CREMET Jean, Louis, Aimé, Marie

Par Jean Maitron, Claude Pennetier

Né le 17 décembre 1892 à La Montagne (Loire-Inférieure, Loire-Atlantique), mort le 24 mars 1973 à Libin (Belgique) sous le nom de Gabriel Peyrot ; ouvrier chaudronnier ; conseiller municipal communiste du XIVe arr. de Paris (quartier de la Santé) de 1925 à 1928 ; membre du comité central du Parti communiste de 1924 à 1929 ; secrétaire général adjoint du PCF de 1924 à 1926, secrétaire de comité exécutif de l’Internationale communiste de 1926 à 1928 ; commis voyageur du Komintern passé dans la clandestinité en 1931 pour échapper aux services soviétiques ; considéré comme mort, il vécut en fait en Belgique jusqu’à sa mort sous une identité d’emprunt.

Le père de Jean Cremet s’appelait Jean, Marie Crémet ; il était mouleur. Sa mère, Justine, Florence, Ambroise Thibaud, était sans profession. Le couple eut également une fille, Jeanne, Anne, Marie, née en 1902.

Ouvrier à l’Établissement de la Marine d’Indret (Loire-Inférieure), Jean Cremet fut, à dix-huit ans, mis en demeure par son père sous la pression de la direction, d’avoir à cesser son action militante. Il préféra quitter le foyer familial.
En octobre 1912 il eut une fille avec Alphonsine Séraphine Thibault, qui travaillait comme margeuse et avec qui il vivait : Jeanne, Julia, Germaine. Le couple se maria à Indre quelques mois plus tard, le 28 juin 1913.
Blessé au cours de la Première Guerre mondiale, Jean Cremet prit la tête, en 1917, de l’opposition aux responsables de la CGT au sein de l’Établissement de la Marine. Il avait, par lui-même, acquis une certaine culture et exerçait une grande influence sur son milieu. En 1919, les militants de La Montagne le déléguèrent à la Bourse du Travail de Nantes. Partisan de la tendance révolutionnaire, il attaqua les dirigeants de la CGT et ceux de la Bourse du Travail en particulier Cassin, secrétaire de l’Union locale et de l’Union départementale de Loire-Inférieure. Cependant il était peu suivi et lors du congrès de l’Union départementale du 29 mai 1921, il s’opposa sans succès, avec Leberre, au vote d’une motion excluant les syndicalistes révolutionnaires.
Militant du Parti socialiste depuis une date non précisée, Cremet fut le seul représentant de la Loire-Inférieure au congrès socialiste national de Strasbourg (février 1920). Ses trente-cinq mandats se répartirent entre la motion Loriot d’adhésion à la IIIe Internationale (vingt et un) et la motion Longuet favorable à la Reconstruction d’une Internationale (quatorze). René Gomichon fut le délégué de la Fédération de Loire-Inférieure au congrès de Tours (décembre 1920). Les militants avaient donné vingt mandats à la motion d’adhésion à la IIIe Internationale, quatre à la motion d’adhésion avec réserve et treize à l’amendement Blum.
La fédération communiste naissante nomma à sa tête René Gomichon, secrétaire fédéral, et Jean Cremet, secrétaire fédéral adjoint. Après sa révocation de l’Établissement d’Indret en 1922, Cremet devint secrétaire fédéral et le resta en 1923. Cette même année il fit son premier voyage en URSS et, à son retour, accéda aux fonctions de délégué permanent à la propagande. Il intervenait dans toutes les campagnes électorales locales. En septembre-octobre 1923, il fit une tournée de conférences en Bretagne et donna de nombreux articles à la Bretagne communiste sur son voyage en URSS.
Cremet eut très vite des responsabilités nationales. Dès la fin de l’année 1923 le comité directeur l’admit à ses réunions, et, le 21 novembre 1923, le chargea de préparer avec Marcel Cachin le rapport sur la tactique électorale pour le congrès de Lyon (janvier 1924). C’est lui qui, le 21 janvier, proposa en séance publique l’envoi d’une lettre au Parti socialiste SFIO sur le Bloc ouvrier et paysan. À l’issue du congrès, il entra au comité directeur (instance plus tard renommée comité central) et au bureau politique, qui le nomma avec Georges Marrane secrétaire général adjoint, Louis Sellier étant secrétaire général. Selon un rapport interne, J. Cremet, malade, avait besoin d’un congé de six mois et prévoyait d’aller se soigner en Suisse. Il présenta cependant le rapport sur la situation politique au congrès national de Saint-Denis le 1er juin 1924. Le IVe congrès national du Parti communiste, tenu à Clichy en janvier 1925, le confirma au bureau politique et à la Commission centrale de contrôle politique dont il suivait rarement les réunions (rapport de Dupont). Ducroux, qui le rencontra pour la première fois en cette occasion, le décrit comme « un homme aux cheveux roux avec une sorte de bosse au front, d’une taille au dessous de la moyenne, au visage très coloré, presque uniformément rose » (témoignage écrit inédit sur Jean Cremet).
Il avait en mai 1925 la responsabilité de la direction générale du travail du parti en province. Le BP du 2 juin 1925 le chargea de s’occuper de la diffusion de l’Étincelle, « hebdomadaire socialiste d’information et d’éducation marxiste » publié depuis le 2 avril 1925 par Maurice Maurin, en utilisant l’intermédiaire des Comités d’unité prolétarienne.
