ZAY Jean Élie Paul

Né le 6 août 1904 à Orléans (Loiret), assassiné par la Milice le 20 juin 1944 à Molles (Allier) ; député radical-socialiste, ministre de l’Éducation nationale.

Fils d’un journaliste juif originaire de Metz, Léon Zay (âgé de 29 ans en 1904), directeur du journal radical-socialiste Le Progrès du Loiret et secrétaire greffier du conseil des prud’hommes et d’une institutrice protestante originaire de la Beauce, Alice Lucie Chartrain (âgée de 25 ans en 1904), Jean Zay est né au domicile de ses aïeuls maternels 19 rue du Parc à Orléans (Loiret). Il grandit et étudia à Orléans au lycée Pothier. Il obtint un prix de composition française au concours général de 1922 et un prix de philosophie au concours de 1923. Il finança ses études de droit en travaillant comme clerc d’avoué et comme secrétaire de rédaction dans le journal de son père. Il créa une revue littéraire, Le Grenier. Militant des Jeunesses laïques et républicaines, membre de la Ligue des droits de l’homme, initié à la maçonnerie en 1926, il se consacra très jeune à la politique.
Il se maria le 30 mars 1931 à Orléans à Madeleine Hélène Dreux avec qui il eut deux filles, Catherine et Hélène.

Brillant étudiant, il devint avocat en 1928. Élevé dans le protestantisme, il devint rapidement agnostique, entra dans la franc-maçonnerie et milita au parti radical-socialiste. Il fut élu député radical du Loiret en 1932 puis en 1936 et devint un pillier des "Jeunes turcs" qui voulaient rénover le Parti radical.

À la suite de la victoire du front populaire aux législatives de 1936, Léon Blum fit appel à lui pour le ministère de l’Éducation nationale et des Beaux-Arts. Son engagement contre les accords de Munich en 1938 lui valurent d’être accusé de bellicisme et accentua l’hostilité de certains à son égard. Enfin, la campagne incessante contre Zay, menée par l’extrême droite mais aussi par un journal comme La Croix, insistait sur son origine juive (alors que sa mère était une bonne protestante) et se nourrissait aussi du fait qu’il avait écrit un texte, à l’âge de 19 ans, jamais publié d’ailleurs, mais révélé à la presse par un des ses anciens copains de lycée : La Drapeau, un texte très antimilitariste, anti patriote.

Jean Zay aida à la mise sur pied du Premier Festival de Cannes qui aurait dû ouvrir le 1er septembre 1939.
Il démissionna le 2 septembre 1939 pour rejoindre l’armée française. Il voulut gagner l’Afrique du Nord avec d’autres parlementaires mais leur bateau, le Massilia, fut bloqué au Port du Verdon à Casablanca (Maroc) et les parlementaires arrêtés le 15 août 1940 et rapatriés en France.
Le 4 octobre 1940, un tribunal militaire siégeant à Clermont-Ferrand le condamna à la déportation à vie et à la dégradation militaire. Il fut transféré le 4 décembre 1940 à Marseille de décembre 1940 à février 1941 où il souffrit terriblement des conditions de détention. L’idée était de l’amener au bagne. Il tint un journal sur la vie de prison et ce qu’il apprenait de l’actualité. Sa peine de déportation dans un bagne fut muée par le régime de Vichy en simple internement en métropole et, le 7 janvier 1941, il fut incarcéré au quartier spécial de la maison d’arrêt de Riom.

