YOUDINE Albert [MORGENSTEIN Gers dit YOUDINE Albert, pseudonyme JOUVET Albert sous l’occupation]

Par Zoé Grumberg

Né le 4 septembre 1909 à Baltzi (Roumanie), mort en 1977 ; chimiste tanneur, coupeur de peaux, enquêteur social ; militant communiste en Belgique puis en France, responsable du « travail juif » et de la MOI, secrétaire général du MRAP, secrétaire général de l’UJRE à partir de 1955 ; résistant.

Fils de Ruvin Morgenstein, manœuvre, mort en déportation, et de Nahana Morgenstein (nom de jeune fille inconnu) sans profession, Gers Morgenstein avait un frère, Boris, cheminot puis dessinateur de chemin de fer en URSS, et une sœur, Esther, qui partit avant ou après-guerre en Palestine où elle vécut de l’agriculture dans un « collectif » (vraisemblablement un kibboutz) et appartint à l’Hachomer Hatzaïr. En 1927-1928, alors âgé de 18-19 ans, Gers Morgenstein rejoignit le groupe de jeunesse sioniste Macabi et devint dirigeant de groupe, tout en suivant sa scolarité au lycée de Baltzi. En 1929, il quitta son pays natal et émigra en Belgique où il adhéra pour la première fois au Parti communiste, à Liège. Il participa alors au « travail juif » dont il devint responsable pour la ville. Il suivit par ailleurs des études à l’école liégeoise de tannerie. Il en sortit avec le diplôme de chimiste tanneur. Au début de l’année 1933, expulsé de Belgique en raison de son activité politique, il rejoignit la France. Il entra sur le territoire français le 11 février 1933 par Feignies (Nord), avec un passeport roumain délivré à Bruxelles le 7 février 1933. Ayant gagné Paris, il y fut secrétaire des amis de l’URSS et membre de la sous-section juive de la MOI. Il aurait aussi fréquenté la Faculté de Sciences entre 1933 et 1938 et/ou l’école des Arts et Métiers. De 1935 à 1939, il fut responsable du travail culturel parmi les Juifs et membre de la direction de la sous-section juive de la MOI. Parallèlement, il ne parvint pas à obtenir l’autorisation de travailler comme chimiste et exerça donc les métiers de coupeur en peaux et de fourreur. Il adhéra en 1935 au syndicat CGT des Cuirs et peaux.

Engagé volontaire à partir du 17 octobre 1939, il fut incorporé au premier régiment de marche des Volontaires étrangers. Il fut toutefois réformé par la Commission de réforme de Perpignan le 8 décembre 1939 et renvoyé chez lui dès le lendemain. À son retour, il devint permanent du Parti communiste français, alors clandestin. Selon un questionnaire biographique de 1948, il fut de nouveau membre de la direction « pour le travail du Parti parmi les masses juif (sic) » en zone nord, jusqu’à décembre 1941. De janvier 1942 à décembre 1942, il fut membre de la direction pour le travail juif en zone sud, aux côtés de Jacques Ravine (de son vrai nom Jacques Speter). À la suite d’une filature et de sa présence dans une maison surveillée par la police, il fut arrêté à Lyon (Rhône) en mars 1942 et transféré à la prison Saint-Paul. Il était notamment soupçonné d’appartenir au Parti communiste. Il fut toutefois libéré en novembre 1942, après une condamnation de dix mois de prison pour détention de faux papiers. Alors qu’il devait être transféré dans un camp, un ordre aurait conduit à la libération de tous les détenus juifs, à la suite de l’arrivée des Allemands en zone sud, le 11 novembre 1942. Il dut expliquer cette libération surprenante aux responsables aux cadres du PCF, tant pendant qu’après la guerre. Après une autocritique et un blâme pour s’être laissé prendre, il fut toutefois intégré au triangle de direction de la MOI en zone sud, aux côtés, notamment, d’Édouard Tcharny-Kowalski. Il occupa cette position toute l’année 1943. Il aurait dirigé lui-même de nombreuses actions contre l’occupant, comme le déraillement d’un train allemand de la ligne Lyon-Grenoble lors d’une attaque à la grenade le 6 février 1943, la destruction de 20 camions allemands dans un garage lyonnais le 10 mai 1943, l’attaque de 20 soldats allemands à Grenoble le 17 décembre 1943. En janvier 1944, il fut rappelé dans la capitale et rejoignit le triangle de direction de la MOI en zone nord. Durant l’insurrection nationale, en tant que responsable politique, il dirigea le secteur contrôlé par la MOI. Il obtint quelques années plus tard la Croix de Guerre 1939-1945 pour son engagement dans la Résistance.

À l’issue de la guerre, il resta d’abord à la direction de la MOI, au 120 rue Lafayette (Xe arr.), avant d’être désigné pour intégrer la Commission politique pour le travail parmi les masses juives à la fin de l’année 1945. Il travailla alors aux côtés d’Adam Rayski (jusqu’à son départ pour la Pologne en 1949), d’Idl Korman (jusqu’à son départ pour la Pologne en 1954), de Michel Grojnowski dit Monikowski (qui quitta le secteur juif du PCF pour la commission de travail polonais de la MOI en 1949). En 1954, Youdine remplaça Idl Korman à la direction du secrétariat du secteur juif du PCF. À ses côtés se trouvaient désormais Jacob Gromb (probablement nommé à la fin des années 1940, , en remplacement de Rayski et Monikowski) et Marceau Vilner (Naoum Fansten, nommé en 1954 à la suite du départ de Korman en Pologne), avec qui il forma alors le triangle de direction du secteur juif.

