CROIZAT Ambroise

Par Jean Maitron, Claude Pennetier

Né le 28 janvier 1901 à Notre-Dame-de-Briançon (Savoie), mort le 11 février 1951 à Suresnes (Seine, Hauts-de-Seine) ; ouvrier métallurgiste ; secrétaire de la Fédération unitaire des Métaux (1928-1936), secrétaire général de la Fédération CGT (1936-1939) ; membre du comité central du Parti communiste (1929-1951) ; député de la Seine (1936-1951) ; ministre du Travail (1945-1946, 1947).

[Assemblée nationale, Notices et portraits, 1936]

Ambroise Croizat était le fils d’Antoine Croizat, militant socialiste puis communiste (bien qu’issu d’une « famille bourgeoise cléricale » selon son autobiographie de 1930) de Lyon. Selon les sources, il était ouvrier ferblantier (questionnaire de 1949), ouvrier plombier zingueur (l’Humanité du 12 février 1981 et l’autobiographie de 1930), cafetier à Lyon (Mémoires de Vassart). Sa mère était employée dans un tissage de velours et mourut en 1918. Il eut une sœur et un frère ouvrier métallurgiste. Il quitta l’école primaire à douze ans et commença à travailler à la déclaration de guerre à l’âge de treize ans en qualité de manœuvre. Il réussit à se spécialiser en 1916 grâce à son embauche dans une usine d’orthopédie et par ses propres moyens. Il devint ainsi ajusteur-outilleur. Il ne recevait que des salaires bas (la « moyenne la plus faible de sa catégorie professionnelle »).

Ambroise Croizat adhéra dès 1916 au syndicat des métaux de Lyon et il participa aux mouvements de grève dans cette ville en 1917 et 1918. Il suivait, dit-il, son père « dans les réunions que venaient faire à Lyon Brizon, Raffin-Dugens et Alexandre Blanc. J’étais à fond avec eux ». Il entra au début de 1918 dans la Jeunesse socialiste et en 1919 au Parti socialiste « sur la base de la lutte contre les chefs jusqu’au-boutistes ». Il fut membre du Comité de la IIIe Internationale et naturellement de la SFIC après Tours. De la fin 1919 à avril 1921, il fut secrétaire du groupe de la JS de Villeurbanne, une des plus importantes du Comité d’entente des jeunes. Lors des grèves de 1920, il fut arrêté et fit un mois de préventive. Marié une première fois le 9 juillet 1921 à une adhérente du groupe, Germaine, Marie Girod, il eut un fils (mort accidentellement en 1950) mais fut « contraint par la force des choses de la quitter » au retour de son service militaire qu’il effectua d’avril 1921 à mai 1923 au 47e RAC à Héricourt. Il n’eut aucun grade mais se spécialisa comme maître pointeur. Après quelques mois d’inactivité politique de mai à septembre (il était dans une misère noire), il reprit sa place dans la JC à l’occasion d’une réunion publique avec François Billoux et dirigea le groupe des Jeunesses du 5e arrondissement de Lyon, fut membre du comité régional du PC puis désigné comme permanent du rayon du parti de Lyon. Au IVe congrès du Parti communiste, tenu à Clichy en janvier 1925, il intervint en faveur de la formation de noyaux de jeunes dans les syndicats. Il participa à la première école nationale organisée du 23 septembre au 16 octobre 1924 à Paris par la Fédération des JC, mais il travaillait surtout dans le syndicat unitaire des métaux déchiré alors par un conflit avec les anarchistes.

Ses engagements politiques et syndicaux lui valurent plusieurs licenciements. Un de ses amis lyonnais raconta : « Je me rappelle qu’en 1923, il était repéré par les patrons à un tel point qu’il lui était difficile de trouver à s’embaucher. C’est pour ça qu’on s’est arrangé pour qu’il entre à la robinetterie Seguin où je travaillais. Il avait vingt-deux ans ! Si vous aviez vu ce dynamisme, cette confiance qu’il inspirait » (témoignage de Rivoire, l’Humanité, 19 mai 1951). Appelé fin 1925 à la fédération des JC, il vint s’installer à Saint-Denis vers le début de l’année 1926. Il quitta son domicile dyonisien en avril 1926 pour habiter, 260 rue de Romainville aux Lilas, avec sa compagne Mariette Besson (née en 1907 à Saint-Étienne), dont il se sépara après avoir eu un fils (cette information n’est pas assurée et la famille n’en a pas connaissance). Selon son petit-fils, Pierre Caillaud-Croizat, « son deuxième mariage est celui avec Denise Mettetal, dont ils auront une fille, Liliane née en 1936 (ma mère) ».

