1956, 255 p. — Écrits pour la République, PCF, 46 p., 1958. — Khrouchtchev inédit, Éd. sociales, 1960, 33 p. — La Place Rouge, Julliard, 1961, 325 p. — Le jeu de paume, le Temps des Cerises, 1997, 191 p.

SOURCES  : Arch. comité national du PCF déposées aux Arch. Dép. Seine-Saint-Denis. — Arch. de la documentation du journal l’Humanité. — Chorus, automne 1965. — Entretien avec Jacques Coubard. (Signalons par ailleurs qu’il existe un fonds d’archives Pierre Courtade déposé à l’Institut du monde et de l’édition contemporain (IMEC). — Paul Aron, « Être ou ne pas être réaliste socialiste : l’exemple d’Elseneur de Pierre Courtade », Sociétés & Représentations, n° 15, décembre 2002, p. 217-228. — Frédérique Matonti, « "Il faut observer la règle du jeu". Réalisme socialiste et contrebande littéraire : La Place rouge de Pierre Courtade », Sociétés & Représentations, n° 15, décembre 2002, p. 293-306). — Notes de Jean Vigreux.

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