BENCHENNI Yamina

Par Jean-Paul Salles

Née le 6 octobre 1960 à Cannes (Alpes-Maritimes) ; éducatrice spécialisée, travailleuse sociale, militante féministe et militante antiraciste, une des initiatrices de la Marche pour l’égalité et contre le racisme partie de Marseille en 1983.

Née à Cannes dans une famille de 10 enfants (5 filles et 5 garçons) originaire d’Algérie. Son père, orphelin très jeune, né dans un village de la région de Mostaganem, arriva en France en 1939 pour trouver du travail. Chauffeur-mécanicien auprès d’un officier français, ce qui lui permit de parler très tôt le français, il était initialement personnel civil. Basculé dans le personnel militaire, en 1944 il participa au débarquement sur la Côte d’Azur. Il combattit les Allemands tout d’abord à Marseille (à la Joliette), puis dans la vallée du Rhône, il fut blessé à Valence. Avec son régiment, il poursuivit les soldats allemands jusqu’à Berlin où il fut de nouveau blessé. Ensuite il fut envoyé en Indochine quand débuta la guerre en 1946. Sérieusement blessé, sa famille décida qu’il devait quitter l’armée. Rendu à la vie civile, il travailla comme jardinier à la ville de Cannes. Ayant maintenu le contact avec ses frères et sa sœur restés en Algérie, il leur envoya régulièrement de l’argent dans le but notamment de tenter de récupérer, en vain, la terre de leur père dont s’était emparé un colon. Dès le début de la Guerre d’Algérie, il versa une cotisation au FLN. Deux frères de la mère de Yamina, Slimane Khadija, furent des combattants, des moudjahidines, morts pour l’indépendance de l’Algérie.
Yamina commença sa scolarité à l’école primaire du vieux Cannes, et la poursuivit à Marseille, à l’école de Servière, quand ses parents s’installèrent dans cette ville alors qu’elle avait 9 ans. Après avoir passé leur premier hiver dans le bidonville de Saint Barthélémy, ils furent ensuite logés dans une cité de transit, la cité Bassens, dite la Terre rouge, habitée par des Arabes et des Tsiganes. Elle poursuivit ses études au Collège Albert Camus, mais chaque été sa famille revenait en Algérie. Ses cousin.e.s s’étonnaient de sa bonne connaissance de l’arabe, la langue parlée quotidiennement dans la famille et dans la cité, le français n’étant utilisé qu’à l’école. Très sensible à l’injustice dont étaient victimes les immigrés venus d’Algérie, inquiète aussi de la montée des crimes racistes dans le Midi de la France et de l’insécurité qui en résultait pour la famille – un des oncles maternels de Yamina, Slimane Djilali, marié à une française et père de deux enfants, Sabine et Djilali, fut tué à Narbonne -, son père décida de ramener sa famille en Algérie dans son village natal, Ain Sidi Cherif. Ainsi, Yamina, à l’âge de 14 ans, se retrouva bergère, responsable d’une vache, étant trop grande pour aller à l’école. Ils vécurent dans la pauvreté certes mais au moins, remarque Yamina avec le recul, « on n’avait plus peur d’être tués par un Français ». Cependant, l’Algérie indépendante déçut beaucoup son père, il ne parvint pas à obtenir l’emploi de garde-champêtre espéré et dut payer un loyer très élevé pour la maison occupée, une maison magnifique ayant appartenu à un Français. Au bout de 18 mois, il décida donc de ramener sa famille à Marseille. La situation professionnelle de son père ne fut pas extraordinaire, de chômage en petits boulots, mais Yamina put reprendre ses études. Admise à l’École de formation professionnelle de la Calade (aujourd’hui Lycée des Métiers de la Mode et du Tertiaire), elle obtint un Bac Secrétariat, puis elle poursuivit ses études à la Faculté tout en travaillant pour gagner sa vie. Elle obtint une Licence Administration économique et sociale (AES) et son diplôme d’Éducatrice spécialisée. Elle commença à travailler en 1981 dans la Cité des Flamants.
Tout en mettant ses compétences, comme travailleuse sociale, au service des plus pauvres, elle militait contre le racisme. Au moment où elle entrait dans la vie professionnelle, un jeune homme de 17 ans, Lahouari Benmohamed, français d’origine marocaine, était tué le 18 octobre 1981 par un CRS lors d’un contrôle routier dans les quartiers Nord de Marseille. Avant de le tuer, le policier Jean-Paul Taillefer avait grommelé « Ce soir j’ai la gâchette facile ». Ceci explique le titre que le frère de la victime, Hassan Benmohamed, lui-même devenu policier, donnera à son livre écrit bien des années plus tard : La Gâchette facile (2015). Tout au long de l’année 1983 se succédèrent à Marseille des attentats, revendiqués notamment par le groupe Charles Martel, dont les maghrébins étaient la cible. Enfin, la montée du Front national, révélée notamment par l’entrée d’un dirigeant national de ce parti, Jean-Pierre