Permanent au siège du Parti communiste, 120 rue Lafayette, il fit partie d’une délégation de jeunes qui se rendit en Russie en 1926. Le congrès d’août 1926 l’élut au comité central des Jeunesses communistes et il était un des dirigeants de la 4e Entente des jeunesses communistes (Seine, Seine-et-Oise, Seine-et-Marne). Pendant quatorze mois jusque juin 1928, il représenta la France auprès de l’Internationale communiste des jeunes, à Moscou, où il aurait suivi des cours de propagandiste.

À son retour, Ambroise Croizat vécut chez Maria Rabaté, rue Monge (Ve arr.) et devint, dès juin 1928, secrétaire de la Fédération CGTU des métaux en remplacement d’Octave Rabaté qui avait dû quitter précipitamment la France. Membre suppléant de la commission exécutive de la CGTU depuis 1925, il fut élu titulaire en 1929 et membre du bureau confédéral en 1931. Son ami Albert Vassart le présentait alors comme un « bon camarade et sans prétention excessive sincère et dévoué » (Mémoires, p 151). Lui-même, dans son autobiographie de 1930, ne se reconnaissait pas d’aptitude particulière, « si ce n’est de ma part une tendance de toujours travailler dans le mouvement syndical ». Il affirmait aussi avoir des difficultés pour acquérir une culture politique n’ayant lu en dehors de l’Abrégé, que des « bouquins de Lénine ». En 1928, la CGTU l’envoya soutenir de nombreux conflits du travail en province : à Bordeaux, Belfort, Saint-Chamond, Arras, Lille, Dunkerque, Nantes et Marseille. En septembre-octobre, il dirigea une grève du textile dans la région de Lille-Roubaix-Tourcoing puis effectua, en décembre, une tournée d’agitation et de propagande dans les régions de l’Ouest. Et, en février 1930, il anima une grève de la métallurgie dans la région de Belfort. Le congrès communiste de Saint-Denis (31 mars-7 avril 1929) l’a peut-être désigné au comité central (il l’affirmait dans le questionnaire de 1949) mais il ne figure sur aucune des deux listes (non officielles) des membres élus (voir t. 16 du DBMOF). Par contre, il fut bien élu suppléant au 7e congrès du 1932 et titulaire aux congrès suivants jusqu’à sa mort. Ambroise Croizat avait accédé aux plus hautes fonctions pendant la période de la direction Barbé-Célor. Ceux-ci voyaient dans ce cadre issu des JC, un allié. Certaines interventions de Croizat dans les grèves - ainsi, elle des lunetiers de Morez au début de l’année 1930 - étaient marquées par une volonté de subordonner les conflits sociaux aux intérêts immédiats du Parti, conformément à la politique de la période. Lorsqu’au comité central des 26-28 août 1931, Maurice Thorez dénonça le sectarisme du noyau de la Jeunesse, il eut une phrase contre Croizat qui avait : « une certaine tendance à justifier les groupes et la tendance au groupe, et c’est un très grand danger » (l’Humanité, 3 octobre 1931). Sa candidature aux élections législatives de mai 1932 fut envisagée dans la première circonscription de Belfort en remplacement de Jacob, exclu du Parti communiste mais la Région fit adopter le nom d’Armand Carré. Croizat apparaît surtout comme le dirigeant de la plus importante Fédération de la CGTU et le congrès inter-fédéral d’unité de Toulouse l’élut secrétaire général de la Fédération des métaux. Albert Vassart affirma que le bureau politique du Parti communiste aurait envisagé de le remplacer à cette importante fonction, mais rien de tel ne se produisit et Croizat resta secrétaire général jusqu’en 1939 malgré son élection au parlement (Arch. Jean Maitron, note de Vassart sur Croizat). Dans un témoignage recueilli en août 1981 par Bernard Pudal, Louis Manguine, qui fut élève à l’École léniniste internationale de Moscou en 1932-1933, évoque le passage de Croizat à l’ELI. Rien ne confirme cette assertion.