Le 16 juin, une note signée du directeur de cabinet de Darnand, André Baillet, est arrivée à la prison. Elle ordonne le « transfert d’urgence » de l’ancien ministre à Melun et précise qu’il sera effectué par la Milice. Cette note est consultable sur le site internet du Musée de la Résistance en ligne . Le 20 juin 1944, trois miliciens, se présentèrent à la maison d’arrêt de Riom munis de l’ordre de transfert transmis par Jocelyn Maret alors sous-directeur de l’administration pénitentiaire sur consigne écrite de Lucien Raymond-Clémoz directeur du cabinet de Joseph Darnand (secrétaire d’Etat à l’intérieur et créateur de la Milice). Selon l’historien Antoine Prost, cette procédure n’est pas authentique, et dissimule en réalité un ordre d’exécution de la part de Vichy. Le chef du commando était Henri Millou qui était secondé par Charles Develle et Pierre Cordier. Millou signe sous un faux nom la levée d’écrou. Dans la voiture, ils lui expliquent qu’ils sont des résistants déguisés, et qu’ils le conduisent dans un maquis. L’auto contourne Cusset et s’arrête au lieu-dit « Les Malavaux », terrain d’entrainement des miliciens. Les hommes s’engagent dans un étroit chemin de montagne. Au « Puits-du-Diable », le groupe s’arrête. L’un des miliciens, Cordier, frappe Jean Zay d’un coup de matraque. L’autre, Develle, l’achève d’une rafale de mitraillette. Jean Zay serait mort en criant "vive la France". Les assassins dépouillent le corps de ses vêtements, lui ôtent son alliance et le jettent dans le gouffre. Puis, à l’aide d’explosifs, ils provoquent un éboulement. Rentrés à Vichy, ils expliquent que des résistants ont libéré leur prisonnier, lors d’une attaque. La description du dossier d’enquête conservé aux Archives Nationales évoque une "enquête effectuée en juin 1944 au moment de sa disparition à Moulins lors de son transfert de Riom à la prison de Melun pour être déporté en Allemagne".

Denis Aubras raconte la suite : "Le lendemain, Pierre Laval, qui ignore tout de ce transfert, est prévenu par l’administration péni­tentiaire. Il s’inquiète et ordonne une enquête. D’après un premier rapport, rédigé par les ser­vices de Darnand [le commissaire Pierre Poinsot], la voiture de Jean Zay aurait été attaquée dans la direction de Sancoins (Cher) par des hommes armés qui se trouvaient dans un camion. Jean Zay serait descendu, aurait été blessé et probablement enlevé par les agresseurs. Un milicien se trouvant dans la voiture qui avait conduit Jean Zay aurait été également blessé. Pierre Laval croit, à ce moment, à une opération du maquis en faveur de Jean Zay, pour le libé­rer. Il prescrit à René Buffet, chef des services de Sûreté, de mener une enquête, en marge de celle de la Milice, de suivre avec soin cette affaire et de le renseigner. Mme Jean Zay vient voir Laval à Vichy le 22 juin au matin. Il lui dit ce qu’il sait et ne cache pas qu’il est inquiet sur le sort de son mari. L’enquête piétine. Manifestement le Deuxième Service de la Milice cherche à étouffer l’affaire. La Sûreté, de son côté, n’obtient aucun rensei­gnement."

Le 8 août, Mme Zay est convoquée par Laval qui lui lit le rapport d’un milicien précisant que l’attaque a eu lieu à Sancoins vers 14 heures. Mais le corps de Jean Zay est introuvable.

C’est sur la base de ces éléments qu’un jugement du tribunal civil de première instance de St-Amand-Montrond (Cher) du 26 juillet 1946 situe son décès le 20 juin sur la commune de Sancoins (Cher).

Lucien Raymond-Clémoz sera condamné par contumace à mort le 7 mai 1945 par la cour de Justice de l’Allier. En février 1946, son affaire, concernant l’exécution de Jean Zay, est renvoyée. Il est condamné à mort par la cour de Justice de Riom avant d’être fusillé le 26 août 1946 à Riom (Puy-de-Dôme).