Stirbois, dans la majorité municipale à Dreux (Eure-et-Loir) révélait le succès des idées d’extrême droite. Ayant obtenu 16,7% des voix au premier tour aux élections municipales de mars 1983, il fusionna sa liste avec celle du RPR au second tour. La coalition droite-extrême droite ayant remporté les élections, il devint adjoint au Maire RPR Jean Hieaux. Après l’élection de François Mitterrand en 1981, à Marseille des jeunes avaient créé Radio Gazelle. Ils s’impliquèrent dans l’organisation de la Marche pour l’égalité et contre le racisme. Parmi eux se trouvait Yamina Benchenni et sa sœur Fatima. Partie de Marseille le 15 octobre, la Marche rencontra le succès, prenant de l’ampleur lors sa route vers Paris où elle arriva le 3 décembre. En 1984, elle fut une des fondatrices du Forum Justice pour que les procès des crimes racistes aient lieu aux Assises et non devant un Tribunal correctionnel. La même année, avec Hanifa Taguelmint et Fatima Benchenni, elle créait l’Association des femmes maghrébines en action (AFMA). C’est dans ce contexte qu’elle rencontra les militants d’extrême gauche de Marseille eux aussi très engagés dans la lutte contre l’extrême droite et le racisme, tout d’abord Samy Johsua (un des fondateurs du groupe Révolution !) puis Pierre Godard (de la LCR) qui allait devenir son mari.
Après 1983, membre du Comité de soutien à la famille Benmohamed, elle participa au soutien judicaire de la famille. Plus largement, dans le cadre du Centre social des Flamants, son poste étant financé par le Conseil général dans le cadre de ses missions en faveur des publics jeunes en grande difficulté, elle se mobilisa pour aider les familles – souvent mères seules élevant des enfants – expulsées de leur logement pour ne pas avoir pu payer leur loyer. Elle fut très impliquée aussi dans l’aide aux jeunes en danger, guettés par la délinquance et la toxicomanie. Elle encouragea des activités culturelles en collaboration avec le Théâtre du Merlan proche. Des jeunes furent initiés au théâtre et se déplacèrent vers les banlieues de Lyon notamment, avec lesquelles des liens avaient été tissés. Mais au fléau de la drogue s’ajouta celui du Sida. Donc en 1990, elle fut partie prenante de l’association les Amis de l’Espoir qui, à la demande des familles, mit en place un dispositif « Point écoute Jeunes Parents ».
Mais de nouveau sa famille fut frappée par le malheur. C’était le 2 février 1990. Un sympathisant du Front national, Christian Vancheri, jeune homme de 23 ans d’origine italienne, s’étant fait voler sa mobylette, il décida de se faire justice lui-même. Alcoolisé et sous l’emprise du cannabis il se lança dans la ville à la recherche de personnes d’origine africaine ou maghrébine. C’est ainsi qu’il tira sur son frère Hamida Benchenni et sur un homme d’origine kabyle. Il s’appelait Alain. : « Me demandant s’il était « français », je me suis rendu à l’hôpital de la Timone, où ils étaient en soin intensif avec mon frère. En fait, je découvris qu’il était fils de harki » (Entretien, 2018). Vancheri avait tué deux hommes et blessé une femme noire antillaise, au hasard de sa déambulation, « au faciès ». Hamida, le frère de Yamina, avait 45 ans et était père de 4 enfants, sa veuve donnant naissance à un cinquième enfant peu après la mort de son mari. Aussitôt après les faits, les policiers étaient persuadés que ces meurtres étaient liés à « la guerre des cliniques », une sordide affaire de droit commun, mêlant élus et malfrats. À un brigadier de l’Évêché (le Commissariat central) très sûr de lui, Yamina répondit « un arabe mort est toujours un mort suspect » (Entretien, 2018). En effet le 16 janvier 1990, venait d’intervenir l’assassinat du Docteur Jean-Jacques Peschard, élu des 13e-14e arrondissement, lié à l’affaire de la Polyclinique Nord de Marseille. L’enquête prouvera que ces meurtres n’avaient rien à voir. Reconnu coupable, le meurtrier raciste fut condamné à 20 ans de réclusion criminelle avec obligation de soins psychiatriques. Il se donna la mort en détention.
Plus récemment, Yamina, elle-même mère de deux enfants Joris et Sara Godard, créa le Collectif du 1er juin 2013 qui fit 23 propositions pour aider les familles, les mamans seules, à faire face aux problèmes découlant du trafic de drogue et de l’addiction à ces produits. Même si Christiane Taubira semblait les avoir entendues, le manque de moyens n’a pas permis de lutter efficacement contre les commanditaires de ce trafic. Dans la lignée de ses multiples engagements, Yamina Benchenni accepta de figurer, avec 6 autres militant.e.s syndicaux et associatifs sur les listes de Front de Gauche, aux élections municipales de Marseille en 2014., en tant que membres de la société civile.

