CRETAGNE Marcel

Par Jean-Pierre Ravery

Né le 29 août 1915 à Paris (Xe arr.), mort le 14 mai 1983 à Tours (Indre-et-Loire) ; chaudronnier d’aviation ; militant du PCF ; résistant communiste, membre du groupe spécial dit « groupe Valmy », alias « Tours », exécuteur de Marcel Gitton et Georges Déziré sur ordre du Parti communiste.

Marcel Cretagne après la Libération
Marcel Cretagne après la Libération

La mère de Marcel Cretagne, Marie née Galle, était une enfant de l’assistance publique. Après le décès prématuré de son premier mari, grièvement blessé pendant la Première Guerre mondiale, elle se remaria avec un militant communiste d’Issy-les-Moulineaux, Eugène Rouaud, qui deviendra agent EDF lors de la nationalisation des entreprises productrices d’électricité. À l’âge de dix-huit ans, Marcel Cretagne s’engagea dans la Marine pour trois ans. En 1935, il épousa Paulette Cottereau (née le 12 août 1909 à Coguers, Sarthe) à Meudon où elle était employée dans une blanchisserie. Leur fils Jacques naquit le 27 mai 1936 à Toulon. Ils eurent une fille prénommée Michèle le 4 mai 1949. Pendant son temps de service, Marcel connut la répression anticommuniste , sa mère lui ayant fait parvenir une bouteille emballée dans des pages du journal l’Humanité.

Rendu à la vie civile en septembre 1936, Marcel trouva une place de chaudronnier chez Renault-Caudron-Aviation. Il y était délégué CGT lors des grèves d’avril 1938. En novembre de la même année, alors qu’un nouveau conflit avait éclaté et que le syndicat lui avait confié la responsabilité du ravitaillement, il fut licencié avec de nombreux autres militants. Deux mois plus tard, il retrouva un travail à l’usine Bréguet d’Aubervilliers avant d’entrer en avril 1939 chez Farman, un autre constructeur aéronautique, ce qui le rapprochait de son domicile d’Issy-les-Moulineaux.

À la veille de la guerre, Marcel Cretagne était l’un de ces nombreux militants communistes qui avaient forgé leurs convictions et leur résolution dans les luttes de la métallurgie parisienne. Le 22 septembre 1971, lorsqu’il apporta son témoignage à Alain Guérin pour la rédaction de Chronique de la Résistance, il se souvenait en ces termes de ses réactions aux événements politiques marquants de l’immédiat avant-guerre : « Le pacte, j’ai tout de suite compris. Par contre, quand Maurice Thorez avait pratiqué la politique de la main tendue aux catholiques, je n’avais pas tellement bien compris. C’est-à-dire que je n’étais pas capable d’expliquer aux vieux copains qui étaient tout à fait contre, pourquoi Maurice avait fait ça. »

Le 2 septembre 1939, Marcel Cretagne fut mobilisé par la Marine et affecté à Cherbourg. Il y retrouva d’autres militants du PCF, notamment Domergue, un ancien des Brigades internationales, et Karoubi, avec lesquels il organisa une sorte de « soviet de marins et de soldats » qui faisait circuler des tracts sous le manteau. Il fut finalement transféré à Brest pour travailler aux poudreries Saint-Nicolas. Lors de la débâcle du printemps 1940, il se lança sur les routes de l’exode mais fut fait prisonnier à Laval. Pendant sa captivité, sa femme lui rendit visite et lui donna des nouvelles de ses camarades de chez Farman où elle travaillait elle-même.

En septembre 1940, il réussit à s’évader avec une vingtaine d’autres prisonniers, en profitant d’une corvée de nettoyage du stade de Laval. Rentré à Paris dans le flot des réfugiés retour d’exode, il se fit démobiliser par la gendarmerie de Boulogne-Billancourt. Il retrouva rapidement une place chez Renault-Caudron. « Quand les copains m’ont vu arriver, racontait-il en 1971, ils étaient un peu craintifs, se demandant ce que j’allais encore leur demander de faire. On a surtout collé des papillons dans l’usine contre Pétain, Laval, Déat, et diffusé la VO et l’Huma dans les placards, les tiroirs, les boîtes à outils. » Marcel Cretagne se vit confier la responsabilité de la diffusion de l’Humanité clandestine sur Boulogne-Billancourt.