Candidat aux élections législatives des 26 avril et 3 mai 1936 dans la deuxième circonscription du XIVe arr. de Paris (quartier Plaisance), Croizat devança au premier tour le socialiste S. Graziani (sortant) avec 6 294 voix contre 5 452, sur 21 782 inscrits et 19 464 votants. Bénéficiant du désistement socialiste, il conquit le siège au second tour avec 10 935 voix contre 7 654 à Dumat (URD), sur 19 141 votants. Croizat prit une part active à l’élaboration des grandes lois sociales du Front populaire (les 40 heures, les congés payés, les délégués du personnel) comme membre de la commission spéciale constituée à cet effet. Il siégea également à la commission de la Marine militaire, à celle du Travail et à celle de l’Aéronautique. Il fut désigné à la commission supérieure du Travail. Rapporteur du projet de loi sur les conventions collectives du travail, il prit part à sa discussion, ainsi qu’à celle concernant les procédures de conciliation et d’arbitrage dans les conflits collectifs du travail. Il intervint sur le budget du Travail de l’exercice 1939 (durée hebdomadaire du travail, rendement des entreprises, congés payés) et, en 1939, sur l’amnistie des ouvriers frappés à la suite de faits de grève (Dictionnaire des parlementaires, t. III). Il fut membre du Conseil national économique de 1936 à 1940.

Ambroise Croizat approuva le Pacte germano-soviétique et s’inscrivit au Groupe ouvrier et paysan français (GOPF) qui remplaçait le groupe communiste. Entendu par le magistrat instructeur, le capitaine Moissac, le 5 octobre 1939, il se solidarisa avec la « lettre du 1er octobre » au président Herriot. La police l’arrêta dans la nuit du 7 ou 8 octobre 1939 à la sortie de l’Assemblée Nationale. Il fut déchu de son mandat de député le 20 février 1940 et condamné, le 3 avril 1940, par le tribunal militaire, à cinq ans de prison et 4 000 francs d’amende. Il connut dix-sept prisons françaises dont celle du Puy (Haute-Loire) avant d’être transféré en Algérie, à la prison de Maison-Carrée, en mars 1941. L’avance alliée permit sa libération le 5 février 1943. Croizat se mit aussitôt au service de la direction du PCF. En mai 1943, la CGT le délégua auprès du gouvernement d’Alger avec Bouzanquet, Buisson, Gazier et Fayet. En août 1943, il fut délégué en Tunisie pour réorganiser le parti et le mouvement syndical. Il fit partie de l’Assemblée consultative provisoire, à Alger, puis à Paris, comme membre des commissions des affaires économiques et sociales, de réforme de l’État et de législation, de l’équipement national. Croizat suivit particulièrement les projets de création de comités d’entreprises dans les établissements industriels et commerciaux et l’organisation de la Sécurité sociale. Les électeurs de la première circonscription de la Seine (Ve, VIe, VIIe, XIIIe, XIVe, XVe arr.) l’envoyèrent siéger à la première Assemblée nationale constituante le 21 octobre 1945. Il avait obtenu 115 657 voix sur 441 829 votants. Il conserva son mandat aux élections générales du 2 juin 1946 (deuxième Assemblée nationale constituante) avec 120 586 voix sur 439 345 votants, puis aux élections du 10 novembre 1946 avec 128 941 voix sur 439 679 votants. De Gaulle l’appela en qualité de ministre du Travail dans son deuxième cabinet (22 novembre 1945 au 22 janvier 1946), Félix Gouin lui conserva ce portefeuille (27 janvier-11 juin 1946) et, après une interruption, Georges Bidault le nomma au nouveau ministère du Travail et de la Sécurité sociale (24 juin 1946 au 28 novembre 1946). Il fut ministre du Travail dans le cabinet Ramadier, installé le 22 janvier 1947. Le 4 mai 1947 les ministres communistes furent écartés du gouvernement. Croizat avait disposé de vingt-huit mois, coupés par un intermède de deux mois (décembre 1946-janvier 1947) pendant lequel le socialiste Daniel Mayer avait bénéficié du portefeuille. Celui-ci raconta que Croizat, sûr de son retour prochain, avait quitté Mayer en disant aux huissiers « À bientôt » (Cahiers Léon Blum, nos 6-8, p. 140). Le nom d’Ambroise Croizat resta lié aux trois lois organisant la Sécurité sociale, adoptées par le parlement en 1947 (proposition de loi relative à l’organisation administrative de la Sécurité sociale, proposition de résolution concernant les élections aux conseils d’administration des caisses de sécurité sociale et d’allocations familiales, projet de loi relatif au régime de sécurité sociale des fonctionnaires). Mais, son œuvre concerna également : les congés payés des jeunes travailleurs, le régime des prestations familiales, l’aide aux économiquement faibles, l’égalité des salaires entre hommes et femmes, la rémunération des heures supplémentaires... Redevenu simple député, il prit une part active à la vie de la Chambre tout en soutenant le mouvement syndical. Il appartenait à la cellule Maine, section du XIVe arrondissement (Plaisance). Il était alors marié à Denise Mettetal, ouvrière métallurgiste. Sa mort soudaine à l’âge de cinquante ans provoqua une vive émotion dans les milieux communistes. La CGT et le PCF lui organisèrent des funérailles grandioses au Père Lachaise - voir la page de photos dans l’Humanité du 19 février 1951. Le Parti communiste cita constamment en référence l’œuvre de Croizat dans les débats sur l’éventuelle participation de ministres communistes à un gouvernement de gauche.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article21126, notice CROIZAT Ambroise par Jean Maitron, Claude Pennetier, version mise en ligne le 25 octobre 2008, dernière modification le 1er octobre 2021.

