CRÉMIEUX Francis

Par Nicole Racine

Né en 1920, mort le 17 avril 2004 à Paris ; journaliste ; membre du Parti communiste français ; secrétaire général de la Société des amis de Louis Aragon et Elsa Triolet (SALAET) de 1994 à 2004.

Francis Crémieux en 1992
Francis Crémieux en 1992

Francis Crémieux était le fils unique de Benjamin Crémieux (1887-1944), écrivain et critique littéraire, membre de l’équipe de La nouvelle revue française, spécialiste de littérature italienne, secrétaire général du PEN Club français et de Marie-Anne Comnène (1892-1978), écrivain. Celle-ci a retracé la vie familiale dans un roman publié en 1945, France, où elle transpose l’enfance et la jeunesse de son fils Francis et évoque de façon transparente les relations parfois tendues entre le père et le fils pour lequel il espérait une scolarité plus brillante.
En 1938-1939, en classe de philosophie au lycée Henri IV, Francis Crémieux eut comme professeur René Maublanc*. D’après son camarade Jean Suret-Canale* qui était dans la même classe que lui, il était ardemment antimunichois sans être communiste (Suret-Canale* adhéra aux Étudiants communistes en juin 1939).
Il fut réfugié à Sanary (Var) en 1940 avec sa famille. Expulsé du département le 15 août 1941, avec son ami Tristan Tzara*, après une altercation qui l’avait opposé à des légionnaires, il devint l’un des créateurs de l’AS de Combat à Toulouse en 1942 (où il sera arrêté en octobre). Il fut ensuite délégué itinérant du NAP où son père avait des responsabilités. Interpellé à Toulon le 16 février 1943 par un policier français alors qu’il avait rendez-vous avec Henri Sarie, il parvint à s’échapper. Francis Crémieux se rapprocha des communistes en rejoignant les FTP.
Il raconta que son père l’avait chargé, début 1942, de persuader André Malraux de rejoindre la Résistance, mais celui-ci lui aurait répondu que le salut ne pouvait venir que des Alliés. Son père, qui se trouvait trop âgé pour la forme de résistance qu’avait choisie son fils, s’engagea activement en 1942 dans le service de renseignements du mouvement « Combat » aux côtés de Jean Gemähling. Arrêté sur dénonciation à Marseille en avril 1943, il fut détenu dans plusieurs endroits puis interné à Drancy et Compiègne et déporté à Buchenwald où il mourut d’épuisement le 14 avril 1944. De son côté, Francis Crémieux, détenu à Lyon puis au camp de Saint-Sulpice dans le Tarn, fut finalement libéré.
Rentré à Paris en février 1945, il collabora aux journaux communistes l’Humanité, Ce Soir, Les Lettres françaises, l’Humanité-Dimanche. Il entra à la radiodiffusion française en partie grâce à la protection de Jean Cassou*. Il réalisa et anima plusieurs émissions dont la plus importante « Ce Soir en France », se présentait sous forme de dialogue avec des journalistes de la presse écrite. Au printemps 1947, on lui reprocha de favoriser la propagande du PC et la formule de l’émission fut modifiée. À l’automne 1947, la direction lui en retira la responsabilité. S’il ne fut pas renvoyé de la radio, il fut privé de fait de toute activité journalistique. En 1948, il produisit des émissions littéraires avec le Comité national des écrivains, encourant le reproche d’inviter essentiellement des écrivains et poètes communistes. Lors des troubles de 1948, l’Humanité dénonçait avec violence « radio Moch » et le responsable des services d’information de la radio, Vital Gayman*, ancien du parti qui l’avait quitté après le Pacte germano-soviétique. L’information était alors particulièrement surveillée par le gouvernement mais le point de vue communiste pouvait encore s’exprimer malgré la suspension de toutes les émissions de débat. Un violent incident eut lieu, le 11 novembre 1948, opposant Crémieux à Gayman qui lui avait reproché des phrases tendancieuses. Crémieux était alors parti rejoindre le cortège des manifestants communistes commémorant aux Champs-Elysées le 11 novembre 1940 et avait défilé sous les fenêtres du « Journal parlé ». Il fut licencié dès le 12 novembre 1948 pour faute professionnelle (renseignements fournis par Hélène Eck s’appuyant sur des archives de la direction de la radiodiffusion ainsi que sur le témoignage que lui a donné Francis Crémieux en novembre 1992).
Après son licenciement, Francis Crémieux continua à faire de la radio travaillant pour le Parti. Il s’occupa des « Postes de la paix », émissions en français produites par le PC dont la diffusion était assurée par les émetteurs de Prague, Budapest et Varsovie en ondes courtes. Au moment du congrès de Gennevilliers en 1950, les premiers essais commencèrent avec compte rendu de congrès et diffusion de larges extraits des discours. Les modalités d’une coopération permanente avec les pays frères furent alors mises au point avec production d’émissions quotidiennes à destination de la France. Pour sa principale émission clandestine, Crémieux avait repris le titre de « Ce soir en France » (avec un reportage le 28 avril 1952 sur les manifestations contre Ridgway).
Il revint à la RTF en 1959. Ses entretiens avec des personnalités du monde des lettres et des arts, dont certains ont été édités, comme ses dix entretiens avec Aragon, Daniel-Henry Kahnweiler, restent des documents précieux. En 1966, il lança avec le gaulliste Jean de Beer une émission hebdomadaire très écoutée, « le Monde contemporain ».
En 1983, il démissionna de la radio. Passionné par l’histoire du PCF, en particulier par la période 1939-1941, il publia plusieurs ouvrages défendant l’attitude du parti après le Pacte germano-soviétique. On peut citer l’ouvrage écrit avec Jacques Estager, Sur le Parti : 1939-1940. Les Carnets inédits d’André Marty furent longtemps en sa possession, carnets que lui avait remis Gaston Plissonnier au moment où il travaillait sur l’histoire du PCF. Peu de temps avant sa mort, il confia ces documents qu’il avait l’intention de retranscrire, aux archives du PCF à Bobigny.
Collaborateur de la rubrique internationale de l’Humanité, il devint en 1983 son envoyé spécial en Afghanistan, défendant l’intervention militaire soviétique. Après la chute des khmers rouges, il participa à des actions de solidarité avec le peuple cambodgien, notamment avec le Comité d’aide médicale présidé par le docteur Jean-Yves Follézou*, et à la création des Amitiés franco-cambodgiennes.
Pendant ses dernières années, secrétaire général de la Société des amis de Louis Aragon et Elsa Triolet, il consacra une grande partie de son temps à la mémoire et la défense de l’œuvre et de l’action du couple d’écrivains. Il s’était opposé notamment aux thèses défendues par Pierre Daix* dans sa biographie d’Aragon* sur le « communisme national ».
Le rôle de Francis Crémieux dans le parti et au sein des organismes internationaux communistes reste difficile à cerner tant que certaines archives restent fermées.
Mort à l’hôpital Cochin en avril 2004, Francis Crémieux fut inhumé dans le cimetière marin de Cargèse en Corse.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article21065, notice CRÉMIEUX Francis par Nicole Racine, version mise en ligne le 25 octobre 2008, dernière modification le 23 juillet 2018.