Le corps fut trouvé quelques mois plus tard. En effet, le 22 septembre 1946, au lieu-dit les Malavaux à Molles, au puit du diable, Marius Seneron à la chasse avec deux amis trouve, en battant les bruyères, un tibia humain sortant du sol. Alertés, la police et le parquet se rendent sur les lieux et trouvent les cadavres de deux inconnus parmi lesquels celui d’un homme de 30 à 35 ans, forte corpulence, grande taille, plus difficile à identifier que l’autre corps. La gendarmerie a relevé les particularités suivantes : une canine gauche au maxillaire supérieur et trois molaires au maxillaire supérieur droit en or. De plus, il lui manque deux molaires au maxillaire supérieur gauche et la première molaire maxillaire inférieure gauche. Cheveux bruns, vêtu d’une chemise en forte toile blanche, il portait en plus le signe distinctif d’une trace de balle dans la nuque et dans la tempe droite. Les deux inconnus furent inhumés au cimetière de Cusset.
L’identification de Jean Zay fut possible grâce à l’arrestation en mars 1948 de Charles Develle, son assassin. Une reconstitution eut lieu le 4 avril 1948. Il donna des indication sur la mort de Jean Zay. A cette occasion, Develle essaya de se jeter dans un ravin mais fut retenu à temps par les gendarmes. Les deux corps furent exhumés en vue d’une analyse. Une expertise permit de confirmer son identification notamment grâce à la fiche dentaire et à des renseignements sur les vêtements de Jean Zay. Enfin, un jugement du tribunal civil de Cusset du 12 mai 1948 identifiera l’inconnu comme étant Jean Zay.

Après un parcours judiciaire compliqué, (devait il relever de la cour d’assises ? de la cour de Justice de la Seine devant laquelle il comparait en décembre 1949 ? il fit également des recours contre la compétence du tribunal militaire), Charles Develle fut le seul condamné contradictoirement pour l’exécution de Jean Zay. Il comparut le 23 février 1953 devant le tribunal militaire de Lyon, (qui s’était pourtant déclaré incompétent en novembre 1951). Henri Millou était disparu en Allemagne (en avril 1946, la cour de Justice de l’Allier le considérait en fuite), Pierre Cordier avait été exécuté par des résistants en août 1944 près de Rougemont (Doubs) avec sa maîtresse après avoir été capturé en quittant Belfort et Jocelyn Maret était disparu en Argentine. Charles Alfonsi indique : "Invoquant l’irresponsabilité, l’avocat de Charles Develle, Maître René Floriot, plaide habilement en qualifiant son acte de « crime politique », et en le présentant comme un simple rouage victime de la propagande vichyste. De son côté le commissaire du gouvernement, le colonel Perrier, requiert la peine de mort pour l’ensemble des accusés. Il estime que cet acte fut la conséquence logique de l’engagement de ces hommes, actifs collaborateurs et miliciens.

Le jugement est étonnant puisqu’il condamne les absents à la peine de mort, et Charles Develle aux travaux forcés à perpétuité malgré les réquisitions du commissaire du gouvernement qui demandait la peine de mort contre Develle. Cette décision suscita l’incompréhension des contemporains et désormais celle des historiens. Il est en effet curieux qu’un pareil acte – véritable exécution sommaire – ait été traité avec tant de clémence, au regard des peines prononcées contre les autres membres du groupe de miliciens. Il faut ajouter à cet étonnement celui suscité par la libération de Develle deux ans plus tard. Sans doute, la période d’épuration étant révolue, cette décision s’inscrit-elle dans une volonté d’apaisement de la société française.".

Jean Zay fut exposé à la Sorbonne avant d’être inhumé dans le grand cimetière d’Orléans, du 15 mai 1948 à 2015, année de son transfert au Panthéon. Un décret du 7 janvier 2015 (Journal Officiel du 9 janvier 2015) décida d’un hommage à Jean Zay et du transfert de ses cendres au Panthéon, transfert qui eut lieu le 27 mai 2015 à l’occasion de la journée nationale de la Résistance.

