CRAIPEAU Yvan, Adrien, Benjamin. Pseudonymes : AUGER, FRANCIS, THOMAS

Par Jean-Michel Brabant

Né le 24 septembre 1911 à la Roche-sur-Yon (Vendée), mort le 13 décembre 2001 à Paris ; instituteur puis professeur de lettres ; dirigeant trotskiste jusqu’en 1948 ; membre de la direction du Parti socialiste unifié à sa création.

Le père d’Yvan Craipeau, Élie Craipeau, postier, participa en Vendée à la fondation du Parti socialiste SFIO. Cette action socialiste influença son fils qui s’orienta cependant vers un marxisme plus radical. Devenu lycéen à La Roche-sur-Yon puis à Poitiers, il participa à la constitution d’une petite organisation marxiste locale, indépendante des grands courants nationaux. Cette action politique lui valut d’être accusé d’activité antimilitariste et entraîna son exclusion du lycée de Poitiers en 1928 alors qu’il suivait les cours d’hypokhâgne.
Arrivé à Paris en 1929, il entreprit en octobre des études au lycée Henri IV. Le provincial qu’il était à l’époque découvrit alors le bouillonnement politique de la capitale. Il toucha du doigt la multiplicité des tendances, des courants, l’intensité des débats et fit la constatation qu’il existait un groupe d’oppositionnels se réclamant de Trotsky dont il se sentit proche. Ce groupe venait de lancer, en août, le journal La Vérité. Y. Craipeau s’y intégra fin 1929 et fit partie en avril 1930 de la Ligue communiste naissante. En tant qu’opposition de gauche du Parti communiste, cette organisation ne rassemblait que des membres du Parti ou des exclus. Y. Craipeau ne remplissait pas ces conditions, ne parvenant pas à se faire admettre aux Jeunesses communistes parce que déjà connu comme trotskiste. Une modification des statuts de la Ligue communiste, en 1931, remédia à ce type de situation.
Pour sa part, Yvan Craipeau trouva un moyen original pour contourner la difficulté. Pendant les vacances scolaires, en juillet 1930, il constitua les Jeunesses communistes jusqu’alors inexistantes en Vendée. En tant que militant trotskiste partisan du redressement du Parti communiste, Yvan Craipeau créa bientôt trois groupes de la JC : La Roche-sur-Yon, Luçon et les Sables-d’Olonne. Jusqu’en février 1934 date à laquelle il fut exclu pour « activité fractionnelle », il resta membre de la JC. Ce fut en tant que tel qu’il participa à la campagne de Maurice Thorez « les bouches s’ouvrent » en signant un article dans l’Humanité.
Dans le même temps, il devint dirigeant de la Ligue où il représentait la jeune génération. Élu à la communion exécutive en 1930, il conserva ses responsabilités jusqu’à la dissolution de la Ligue en août 1934. Chargé de l’animation du travail des trotskistes en direction de la Jeunesse, il participa, en octobre 1932, au lancement d’un journal bimensuel éphémère Le Jeune bolchevik qui réapparut, en novembre 1933, sous le titre Octobre rouge, transformé à nouveau, en mars 1934, en Le Combat des jeunes. Il fut gérant de ces trois publications. Les jeunes trotskistes, dirigés par Yvan Craipeau, furent à l’initiative du premier regroupement unitaire des directions de la JC et de la Jeunesse socialiste. Le 12 janvier 1933, s’ouvrait, devant plus d’un millier de jeunes rassemblés au Boxing-Hall dans le XIe arr. de Paris, un meeting, présidé par Yvan Craipeau, où prirent la parole communistes, socialistes et trotskistes. Ce succès, sans lendemain immédiat, poussa cependant à la création d’une organisation de jeunes trotskistes, perspective dont Yvan Craipeau était l’initiateur chaleureux. Il réussit ainsi à mettre sur pied les Jeunesses léninistes qui s’organisèrent véritablement au début de 1934.
Entre-temps, pendant l’été 1933, Yvan Craipeau rencontra, à Saint-Palais-sur-Mer près de Royan, Trotsky qui incarnait à ses yeux le sens de son combat. En 1934, il soutint la proposition du « Vieux » d’adhérer au Parti SFIO afin de ne pas isoler les oppositionnels du grand mouvement d’union qui se dessinait au bénéfice des grandes organisations ouvrières. Il insista toutefois pour que « l’entrisme ait lieu drapeau rouge déployé et sans concessions ». Quand, en septembre, le Groupe bolchevik-léniniste fut créé en tant que tendance à l’intérieur du Parti SFIO, Yvan Craipeau fut élu à son comité central et désigné à son secrétariat. Il était plus particulièrement chargé du travail en direction des Jeunes. Les Jeunesses léninistes, jusqu’alors rivaux redoutés des Jeunesses socialistes du fait de leur formation politique et de leur rigueur militante, firent un travail considérable notamment dans la lutte contre les fascistes. Lors des exclusions de juillet 1935 au congrès national de la JS tenu à Lille, ce fut la majorité de la Fédération de la Seine qu’ils entraînèrent avec eux, ainsi que de nombreux militants de province. Marcel Hic, David Rousset*, Louis Rigaudias*, Jean Van Heijenoort* et Yvan Craipeau formaient, à cette époque la direction de la fraction des bolcheviks-léninistes dans la JS. Élu à la direction fédérale des JS de Seine-et-Oise, membre par ailleurs du comité fédéral mixte, Yvan Craipeau s’occupa des « Toujours Prêts Pour Servir » (TPPS) - il avait été élu, en janvier 1935, responsable de la milice au sein du GBL.
Si l’adhésion au Parti SFIO rencontra déjà de grandes résistances, le départ se déroula au milieu d’une lutte de tendances d’une grande violence. Jugeant inévitable la rupture avec le Parti SFIO, Y. Craipeau s’impatienta devant les atermoiements du Groupe bolchevik-léniniste et menaça de démissionner si l’on se refusait à une politique plus offensive. Il participa, par la suite, à la fondation des nouvelles structures du mouvement trotskiste. Membre du comité central des Jeunesses socialistes révolutionnaires, il contribua à la création du Parti ouvrier internationaliste en juin 1936 et fut également candidat BL aux élections législatives du 26 avril 1936 dans la 2e circonscription de Saint-Denis où il ne réunit que 25 voix.
