FÉRAUD Jeanne

Par Gérard Leidet

Morte le 16 juin 1934 à Marseille (Bouches-du-Rhône) ; institutrice à Marseille ; syndicaliste, militante de la FNSI (1915-1918), de la FSMEL (1919-1922), puis du "Syndicat général" de l’enseignement (1923-1926), enfin du SNI (1926-1934) ; conseillère départementale de l’enseignement (1923-1926) et (1929-1932) ; membre du bureau du SN (secrétaire administrative), militante féministe.

Jeanne Féraud était institutrice à Marseille à l’école maternelle de la Blancarde (IVe arrondissement), puis à celle du Boulevard Vauban (6e arrondissement).
Durant la Grande Guerre elle commença à militer, au sein de la Fédération nationale des syndicats d’instituteurs (FNSI), aux côtés de militants très expérimentés tels Ismaël Audoye, Antoine Ripert, Louis Lafosse et Emmanuel Triaire. En compagnie de ces derniers, elle faisait partie de ce petit groupe de militants qui, dans le "déchaînement des passions chauvines" (Marcel Babau), s’efforça de maintenir au sein du mouvement syndical les traditions de pacifisme et d’internationalisme. Déployant une immense activité dans tous les domaines de la réflexion et de l’action syndicales, elle n’allait cesser de militer d’abord au sein de la Fédération nationale des syndicat d’instituteurs (FNSI), puis au "syndicat général" de l’enseignement (SGE) des Bouches-du-Rhône avant de rejoindre le syndicat national des institutrices et instituteurs (SN) au milieu des années 1920. En fait, son parcours militant fut inséparable de l’histoire des premiers temps du syndicalisme enseignant dans les Bouches-du-Rhône.

En 1919, Jeanne Féraud militait donc au Syndicat des institutrices et instituteurs au sein de la Fédération nationale des syndicats d’instituteurs (FNSI, créée en 1905), laquelle changea de nom à partir du mois d’août pour devenir, en s’élargissant aux autres ordres d’enseignement, la Fédération des syndicats des membres de l’enseignement laïque (FSMEL). Elle succéda alors à Bertin Ollivier comme gérante du Bulletin mensuel de l’Émancipation. Syndicat des institutrices et des instituteurs publics des Bouches-du-Rhône, Emmanuel Triaire demeurant alors responsable de la rédaction. Elle fut remplacée peu après dans cette tâche par J. Chauvet, Ismaël Audoye et J. Aubert qui se partagèrent la gérance et la responsabilité du bulletin entre 1920 et 1926.

Jeanne Féraud participa à toutes les luttes syndicales de l’immédiat après-guerre, notamment lors de la grève du 1er mai 1920 avec une "poignée d’instituteurs" emmenée par Ismaël Audoye. Dans les périodes de conflits sociaux, elle fit preuve d’énergie et n’hésitait pas dans les assemblées corporatives à monter à la tribune pour entraîner le personnel, notamment les institutrices, à l’action syndicale.

En 1922, Jeanne Féraud fit le choix de militer au sein du Syndicat général de l’enseignement des Bouches-du-Rhône, organisation de 500 instituteurs syndicalistes « dissidents » qui n’acceptaient pas la scission entre la CGT et la CGTU, entre le Syndicat national (SN, 75 000 membres) et le Syndicat des membres de l’enseignement laïque (SMEL, 6 000 membres) qu’ils refusaient de rejoindre. Le SGE, brève tentative de "Syndicat départemental" issu de la fusion du SN et du SMEL (souvent désigné comme « Fédération Gourdon—Vielmas »), prônait une autonomie « provisoire » en attendant la réunification syndicale. Ce « syndicat général » parvint à regrouper pendant près de deux ans (jusqu’en janvier 1924) les membres des deux syndicats, SN et SMEL, qui participaient, par leurs délégués, aux congrès de leurs fédérations respectives. Entre 1924 et 1926, n’étant plus affilié à aucune fédération, le S.G.E représentait désormais, selon les propos de Bernard Varèse, secrétaire général de la section des Bouches-du-Rhône du S.N., "La voix de la dissidence"...