Par Nicole Racine

Francis Crémieux en 1992
Francis Crémieux en 1992

ŒUVRE CHOISIE : Entretiens avec Emmanuel d’Astier, Belfond, 1966. — Avec Aragon, 1970-1982 : entretiens avec Francis Crémieux/Jean Ristat, Gallimard, 2003. — Entretiens avec Francis Crémieux : mes galeries et mes peintres, Gallimard, 1998. — Avec Jacques Estrager, Sur le Parti : 1939-1940, Temps actuels, 1983. — La Vérité sur la Libération de Paris. Témoignages d’André Cassel, Jacques Chaban-Delmas, commandant Gallois-Cocteau, Léo Hamon etc., Belfond, 1971, Messidor, 1981. — « Une rencontre avec Aragon mars 1944 », Recherches croisées Aragon-Elsa Triolet, 10.

SOURCES : Thèse d’Anne de Beer, « Le Monde contemporain, un espace radiophonique original », Université de Paris VIII, 1987. — L’Humanité, 21 et 23 avril 2004. — Le Monde, 23 avril 2004. — François Eychart, présentation du « Cahier Benjamin et Francis Crémieux », Faites entrer l’infini, n° 38 (articles de Catherine Helbert, Jean Albertini, Jean Suret-Canale, Michel Tartakowski, José Fort, Henri Alleg, Roger-Maurice Bonnet, fils de la première femme de Francis Crémieux). — Recherches croisées Aragon-Elsa Triolet, n° 10. — Entretien de Nicole Racine avec Francis Crémieux, le 31 mars 2000. — Fonds Francis Crémieux aux Archives Nationales, 25AR.

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