Après avoir été surveillant au collège Chaptal, Yvan Craipeau travaillait, depuis l’automne 1935, à France-mutualiste, caisse autonome de retraite. Ce fut dans ce cadre qu’il participa à la grande grève de juin 1936. Il contribua, à cette occasion, avant d’être licencié, à la création d’une section syndicale CGT dans l’entreprise. Il n’avait pourtant pas la formation d’un employé de bureau ; en 1932, il avait obtenu le Diplôme d’études supérieures de philosophie et exerça plusieurs métiers (ouvrier du bâtiment, imprimeur, instituteur à Taverny). Ainsi, en 1933, il était membre du conseil syndical de l’Enseignement de la Seine de la CGTU. De nouveau instituteur à la rentrée de 1936, il reprit à Mantes (Seine-et-Oise) son action syndicale.
Ce fut en tant que simple délégué de son département, qu’il intervint à la conférence nationale du POI du 1er janvier 1937. Il profita de son éloignement de la capitale pour tirer le bilan de six années de militantisme cherchant à comprendre la place tenue par le mouvement trotskiste durant cette période de mobilisation des ouvriers. Cette réflexion s’accompagnait, sans doute à la lumière des procès de Moscou, d’une divergence de vues avec ses amis sur la question russe. Délégué de Mantes au IIe congrès du POI, en novembre 1937, Craipeau y présenta une thèse dans laquelle le caractère ouvrier de l’État soviétique était contesté. Parallèlement, il fut sans relâche un artisan des regroupements, des rapprochements, des fusions. Il travailla avec le Front social de Mantes, il adhéra au Cercle syndicaliste « Lutte de classe » où il défendit les thèses de son organisation, il assista à la conférence du 3 juillet 1938 qui réunit les Jeunesses socialistes autonomes, les Jeunesses socialistes révolutionnaires et les Jeunesses socialistes ouvrières et paysannes. Dès la création du PSOP de Marceau Pivert, il fut partisan de l’adhésion pure et simple du POI au nouveau Parti.
Sur cette question, Craipeau, avec l’appui de Jean Rous et le soutien de Trotsky, prit la tête de la minorité du POI qui adhéra, en février 1939, à la formation pivertiste. Il contribua au lancement de la revue La Voie de Lénine qui regroupa l’opposition marxiste-révolutionnaire dans le PSOP critiquant tout spécialement les courants pacifistes et franc-maçons.
Réformé à la déclaration de guerre, Yvan Craipeau tenta de remettre sur pied l’organisation trotskiste. Avec Marcel Hic, il fit paraître, le 31 août 1940, La Vérité clandestine. Il édita également la revue IVe Internationale, monta pour ces éditions deux imprimeries clandestines puis, après l’arrestation de la plupart des membres du CC en 1943, devint le responsable, militaire et presse, du POI. Après avoir réussi, à plusieurs reprises, à échapper à la Gestapo, notamment en janvier 1944 où il fut blessé, il participa à la réunification des trotskistes qui donna naissance, en février 1944, au Parti communiste internationaliste.
Devenu secrétaire général de cette organisation en 1946, lorsque sa tendance devint majoritaire, il fut élu également au comité exécutif de la IVe Internationale. Il défendait, à l’époque, la perspective d’une fusion avec les JS dissidents et une tendance de la gauche de la SFIO. Candidat la même année, aux élections en Seine-et-Oise, il réussit le tour de force de regrouper sur son nom plus de 14 000 voix, fait unique dans l’histoire du mouvement trotskiste. Minoritaire dans le PCI, il le quitta en 1948 avec l’ensemble de sa tendance.
Lors du congrès du SNI, le 28 décembre 1945, il était intervenu sur la question de l’échelle mobile dont il se montrait partisan et lors du congrès national de Grenoble, le 27 juillet 1946, sur le rapport sur la question de la formation prémilitaire. Il estimait que l’état-major utilisait les instituteurs pour encadrer l’armée. Après la révolution, il faudrait « se tourner vers les vrais ennemis ».
En 1951, devenu professeur de lettres, Yvan Craipeau quitta la France pour aller enseigner au lycée de Basse-Terre (Guadeloupe). Il fut secrétaire de la section locale de la Fédération de l’éducation nationale, en tant que militant du Syndicat national de l’enseignement secondaire, et soutint notamment une grève des coupeurs de canne à sucre.
Revenu en France en 1954, il participa à la création de la Nouvelle gauche et devint membre de sa direction. Partisan de la fusion avec le Mouvement de libération du peuple, il fut élu, en 1958, au bureau national de la nouvelle organisation ainsi créée : l’Union de la gauche socialiste. En 1960, Yvan Craipeau participa à la fondation du Parti socialiste unifié issu de la fusion du Parti socialiste autonome et de l’UGS. Membre du comité politique national jusqu’en 1963, réélu au conseil national en 1965, il fut désigné à sa direction politique nationale, en 1974, après l’adhésion de Michel Rocard au Parti socialiste.
Il avait été un animateur actif du comité d’action du XIIe arr. en mai 1968.
Dirigeant de la fédération des Alpes-Maritimes, il défendit dans son parti la perspective d’un regroupement des forces autogestionnaires-syndicales, sociales et politiques - y compris avec l’extrême gauche révolutionnaire.
La publication de ses mémoires en 1999 lui offrit une nouvelle occasion d’intervenir dans le débat politique et théorique. Il appelait de ses vœux une jonction entre l’extrême gauche et les verts anticapitalistes, pour prendre en main la révolution planétaire du XXIe siècle, une révolution basée sur le bouleversement technique de la production et la croissance exponentielle qui condamne à terme le capitalisme et le salariat.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article21043, notice CRAIPEAU Yvan, Adrien, Benjamin. Pseudonymes : AUGER, FRANCIS, THOMAS par Jean-Michel Brabant, version mise en ligne le 25 octobre 2008, dernière modification le 5 octobre 2022.