Elle a témoigné dans l’exposition Genre, immigration et engagement, réalisée par Samia Chabani, co-organisée par l’association AncrAges, dédiée à l’histoire et aux mémoires des migrations en Provence-Alpes-Côte d’Azur et les Archives départementales des Bouches-du-Rhône. Elle a accepté que soient utilisés son histoire et son parcours de vie comme témoignage, montrant le rôle qu’une femme immigrée peut jouer dans la vie civique et sociale, ce qui est trop souvent occulté.
En liaison avec le Ministère de l’Éducation nationale, elle a participé ainsi à la lutte contre les discriminations

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article209266, notice BENCHENNI Yamina par Jean-Paul Salles, version mise en ligne le 3 décembre 2018, dernière modification le 18 mai 2020.

Par Jean-Paul Salles

SOURCES : Entretiens téléphoniques avec Yasmina Benchenni les 21, 28 novembre et 2 décembre 2018. — Hassan Benmohamed, La Gâchette facile, Paris, Max Milo, 2015. — Gérard Noiriel, Immigration, antisémitisme et racisme (XIXe-XXe siècle). Discours publics, humiliations privées, Fayard, 2007. — Hajjat Abdellali, La Marche pour l’égalité et contre le racisme, Éditions Amsterdam, 2013. — Rachida Brahim et alii, « L’antiracisme politique à Marseille, 1968-1983 », in Olivier Fillieule et Isabelle Sommier, dir., Marseille années 68, Les Presses de Sciences-po, 2018, p.315-376. — « On n’arrivera à rien sans les habitants », Interview de Yamina Benchenni par L’Obs, 25 août 2013 — « Municipales Marseille, le Front de Gauche joue l’ouverture », in L’Humanité, 27 janvier 2014 — Francetvinfo.fr : Marseille, vivre à la Busserine (quartiers Nord), 23 mai 2018 (après la fusillade du 21 mai) — « Éduquer contre le racisme et l’antisémitisme », Interview de Yamina Benchenni menée par Abderahmen Moumen le 26 août 2013, à Marseille., en ligne. — Notes Angelique Benchenni.

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