Membre de plusieurs organisations du secteur juif du PCF dès l’immédiat après-guerre, Albert Youdine était, selon les Renseignements généraux, dans les années 1950-1960, un militant actif qui « se rend[ait] tous les jours, au 14 rue de Paradis », le quartier général des Juifs communistes à Paris. Il était ainsi membre de l’Union des Juifs pour la résistance et l’entraide (UJRE), organisation satellite du Parti communiste qui regroupait toutes les associations du secteur juif du PCF ainsi que de son organisation pour l’enfance, la Commission centrale de l’enfance (CCE). Dans ce cadre, il fut amené à se rendre aux États-Unis durant un mois en 1946, afin de collecter de l’argent « au profit des enfants de déportés et fusillés » de la CCE. Il visita les maisons d’enfants orphelins de la CCE à plusieurs reprises, comme en attestent les photos de cette époque et les souvenirs des enfants. En 1947, il fut naturalisé français, sa demande étant appuyée par l’Union des engagés volontaires anciens combattants juifs (UGEVRE), une association à laquelle il appartenait depuis sa fondation et dont il était membre du comité directeur. À partir de 1948, il devint secrétaire général du Mouvement national contre le racisme, l’antisémitisme et pour la paix (MRAP). Il appartenait aussi à diverses autres associations satellites du PCF. Dans l’immédiat après-guerre, bien que permanent du PCF, il semble avoir également travaillé comme chimiste tanneur à la maison Libermann. Très vite, il fut toutefois employé officiellement comme enquêteur social par la CCE, ce qui fut vraisemblablement rendu possible par sa naturalisation, l’association étant déclarée association française et non étrangère.

Parallèlement à ses activités dans le secteur juif du PCF, il militait dans la cellule Cresson, de la section d’Issy-les-Moulineaux (Seine, Hauts-de-Seine), ville où il était installé avec sa compagne Salomé (Denise) Dyskin et le fils de cette dernière. Il avait divorcé le 13 juin 1950 de son épouse Luiba Hauben. Au début des années 1950, Denise Dyskin, elle aussi membre du Parti communiste, était assistante sociale au COJASOR, une structure d’aide sociale fondée par l’organisation juive américaine le Jewish Joint Distribution Committee. Elle fut conduite à démissionner par le PCF, qui menaçait alors de ne pas envoyer Youdine à une cérémonie commémorative de la révolte du ghetto de Varsovie organisée par des Juifs communistes belges à Bruxelles, en avril 1951. Dans le contexte de la guerre froide, le parti ne souhaitait en effet pas que ses membres travaillent pour des organisations américaines. Elle semble ensuite avoir été assistante sociale à la mairie d’Ivry-sur-Seine (Seine, Val-de-Marne), un poste probablement obtenu par l’intermédiaire du PCF. En 1951, Youdine fut arrêté pour affichage électoral en dehors des panneaux réglementaires lors de la campagne pour les élections législatives. En 1955, il devint secrétaire général de l’UJRE, en pratique le principal animateur de l’organisation, les postes de président et vice-président étant surtout symboliques. Il conserva ses responsabilités tout au long des années 1960.

Aux côtés de Marceau Vilner et Henri Slovès, il participa à la délégation du secteur juif du PCF qui se rendit à Moscou à la fin des années 1950 pour prendre le pouls de la culture juive en URSS. Ce voyage fut à l’origine d’une crise au sein du secteur juif du PCF, dont attestent les différends qui se firent jour entre jour Youdine et Vilner, tenants de la ligne officielle selon laquelle la culture juive se développait en URSS, et Haïm Slovès qui refusa de signer le rapport.

Albert Youdine fut aussi rédacteur à la Naye Prese, l’organe de presse des Juifs du PCF. Il collabora avec la revue jusqu’à sa mort, en 1977.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article211205, notice YOUDINE Albert [MORGENSTEIN Gers dit YOUDINE Albert, pseudonyme JOUVET Albert sous l'occupation] par Zoé Grumberg, version mise en ligne le 31 janvier 2019, dernière modification le 5 juin 2022.

Par Zoé Grumberg

SOURCES : Questionnaire biographique du PCF. — Arch. PPo, 77 W 20819, dossier Youdine. — Amis de la Commission centrale de l’enfance, L’Album : la CCE, 40 ans de souvenirs, Paris, Amis de la CCE, 1998. — Boris Holban, Après 45 ans de silence, le chef militaire des FTP-MOI de Paris parle..., Calmann-Lévy, 1989.

rebonds ?
Les rebonds proposent trois biographies choisies aléatoirement en fonction de similarités thématiques (dictionnaires), chronologiques (périodes), géographiques (département) et socioprofessionnelles.
Version imprimable