CRUAU Robert, Joseph, Armel

Par Claude Pennetier, Jean-Yves Guengant

Né le 12 mars 1921 à Fégréac (Loire-Inférieure, Loire-Atlantique), exécuté le 6 octobre 1943 à Brest (Finistère) ; postier ; militant trotskiste du POI ; résistant.

Robert Cruau
Robert Cruau

Fils de Louis, facteur des postes, et de Louise, sans profession, Robert Cruau était postier à Nantes (Loire-Inférieure, Loire-Atlantique), d’abord aux chèques postaux puis à la Recette principale de Nantes. Il adhéra à la fédération postale de la CGT et participa aux Auberges de jeunesse. Dans ce cadre, il fit la connaissance de militants du Parti socialiste ouvrier et paysan (PSOP) de Couëron et de partisans de la IVe Internationale animée par Yvan Craipeau. Sous couvert des Auberges de jeunesse, des stages de formation eurent lieu en zone libre, à Mollans (Drôme) à laquelle se rendit Éliane Ronël.
Il était membre du comité régional de Bretagne du Parti ouvrier international (POI) au début de la guerre. Il assurait les liaisons avec Brest et Paris. Grâce à une ronéo apportée par des militants parisiens il put sortir le journal clandestin Front ouvrier, organe clandestin des ouvriers de la région nantaise. Il travailla notamment avec les frères Berthommé (Henri, Georges), Gérard Trévien et Yves Bodénez. En octobre 1942, pour protester contre la réquisition d’ouvriers français pour le travail forcé en Allemagne, les usines et chantiers navals de Nantes débrayèrent. « j’ai personnellement incité au débrayage avec d’autres camarades des chantiers Dubigeon » écrira Henri Berthommé, ajusteur chez Dubigeon. En mars 1943, Robert Cruau, pour des raisons de sécurité et pour échapper au STO, quitta Nantes pour Quimper puis Brest (Finistère), avec deux militants de Rezé, les frères Georges Berthomé et Henri Berthommé, qui se firent embaucher dans les chantiers de construction du mur de l’Atlantique situés au-dessus de la base sous-marine de Brest. Cette situation permit au groupe de transmettre à Londres des renseignements topographiques et à la Royal Air Force de bombarder, en juin 1943, la base sous-marine rendue inopérante pendant deux mois.
Jean-René Chauvin, membre de la direction du POI, se replia sur Nantes en 1942 et travailla avec Cruau et es frères Berthommé. À Quimper, la militante Éliane Ronël accueillit Jean-René Chauvin quelques jours à la fin de l’année 1942. L’appartement des Ronël devint la plaque tournante du mouvement trotskiste en Bretagne. Fin mars 1943, arrivèrent à Quimper, les militants nantais, qui pour des raisons de sécurité et parce que réfractaires au STO avaient besoin d’entrer dans la clandestinité. Ils vont participer à a mise en place de la stratégie dite du « travail allemand ».

« Nous envisageons en commun et discutons des formes appropriées d’activités pour la région bretonne et particulièrement le travail allemand. » Dès lors, le groupe se réunit régulièrement le dimanche rue Pen-ar-Steir. « Les réunions régionales groupant 6 à 8 camarades se tiennent le dimanche chez moi » (Éliane Ronël).
Le « travail allemand » consiste à provoquer la fraternisation avec les soldats allemands, dans l’idée de favoriser le défaitisme au sein des troupes allemandes et de démoraliser l’occupant en diffusant des tracts, un journal, et en recrutant des soldats allemands dans leur cellule de résistance. Il est à Brest animé par Robert Cruau, seul à parler correctement l’Allemand.
En août 1943, une vingtaine de militants se réunissent en Finistère (Daoulas ou Le Faou) et définissent les axes de leur action. Cruau est chargé du contact avec les soldats allemands. Depuis le printemps, il a engagé un contact avec une quinzaine de soldats. En juillet, le parti décide de diffuser un journal Arbeiter und Soldat (Le travailleur et le soldat), entièrement en langue allemande.

Robert Cruau engage la conversation dans la rue avec des soldats : « on propose une cigarette et on demande du feu. Enfin on dit « Scheisse Krieg hein ! ». Guerre de merde. S’il dit Ya ! Ya ! on tente d’engager le dialogue. » (Jean-René Chauvin). A Brest, et uniquement à Brest, cela marche.

Robert Cruau utilise auprès des Allemands plusieurs pseudonymes (dont Pléton, Max, pseudonyme connu de la Gestapo en octobre. Il opère sous l’identité de Roger Albert Cosquer, né le 12 mars 1918, comptable de profession, et habitant 55, rue Jules Guesde, à Brest.