Pendant l’été 1925, marqué par la lutte contre la guerre du Maroc, Cremet eut une action importante dans le Midi de la France : dans le Var - où il réorganisa le Parti communiste avec Roques en juillet -, dans le Vaucluse, dans le Languedoc, dans les Bouches-du-Rhône. Il séjourna environ deux mois à Marseille pour y préparer le congrès de la région méditerranéenne contre la guerre du Maroc. Il critiqua, d’abord le 31 juillet puis le 10 août, l’insuffisance de l’effort entrepris sur le plan local, dans le domaine de la propagande et de l’affichage. Il participa ensuite au meeting du 23 août et aux manifestations houleuses qui lui succédèrent dans la soirée. Le 31 août, « il se félicita du magnifique succès obtenu, succès inespéré, déclara-t-il, de ce congrès, qui avait touché les masses » et qu’il jugeait plus réussi que celui de Paris. « Enthousiasmé » par ce résultat et par l’action des « six cent cinquante » militants marseillais, il se déclara en revanche peu satisfait de l’attitude des dirigeants de l’Union départementale unitaire, Matton et Bonnet, qui auraient, selon lui, manqué de perspicacité pendant la grève des banques qui agita également Marseille pendant l’été 1925. L’année suivante, au congrès régional de Beaucaire, le 13 juin 1926, Cremet intervint pour maintenir le bureau régional et son secrétaire Roques, très critiqué par certains militants marseillais. Un témoin de ses activités marseillaises le présente « très actif, très énergique, plein d’initiatives, infatigable, entraîneur d’hommes, excellent organisateur, bon orateur très convaincant dans les réunions intérieures, il n’hésitait pas à prendre la parole en plein air, en brandissant un porte-voix » (Ducroux, témoignage cité).
Jean Cremet était, en octobre 1925, responsable de la commission syndicale centrale du PCF. C’est à ce titre qu’il intervint au Ve congrès du parti (Lille, juin 1926). Le 6 mars 1926, au cours d’une séance de la « commission française » du VIe Plenum de l’Exécutif de l’Internationale communiste, Staline avait conseillé de le désigner comme membre de la direction du PCF aux côtés de Semard, Thorez et Monmousseau (cf. France nouvelle, n° 210, 24 décembre 1949 et Cahiers du Communisme, n° 4, 1950). Il fut élu au secrétariat politique de l’Exécutif de l’IC au cours de la séance du Présidium du 20 décembre 1926 (cf. Correspondance internationale, n° 157, 23 décembre 1926).
Malgré son mauvais état de santé signalé au bureau politique à la fin de l’année 1925, Cremet acceptait de nombreuses responsabilités : le bureau politique du 6 novembre 1925 l’avait désigné à la tête du travail parmi les classes moyennes ; en juin 1926 il se rendit à Lyon pour intervenir sur les problèmes syndicaux et quelques jours plus tard, à Lille, il fit le rapport sur la question syndicale, intervint sur la situation internationale et critiqua Albert Treint.
Les responsabilités exactes de Cremet sont mal connues. Au bureau politique du 1er juin 1926, le secrétaire général Pierre Semard annonça qu’il fallait un camarade en communion de pensée avec la direction pour représenter le PCF à l’IC. Cremet était pressenti, en dépit de ses responsabilités à la commission syndicale. L’intéressé parla alors de son « élimination » de la commission syndicale comme d’une opération politique. Le bureau politique nomma Cremet représentant à l’exécutif de l’IC. Sa présence en France est attestée à l’automne 1926 puisqu’au BP du 23 octobre 1926, Jacques Doriot proposa d’attribuer à Cremet des tâches au sein du secrétariat : vie pratique, bureau d’organisation, commission syndicale, direction de la fraction communiste à l’Hôtel de Ville de Paris. Il était en effet conseiller municipal du quartier de la Santé (XIVe arr.). L’élection de Lucien Midol ayant été annulée par le Conseil d’État, Cremet avait été élu le 10 mai 1925 au deuxième tour de scrutin par 1 569 voix contre 1 232 à son concurrent d’Union nationale. Il appartint à la commission enseignement et beaux-arts du conseil municipal et à la commission beaux-arts et vœux du conseil général.
L’année 1927 marqua un tournant dans la vie personnelle et politique de Cremet. De retour de Moscou, il adressa le 15 janvier 1927 une lettre circulaire aux membres du comité central intitulée « Avis sur la plate-forme de l’opposition française ». Le 3 février 1927, Pierre Semard déclara avoir eu une entrevue - conflictuelle semble-t-il - avec Cremet venu se reposer quelque temps en France. Il s’agissait bien d’un désaccord politique - dont nous connaissons une partie des causes par la correspondance de Cremet à Humbert-Droz, le 21 et 22 mars 1927 (Archives Humbert-Droz, II) - puisque sept jours plus tard, le Parti communiste écrivit à l’IC pour faire état de divergences dont Cremet se défendit dans une correspondance lue au bureau politique du 3 mars 1927, avant de venir lui-même s’expliquer le 14 mars. Un mois plus tard la direction lui retira une partie de ses responsabilités et décida qu’il resterait provisoirement en France. Le comité central réuni fin avril, confirma ces sanctions.