Par Jean Maitron, Claude Pennetier

[Assemblée nationale, Notices et portraits, 1936]
[Assemblée nationale, Notices et portraits, 1946]
Ambroise Croizat est mort
Ambroise Croizat est mort
La Vie ouvrière, 16 février 1951
Croizat au milieu des JC de Lyon (17e Entente régionale)
Croizat au milieu des JC de Lyon (17e Entente régionale)
Deuxième rang à partir du haut. Premier à gauche.
Ambroise Croizat à dix-sept ans

ŒUVRE : Pour une France prospère : projets de lois et propositions du groupe parlementaire communiste, Paris, Éditions du Comité populaire de propagande, 1936. — Le Peuple attend : interpellations développées les 18 et 19 novembre 1937 à la Chambre des députés, Paris, Éd. du PCF, 1937. — L’Effort de production et les revendications des travailleurs : action du Parti communiste français à l’Assemblée nationale constituante, Paris, Éd. du PCF, 1945.

SOURCES : Arch. Nat., F7/13771. — Arch. Ass. Nat., résultats électoraux. — Arch. Jean Maitron. — RGASPI, 495 270 8731 : dossier personnel. — Institut Maurice Thorez (ouvrages cités à œuvre). — L’Humanité, 3 octobre 1931, 19 février 1951 (obsèques), 11 et 12 février 1981 (« Il y a trente ans mourait Ambroise Croizat »). — La Voix du Peuple, hebdomadaire régional du Parti communiste, 14 mai 1937. — Le Monde, 13 février 1951. — La Voix du peuple au parlement, op. cit., p. 31. — Fonteyne, Le Procès des 44, op. cit., p. 99. — A. Vassart, Mémoires, op. cit. — A. Kriegel, Les Communistes français, op. cit., p. 91-92. — J. Varin, Jeunes comme JC, op. cit., p. 143. — J. Jolly, Dictionnaire des parlementaires français, Paris, 1963, t. III. — B. Pudal, Prendre parti, op. cit. — Annie Lacroix-Riz, La CGT de la Libération à la scission de 1944-1947, Éditions sociales, 1983. — Michel Étiévent, Ambroise Croizat ou l’invention sociale, Petit Cœur, 1999. — Colloque Ambroise Croizat. Son action, son œuvre, son actualité, 5 décembre 2012, Lyon, Cahiers d’histoire sociale Rhône-Alpes, n° 103-104, mai 2013.

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