En janvier 1941, il fut arrêté puis relâché par la police française, alors qu’il rendait visite à un vieil ami qui habitait Pigalle et qui était surveillé. Il décida alors de se « mettre au vert » du côté de Montrichard (Loir-et-Cher), dans sa belle-famille. Un camarade ariégeois avec lequel il s’était évadé du Frontstalag de Laval, Antoine Subra, aiguilleur à La Charité-sur-Loire, l’aida à passer la ligne de démarcation.

Au printemps 1941, il croisa par hasard un ancien collègue et voisin (ils habitaient tous les deux la rue Jeanne d’Arc à Issy-les-Moulineaux), Fosco Focardi, qui lui proposa de se remettre totalement au service du parti clandestin. Cretagne accepta. Une identité d’emprunt et des faux papiers lui furent procurés, ainsi qu’un emploi de balayeur au lycée Claude Bernard à Paris. Il fut bientôt sollicité pour participer à la formation d’un groupe punitif chargé d’exécuter d’anciens dirigeants du PCF passés à la collaboration. Placés sous la responsabilité de Marius Bourbon, lui-même contrôlé par le responsable national aux Cadres, autrement dit par la direction du PCF (Frachon, Duclos), d’autres métallos de la rue Jeanne d’Arc d’Issy-les-Moulineaux, connus d’Arthur Dallidet avant-guerre, constituèrent avec lui le premier noyau : Fosco Focardi, Émile Bevernage. Chaque membre du groupe était désigné par le nom d’une ville française : Cretagne reçut le pseudonyme de « Tours ». Il disposait d’une planque, rue des Petites-Ecuries, qu’utilisait également son agent de liaison, Solange Welter.

Selon l’enquête conduite par Charles Siquoir, du service des cadres, en 1946, ce sont des « éléments peu intéressants » (du point de vue de leurs capacités politiques) qui avaient été affectés à ce GP. Dans le cas de Cretagne étaient relevés pêle-mêle « une affaire d’arrestation, de liaison avec un exclu, de fuite en zone sud ». Il lui fut également reproché d’être « lié au milieu du Bd Sebastopol », de « trafiquer en tout » et de « passer son temps libre dans les cafés de ce quartier ». Ce qui n’empêcha pas Marcel Cretagne de s’acquitter avec efficacité du « sale boulot » qui lui était confié. C’est ainsi que le 4 septembre 1941 dans une rue des Lilas, il tua d’un coup de revolver l’ancien secrétaire à l’organisation du PCF, Marcel Gitton, qui avait basculé dans la collaboration et s’était lancé dans une vaste opération de débauchage des cadres communistes internés. C’est encore lui qui le 17 mars 1942 exécuta Georges Déziré dans la cave d’un pavillon de Chatou.

En 1971, il assumait ses actes en se fondant sur les justifications qui lui avaient été fournies à l’époque : « jusqu’à sa trahison à l’assemblée nationale, j’avais la plus grande confiance en Gitton. C’était, disons-le, une idole. À partir de ce moment-là et ce qui m’a incité d’avantage, c’est que j’avais su qu’il était un infâme bonhomme qui se chargeait de faire libérer des communistes internés si leurs femmes couchaient avec lui ou s’il était payé largement. J’avais su ça par Focardi. Tuer un bonhomme, ça fait un drôle d’effet. Mais après avoir bien réfléchi, il fallait le supprimer. C’était pas un homme, c’était un bourreau, c’est ça l’idée qui m’a aidé. »

Concernant Georges Déziré, (qui avait été officieusement réhabilité par la direction du PCF dés 1951 et qui allait l’être publiquement en 1972), la mémoire de Marcel Cretagne avait procédé à quelques arrangements avec la réalité pour continuer de justifier sa mise à mort : « il a faibli après avoir été arrêté et remis en liberté. Il a fait tomber des copains. Mais on voulait en avoir la certitude. Il avait été amené à Chatou par Bourbon qui en avait été chargé par Dubois. Il a été interrogé tout un après-midi. À la fin, il a avoué qu’il avait dénoncé. Il nous a demandé la clémence pour son passé de militant. En fait de clémence, on lui a laissé fumer une cigarette et je lui ai tiré une balle dans la tête. Il a encore eu la force de se lever pour s’enfuir. J’ai été obligé de lui retirer dedans. Avec Focardi, on l’a foutu dans la Seine. »