Depuis 1924-1925, Jean Cremet participait à un réseau d’espionnage industriel au profit de l’URSS, réseau qui opéra à Nantes, Marseille et Versailles. La police sur sa piste et celle de sa « secrétaire » Louise Clarac, depuis 1925 resserra son étau au printemps 1927. Le bureau politique discuta de cette affaire d’espionnage le 24 mai 1927, après l’arrestation le 8 avril 1927 de Madeleine Grodnicki et du soviétique Bernstein. Louise Clarac et Cremet avaient réussi à prendre la fuite. Ce fut donc par défaut que la 11e chambre du Tribunal correctionnel les condamna le 25 juillet 1927 à cinq ans de prison et à la privation de leurs droits civiques, tandis qu’il envoyait en prison Grodnicki, Bernstein, Georges Ménétrier, Pierre Provost, Jean-Marie Depouilly et Sergent condamnés respectivement à : cinq ans, trois ans, trois ans, deux ans et seize mois. Dans ses Souvenirs, Henri Barbé affirme que la direction du Parti communiste français manifesta une vive hostilité envers Cremet et refusa tout rapport avec lui, Ducroux, qui le retrouva à Moscou en avril 1928 écrit : « Bien que j’aie eu par la suite de nombreux entretiens avec Jean Cremet, je n’ai jamais pu obtenir d’explications précises sur ce point. Jean Cremet, qui était tout à fait conscient de l’énorme préjudice politique qu’il avait subi, n’aimait guère parler de ces choses-là, et sans doute conserva-t-il jusqu’à la fin le goût amer de ces événements ». Cremet quitta le comité exécutif de l’IC pendant l’été 1928 et le bureau politique du PCF en octobre. Il travaillait à l’IC comme responsable de la section coopérative : « un travail qui l’intéressait modérément » (Ducroux). Barbé entendit parler de lui à Moscou au début de l’année 1929 : « l’Internationale allait donner une mission à Cremet. On me parla vaguement d’un travail qui lui serait confié en Extrême-Orient. Quelques semaines après, étant de passage à Bruxelles, je rencontrai par hasard Jean Cremet. C’était à l’hôtel Continental de la capitale belge. Je lui parlai. Il était avec sa secrétaire [Louise Clarac>20063]. Nous avons bavardé de choses sans importance. Puis je demandai à Cremet ce qu’il faisait et où il allait. Il me répondit qu’il partait en mission d’information en Chine et en Indochine. Il me demanda le secret absolu sur cette confidence. Il comptait s’embarquer à Anvers. C’est la dernière fois que je vis Cremet et je crois bien que je fus le dernier dirigeant communiste français à lui parler. J’appris à Moscou, plusieurs mois après, que Cremet avait trouvé la mort à la suite d’un accident survenu sur le navire où il voyageait. Les milieux russes du Komintern racontaient à Moscou sous le sceau du secret que Cremet était tombé accidentellement à la mer et qu’il n’avait pu être repêché » (p. 111-112). Le témoignage, plus précis, de Ducroux situe le départ de Cremet au début de l’automne 1929. Spécialiste des problèmes d’Extrême-Orient, il avoue être resté « rêveur et perplexe » devant la mission confiée à un ancien secrétaire de l’IC « sans aucune connaissance de l’anglais ». Toujours selon Ducroux « Cremet quitta Moscou en ayant des relations très tendues » avec la direction du PCF. Divers bruits, tous invérifiables, circulèrent sur les conditions de sa disparition. Nous ne disposons que du témoignage de Ducroux qui en février 1931, à Moscou, s’entretint avec Abramov : « Ce dernier me confia que l’IC était sans nouvelles de Cremet, parti à l’automne 1929, depuis déjà assez longtemps. Il m’indique le nom, que j’ai oublié, sous lequel il avait voyagé. Il avait été en possession d’un passeport belge, sa prétendue nationalité était donc belge, d’origine wallone. Abramov me demanda de me renseigner dans les hôtels de Changhaï et de Hongkong et de voir si je pouvais retrouver des traces de son passage. Ce que je fis, avec beaucoup de difficultés et sans succès dans ces deux villes ».
L’enquête menée par Roger Faligot et Rémi Kauffer a permis d’établir que Cremet partit pour la Chine le 6 octobre 1929. Dans le même temps il entreprit des démarches en France pour obtenir des faux papiers hors du circuit du Komintern. Accueilli à Shangaï par Richard Sorgue, se sentant menacé par les services de l’OMS et du GRU, il se fit disparaître au début 1931 et réussit à quitter la Chine début octobre 1931 avec la complicité du couple Malraux. Il passa par le Japon puis les États-Unis avant d’arriver à Cherbourg en décembre 1931. Par la mairie de Saint-Junien il obtient des papiers d’identité au nom de Gabriel, Pierre Peyrot, né le 5 octobre 1890 à Pons (Charente-Inférieure) [vrais papiers d’un portier de la Bourse du Travail de Saint-Junien]. Cremet partit à Bruxelles avec Louise Clarac où il se fit embaucher comme employé à la Société belge des appareils de contrôle.
S’il reste en dehors de la vie politique, ses sympathies restaient acquises aux communistes adversaires de Staline, particulièrement à Trotsky. Resté en contact avec Malraux, il l’aida pendant la guerre d’Espagne à monter une filière d’achat d’armes. Lui-même fut présent sur le terrain sans qu’on puisse établir exactement ses responsabilités. Il participa ensuite à la Résistance en liaison avec l’OCM, en compagnie de son amie d’alors, Jacqueline Hérouguelle qui mourut en novembre 1945.
Cremet choisit de rester clandestin et de regagner Bruxelles où il reprit son poste à la SBAC.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article21063, notice CREMET Jean, Louis, Aimé, Marie par Jean Maitron, Claude Pennetier, version mise en ligne le 19 avril 2021, dernière modification le 17 avril 2021.