Ses qualités de militante la désignèrent tout naturellement dans des fonctions de représentation du personnel. Jeanne Féraud fut ainsi, à deux reprises, désignée comme conseillère départementale : déléguée du "Syndicat général" (1923-1926), puis du Syndicat national (1929-1932) qu’elle rejoignit au milieu des années 1920, succédant alors à Mme Leschi, institutrice à l’école maternelle de Menpenti. En janvier 1925, c’est elle qui écrivit une lettre en tant que conseillère départementale et porte-parole des trois conseils syndicaux, dans laquelle elle protestait contre l’organisation de conférences pédagogiques programmées le jeudi 6 novembre 1924. Elle émettait le vœu, largement partagé dans la profession, que l’on revienne « à la coutume » qui, dans les Bouches-du-Rhône, avait toujours fixé ces conférences un jour de classe.

Lors de l’assemblée générale du 11 mars 1926, Bernard Varèse, rendit compte des négociations menées avec le Syndicat général (SG), lesquelles avaient abouti à un référendum se concluant en faveur de l’adhésion du SG au SN. Jeanne Féraud fit partie des dix nouveaux membres du conseil syndical du SN issus du SG, en compagnie de Mme Arnaud (Aix), Finiels (Salon) ; Juliane Labrosse, Angélini, Daumas, Victor Gourdon, Giudicelli, Taupenot, et Vielmas (Marseille). La « fusion » souhaitée par bien des militants dans les Bouches-du Rhône devenait en partie effective, mais bien partielle : la Fédération des syndicats des membres de l’enseignement laïque (FSMEL) avait rejoint la CGTU naissante en avril 1922 et le SN avait adhéré à la CGT, en 1925. Or ce qui dominait dans l’engagement syndical de Jeanne Féraud ce fut aussi son action en faveur de l’unité. Si elle ne fut pas toujours d’accord avec les militants du SN sur les moyens de réaliser l’unité avec le syndicat de l’enseignement laïque (SMEL- CGTU), elle oeuvra à maintes reprises à "l’union dans le personnel" en privilégiant, lorsque c’était possible, l’unité d’action avec ses collègues du SMEL. au sein du Conseil départemental.

Lors des élections au conseil départemental du 23 avril 1929, sur quatre sièges, trois revinrent aux délégués du S.N. Jeanne Féraud fut élue avec 797 voix, en compagnie de Mme Nevière (691 voix) et Jules Gautier (302 voix), alors que César Durand* (283 voix), secrétaire général de la section départementale était battu par le candidat du SMEL, Édouard Labeillle (300 voix). Elle demeura dans cette fonction de Conseillère départementale jusqu’en juillet 1932, date à laquelle elle fut remplacée par Marthe Rigaud, institutrice à l’école de filles de la rue Pommier.

Influencée par les idées de Pauline Kergomard (pédagogue, créatrice des écoles maternelles), très investie dans la vie de l’école autour des questions corporatives et pédagogiques (elle devint très vite secrétaire adjointe de la section pégagogique du S. N), Jeanne Féraud s’attacha singulièrement au cœur des années 1920 à la défense des écoles maternelles, permettant ainsi aux écoles marseillaises et du département de bénéficier d’améliorations notoires en termes de fournitures et de matériel scolaire. Exerçant dans un quartier où il fallait lutter contre la concurrence de l’école privée, elle dut s’imposer en s’opposant à la tendance conservatrice de certaines enseignantes qui voulaient faire de ces écoles, exclusivement, des lieux d’instruction. Elle souhaitait, quant à elle, favoriser davantage le développement naturel de l’enfant, et elle citait, en appui de ses choix pédagogiques, les propos de Pauline Kergomard : " Il est essentiel de connaître la nature de l’enfant, ses besoins, ses aptitudes, ses possibilités et, ces quatre séries bien établies, de les modifier à mesure que l’enfant se développe...". Lectrice de publications devenues des classiques ( L’ami de l’enfance, animé dans les deux dernières décennies du XIXe siècle par Pauline Kergomard ; Enfance, ouvrage paru aux PUF), membre de l’Association générale des institutrices de maternelle (AGIEM) aux lendemains de sa création en 1921, elle compléta sa formation "permanente" d’institutrice de maternelle en étant abonnée aux revues spécialisées telles que L’Éducation enfantine, créée en 1925 par Fernand Nathan, éditeur très innovant, et à L’École maternelle française (passée des éditions Bougerolles aux éditions Bourrelier-Colin).