19 juin 1944
Mon cher petit amour bien-aimé, Voici la dernière étape, celle qui sera brève et au bout de laquelle nous nous retrouverons unis et tranquilles dans notre bonheur, avec nos filles. Elle était Inévitable ; Il faut la supporter avec courage et confiance, avec une certitude entière et une patience inébranlable. Ainsi je ferai, même loin de toi, même sans nouvelles. Chacun de nous restera plus près que jamais de la pensée de l’autre et lui inspirera à distance toute sa force. Je te confie mes filles, et sais comment tu les garderas ; je te confie Papa, dis-lui surtout de n’avoir aucune inquiétude d’aucune sorte ; tu le rassureras pleinement, ainsi que Jacqueline. Je pars plein de bonne humeur et de force. Je n’ai jamais été si sûr de mon destin et de ma route. J’ai le cœur et la conscience tranquilles. Je n’ai aucune peur. J’attendrai, comme je le dois, dans la paix de ma pensée, l’heure de vous retrouver tous. Je t’écrirai dès que je le pourrai. Mais, pour cent raisons, peut être resteras-tu sans nouvelles. Tu pourras, au bout de quelques semaines, si tu le juges à propos, en demander par l’ambassade. Consulte au besoin des amis. Mais, quoi qu’il arrive, pas d’angoisse, pas d’inquiétude. Chaque heure nous rapprochera du bonheur retrouvé. Embrasse Papa, Jacqueline, pour moi de tout mon cœur et dis-leur : « Confiance ! » Serre dans tes bras mes petites filles bien-aimées. Je t’aime, mon amour, de toute mon âme. J’emporte le réconfort de notre entretien de dimanche. Je suis fier de toi. Je te dois déjà treize années de profond bonheur. D’autres nous sont dues. Je t’aime et t’étreins sur mon cœur A bientôt !
Jean Zay

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article209590, notice ZAY Jean Élie Paul, version mise en ligne le 26 février 2020, dernière modification le 16 juillet 2022.
Stèle de Jean Zay (Molles, Allier)
Stèle de Jean Zay (Molles, Allier)

Jean Zay, Souvenirs et Solitude, Paris, Belin, 2010.
Jean Zay, Lettres de la drôle de Guerre (1939-1940), Paris, Belin, 2015.

SOURCES : AVCC Caen, AC 21 P 409370, dossier victime civile pour Jean Zay (nc). — AVCC Caen, AC 21 P 551 973, dossier Jean Zay (nc). — SHD Vincennes, GR 16 P 606687, dossier résistant isolé pour Jean Zay (nc) . — Arch. Nat. 200500220/3 enquête sur l’assassinat par la Milice de Jean Zay (nc) . — Arch. Nat. 667AP/1-667AP/150 Fonds Jean Zay (nc) . — Valmy 31 août et 1er septembre 1946, 22 septembre 1946, 23 et 24 septembre 1946 . — Le Monde, 6, 7 et 8 avril 1948, 23 février 1953 . — Denis Aubras, article publié dans le Hors-Série n°40 de la revue "Historia", 1975 . — Christiane Rimbaud, "L’affaire du Massilia : été 1940", Seuil, 1984 . — Roger Karoutchi, Olivier Babeau, Jean Zay : 1904-1944 Ministre de l’Instruction du Front populaire, Résistant, martyr, Paris, Ramsay, 2006 .— Yves Le Faou, "Son sort est resté inconnu pendant 4 ans", La Montagne, 17 mai 2009. – Olivier Loubes, Jean Zay. L’inconnu de la République, Paris, Armand Colin, 2012 .— Gérard Boulanger, L’Affaire Jean Zay : La République assassinée, Paris, Calmann-Lévy, 2013. – Jean-Marc Berliere et François Le Goarant de Tremelin, "Liaisons dangereuses : Miliciens, truands, Résistants - Paris 1944", Le grand livre du mois, 2013 . – Antoine Prost, Jean Zay. Le ministre assassiné, 1904-1944, Paris, Tallandier, 2015 .— "Le jour où l’assassin de Jean Zay a échappé à la mort", La Montagne, 24 février 2019. – Charles Alfonsi, "L’Affaire Jean Zay ou l’incompréhensible jugement", ministère de la Justice, 25 juin 2020. — Page wikipedia. — Notes de Jean-Paul Salles, Éric Panthou et Henri-Ferréol Billy. — État civil d’Orléans (en ligne).

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