Ils parvinrent à organiser à Brest, en mars 1943, des cellules de soldats allemands trotskistes (vingt-sept membres selon André Calvès, une quinzaine selon d’autres) et à diffuser en langue allemande, en juillet 1943, le journal Arbeiter und Soldat rédigé par des trotskistes allemands clandestins et édité à Paris par le POI et l’édition locale ronéotée à Brest.
Un soldat allemand, de l’organisation TODT utilise le cachet de l’organisation pour truquer les cartes de travail des réfractaires au STO. Un travail de renseignement sur les équipages de sous-marins de la base sous-marine débute. En septembre, au moins une vingtaine de soldats sont impliqués. Par eux, Konrad Leplow, de Hambourg, chargé de diffuser le journal parmi les soldats de la DCA. Un défaut de cloisonnement va trahir le groupe. Leplow assiste à une réunion avec Calvès, Cruau, et un autre soldat, Heinz. Leplow trahit le groupe. André Calvès en eut la certitude, dès qu’il débarqua le 14 octobre à Brest. Il n’avait pas connaissance à ce moment de la rafle et croisa par hasard Leplow à la gare de Brest. Ce dernier fut surpris par la présence de Calvès et lui répondit que tout va bien ! Un moment plus tard, Calvès fut informé par la famille Trévien de la rafle et de la mort de Robert Cruau. Il en déduit aussitôt la trahison de Leplow.

Alors qu’une dernière réunion se tint à Quimper le 5 octobre, le lendemain 6 octobre 1943 un vaste coup de filet a lieu à Paris (arrestation notamment de David Rousset) décapitant le POI et sa section allemande et à Brest, avec l’arrestation de Robert Cruau. Éliane Ronël fut arrêtée à Quimper. A Brest, le 7, furent arrêtés André Floc’h et Albert Goavec. Également arrêtés, Gérard Trévien, 23 ans, ouvrier tôlier à l’Arsenal, André Darley, 23 ans, photographe, Anne Kervella, Marcel Baufrère, 29 ans, manœuvre postier ; le 20 octobre, Henri Berthommé, ajusteur à l’arsenal de Brest, est arrêté à Nantes. André Calvès, arrivé à Brest le 14, échappa aux arrestations ainsi que Marguerite Métayer, en mission à Paris. Au total, onze militants bretons seront déportés, Georges Berthommé, Yves Bodénès, responsable régional du POI, Albert Goavec et André Floc’h décèdent en déportation.
Des arrestations et des exécutions ont lieu parmi les soldats allemands (Il y aurait eu 15 exécutions).

Arrêté sur dénonciation le 6 octobre 1943, Robert Cruau fut abattu par les soldats dans la cour de l’école de Bonne-Nouvelle à Brest, siège du SD et conduit mourant à l’hôpital. Il fut déclaré décédé sous l’acte n°372, « Le six octobre 1943 à dix-sept heures est décédé, 55 rue Jules-Guesde,.
L’ordonnance rectificative du tribunal de Brest, en date du 23 août 1945, redonne à Robert Cruau sa véritable identité, après une enquête qui conclut que « c’est pour échapper aux allemands que Cruau avait dû cacher à son entrée à l’hôpital de Brest sa véritable identité ». Les actes posent question sur le moment du décès de Robert Cruau. Sans doute, blessé grièvement, il a été transporté à l’hôpital où il décède.
Il est porté sur l’acte d’état-civil « Mort pour la France ». L’assassinat de Robert Cruau est le début d’un drame qui va concerner des dizaines de militants français et allemands.
Sa tombe se trouve dans le carré des fusillés, au cimetière de la Chauvinière, Nantes. C’est un lieu régulier d’hommages.

Les jeunes soldats allemands recrutés par Cruau auraient eux aussi été arrêtés et exécutés. Le groupe trotskiste de Brest fut démantelé ainsi que celui de la région parisienne (voir Roland Filiâtre*).
Robert Cruau a été inhumé dans le carré des fusillés au cimetière de la Chauvinière à Nantes.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article21166, notice CRUAU Robert, Joseph, Armel par Claude Pennetier, Jean-Yves Guengant, version mise en ligne le 14 avril 2014, dernière modification le 28 novembre 2019.

Par Claude Pennetier, Jean-Yves Guengant

Robert Cruau
Robert Cruau
Tombe au cimetière de la Chauvinière à Nantes
Tombe au cimetière de la Chauvinière à Nantes

SOURCES : Archives de Brest métropole, registres 3 E 395 -vue 095 et 3 E 397 – vue 103.. — Arch. Dép. Finistère. — Publications trotskistes. – André Calvès, Sans bottes ni médailles, (« J’ai essayé de comprendre » et autres écrits, disponibles sur le site andre-calves.org. — Erwan Le Bris du Rest, conférence du 16 février 2013, Quimper. — Site Internet de Éric Thouzeau. – AJPN, site des Anonymes, Justes et persécutés pendant la période nazie, ajpn.org. reproduction d’un article du Télégramme de 2002. — Parcours et témoignages militants, https://chsprod.hypotheses.org/jean-rene-chauvin-parcours-dun-militant/annees-40/eliane-ronel-berthome. — État civil. — https://www.resistance-brest.net

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