Par Jean Maitron, Claude Pennetier

SOURCES : Arch. Jean Maitron, fiche Jean Cremet. — Arch. Nat. F7/13017, rapport du 9 octobre 1928, F7/13050, F7/13112, rapport du 28 avril 1927, F7/13611, rapport du 23 février 1920, F7/13641, rapport du 29 décembre 1921 et 1er juin 1923. — Arch. Dép. Seine, D 3 M 2, n° 6. — Arch. Dép. Loire-Atlantique, 1 M 116, 1 M 613, 1 M 614, 1 M 2321, 1 M 2322 ; Arrondissement de Paimbœuf, Commune de La Montagne, Registre de naissances, 1892, Acte n°34, 3 E 101/2 ; Registre de naissances, 1902, Acte n°15, 3 E 101/14 ; Arrondissement de Nantes, Commune d’Indre, Registre de naissances, 1912, Acte n°51, 3 E 74/44. — Arch. Dép. Bouches-du-Rhône, M 6/10802, rapport du 5 septembre 1925, M 6/10803, rapports du 1er et 11 août, 1er septembre 1925, M 6/10804, rapport du 15 juin 1926. — BMP, bobines 64, 95 et 150. — L’Humanité, 11 janvier 1926. — Le Conseil municipal : nos édiles, (avec photographie). — La Bretagne communiste, 1923-1924. — Le Réveil syndicaliste, 1926. — J. Humbert-Droz, L’œil de Moscou à Paris, Collection Archives, 1964, p. 27. — Ph. Robrieux, Histoire intérieure du Parti communiste, t. 4 — Henri Barbé, Souvenirs de militant communiste, op. cit. — Renseignements recueillis par Jacques Girault, Claude Geslin (Loire-Inférieure), Antoine Olivesi (Bouches-du-Rhône). — État civil de La Montagne, 7 janvier 1982. — Témoignage écrit de Ducroux, 23 p. — Correspondance d’Albert Vassart : Jean et Louise, très souvent cités se confondent avec Jean Cremet et Louise Clarac (Arch. Jean Maitron). — Roger Faligot, Rémi Kauffer, As-tu vu Cremet ? Fayard, 1991. — Roger Faligot, Rémi Kauffer, L’Hermine rouge de Shanghai. Les Portes du Large, 2004. — Notes de Renaud Poulain-Argiolas.

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