Par Jean-Michel Brabant

Yvan Craipeau en 1958.
Yvan Craipeau en 1958.
Yvan Craipeau en 1934.
Yvan Craipeau en 1934.

ŒUVRE : Chaînes de misère, chaînes de combat, 1933. — La Révolution qui vient, les nouvelles voies du socialisme, 1957. — Mendésisme et socialisme, 1960. — Le Mouvement trotskiste en France  : des origines aux enseignements de mai 68, Syros, 1972. — Maintenant il faut choisir, Éd. de la Fédération PSU des Alpes-Maritimes. — Le Pouvoir à prendre, 1976. — Contre vents et marées. Les révolutionnaires pendant la Seconde Guerre mondiale, 1977. — Les révolutionnaires pendant la Seconde Guerre mondiale, Contre vents et marées : 1938-1945, Savelli/Syros, 1977. — La Libération confisquée, 1944-1947, Savelli/Syros, 1978. — Ces pays que l’on dit socialistes, la face cachée du capitalisme, EDI, 1982. — Mémoires d’un dinosaure trotskiste. Secrétaire de Trotsky en 1933, L’Harmattan, 1999.

SOURCES : Arch. Nat., F1c 3354. — Arch. Jean Maitron. — Arch. Dép. Vendée, 4 M 404. — La Vérité, 1932-1935. — Révolution juillet 1935 et juillet 1938. — La Commune, 13 mars 1936. — La Crise de la section française de la LCI (1935-1936), Paris, 1936-1939. — G. Rosenthal, Avocat de Trotsky, Paris, 1975. — J.-P. Joubert, À contre-courant : le pivertisme, Thèse de doctorat de sciences politiques, Grenoble, 1972. — J. Pluet-Despatin, Les étapes du mouvement trotskiste en France de 1929 à 1944, Thèse de 3e cycle, Paris I, 1975. — R. Hirsch, Le Mouvement trotskiste en France de 1929 à 1933, mémoire de maîtrise, Paris I, 1974. — S. Ketz, De la naissance du GBL à la crise de la section française de la LCI (1934-1936), mémoire de maîtrise, Paris I, 1974. — Témoignage autobiographique. — Yvan Craipeau, Mémoires d’un dinosaure trotskiste, L’Harmattan, 1999. — Notes de Jacques Girault.

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