Marcel Cretagne participa à la plupart des actions du groupe Valmy, comme l’attaque à la grenade d’un détachement de la Wehrmacht rue d’Hautpoul (XIXe arr.) en août 42 ou les attentats à la bombe contre les bureaux des permissionnaires allemands gare Montparnasse et gare de l’Est. Sa participation à vingt-sept actions importantes fut homologuée après la guerre. Il fut arrêté le 27 octobre 1942 à 20 h 30 par des inspecteurs de la BS2 en compagnie de Solange Welter, dans la station de métro Étienne Marcel, suite à la capture de plusieurs membres du groupe Valmy (Lucien Magnan, Marius Bourbon, René Belloni, etc...). La police française le livra aux Allemands qui l’internèrent à Fresnes, puis à Romainville, avant de le déporter à Mauthausen le 27 mars 1943. Il y fut tenu à l’écart de l’organisation clandestine du parti du fait des écarts de conduite que lui reprochaient ses camarades (fréquentation du milieu, etc …).

Envoyé au kommando Moedling Florisdorff près de Vienne, il fut ramené fin avril 1945 au camp à marche forcée. Au cours de ce calvaire de huit jours, il eut le nez écrasé par un coup de crosse. À la libération du camp, il se porta volontaire pour aider à soigner ses co-détenus du « camp russe », le Block 6. Il y contracta le typhus. Transporté à l’hôpital de Linz, il s’en évada après avoir constaté que l’alimentation qui leur était fournie leur faisait courir un risque mortel. Il réussit alors à intégrer une colonne militaire et à se faire rapatrier en France par avion. Il fut admis à l’hôpital Bichat le 31 mai 1945. Il ne pesait plus que 32 kg. Sa femme Paulette qui avait été déportée à Ravensbrück rentra en juillet.

Une fois rétabli, Marcel Cretagne se fit réembaucher chez Caudron. Selon Georges Beyer qui le rencontra en mai 1946, il déployait « une excellente activité, défendant le mieux la politique du parti dans son secteur ». Cela n’empêcha pas son exclusion l’année suivante, à l’issue de l’instruction de l’affaire Valmy par la CCCP. Marcel Cretagne en conserva de l’amertume, même s’il continua d’entretenir des relations amicales avec de nombreux survivants de la Résistance, parmi lesquels Marcel Paul. Sa santé ne lui permit pas de faire face très longtemps aux contraintes du travail de chaudronnier. Il était fréquemment pris de malaises. Il finit par donner son congé pour prendre une place de chasseur à la Gaieté-Lyrique, boulevard Sébastopol. Au milieu des années cinquante, il fut atteint de tuberculose et dut effectuer un long séjour en sanatorium, à l’issue duquel il fut pensionné. Sa femme avait obtenu un emploi réservé à la Manufacture des Tabacs de Charenton qu’elle occupa quinze ans. En 1964, ils s’installèrent à Ruillé-sur-Loir (Sarthe) où leur fils Jacques était instituteur.

Marcel Cretagne décéda le 14 mai 1983 à Tours. Il venait d’effectuer un voyage à Ravensbrück avec deux de ses petites-filles, Cécile et Galliane. Il était officier de la Légion d’Honneur et titulaire de la Croix de Guerre et de la Croix du combattant volontaire de la Résistance.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article21097, notice CRETAGNE Marcel par Jean-Pierre Ravery, version mise en ligne le 25 octobre 2008, dernière modification le 17 février 2015.

Par Jean-Pierre Ravery

Marcel Cretagne après la Libération
Marcel Cretagne après la Libération
Paulette Cretagne à Romainville
Paulette Cretagne à Romainville

SOURCES : Interview de Marcel Cretagne le 22 septembre 1971 par Dominique Durand ; entretien avec son fils Jacques le 26 avril 1996. — Alain Guérin, Chronique de la Résistance, éditions Omnibus, Paris 2000. — Archives de la CCCP, notes de J.-P. Ravery. — Jean-Marc Berlière et Franck Liaigre, Liquider les traîtres, éd. Robert Laffont, Paris 2007.

ICONOGRAPHIE : Chronique de la Résistance (dans l’édition en cinq volumes du Livre Club Diderot). — Liquider les traîtres, (photo d’identité judiciaire).

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