En avril 1930, elle rendit compte dans le "bulletin mensuel de la section des Bouches-du-Rhône du SN" de la réunion du comité de gestion et de perfectionnement des écoles maternelles qui s’était tenu le 31 mars 1930 sous la présidence de l’Inspecteur d’Académie. Elle s’impliqua alors très fortement dans le projet de règlement concernant les femmes de service des écoles maternelles et des classes enfantines du département. Ce document comprenait une douzaine d’articles permettant, notamment, une meilleure articulation entre les tâches quotidiennes de ces personnels et les cinq journées hebdomadaires d’enseignement effectuées par les institutrices et leurs jeunes élèves.

Jeanne Féraud ne bornait pas exclusivement son engagement en direction de l’école et du syndicalisme. Marquée dès sa jeunesse par les idées et les lectures des chroniques de Marguerite Durand et de Séverine - fondatrices en 1897 du journal La Fronde qui diffusait un discours féministe - elle s’investit également dans les groupements féministes. Elle suivait par ailleurs de très près l’action pour la paix menée par les organisations pacifistes. A ce titre, elle s’efforça, au sein du SN, de privilégier les relations qui allaient se nouer entre le mouvement contre la guerre, et le fascisme (Mouvement Amsterdam-Pleyel créé en juin 1933 à l’initiative d’ [Henri Barbusse-97985] et [Romain Rolland-129462]), et le mouvement syndical.

Membre de la commission de défense laïque du SN depuis 1929, préoccupée par l’activité des oeuvres religieuses visant à "accaparer" les orphelines, nombreuses dans l’après Première guerre mondiale, Jeanne Féraud prit la direction du comité pour la création d’un orphelinat laïque de filles. Elle avait été très déçue par la mise en oeuvre de l’orphelinat laïque de garçons, aussi elle multiplia dès le mois d’avril 1930 interventions et démarches auprès des pouvoirs publics, des groupements politiques ou laïques (SFIO, Parti communiste, Ligue de l’enseignement, etc.), des syndicats (CGT, CGTU), en faveur de la mise en oeuvre de l’orphelinat. Elle n’eut pas le temps cependant de voir la réalisation de son projet qu’elle définissait comme "une oeuvre laïque pour nos filles" ; mais l’inauguration, en octobre 1934, de l’école de plein air de Marseille, au sein de laquelle figurait un orphelinat de filles, vint concrétiser la ténacité et l’action vigilante dont fit preuve Jeanne Féraud dans le domaine de l’aide à l’enfance malheureuse.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article209868, notice FÉRAUD Jeanne par Gérard Leidet, version mise en ligne le 25 décembre 2018, dernière modification le 26 juin 2022.

Par Gérard Leidet

SOURCES : Bulletin de la section des Bouches-du-Rhône du syndicat national des institutrices et instituteurs de France et des colonies, juin 1934. — Notes de Marcel Babau (nécrologie) — L’Emancipation. Bulletin du sindicat des institutrices et des instituteurs sindiqués et sindicalistes de la région du Sud-Est (portant en sous-titre pour l’année 1919 : Bulletin mensuel du sindicat des membres de l’enseignement des Bouches-du-Rhône et de la région Sud-Est) — Jocelyne Prézeau, "Syndicats et organisations de masse. Le cas d’Amsterdam-Pleyel" (1932-1934) dans D. Tartakowski et F. Tétard (dir.), Syndicats et associations, concurrence ou complémentarité ? Presses universitaires de Rennes, 2006 — Denise Karnaouch, La Presse corporative et syndicale des enseignants. Répertoire. 1881-1940. – Paris : L’Harmattan, 2004. – Jean Vial, L’école maternelle, coll. "Que-sais-je ?", PUF, 1983.

rebonds ?
Les rebonds proposent trois biographies choisies aléatoirement en fonction de similarités thématiques (dictionnaires), chronologiques (périodes), géographiques (département) et socioprofessionnelles.
fiches auteur-e-s
Version imprimable