JAKOBOWICZ Sarah

Par Dominique Tantin, Bernard Pommaret, Isabel Val Viga

Née le 13 février 1929 à Kalisz (Pologne), massacrée le 10 juin 1944 à Oradour-sur-Glane (Haute-Vienne) ; victime civile.

Sarah Jakobowicz
Sarah Jakobowicz
crédit : MémorialGenWeb

Sarah Jakobowicz était la fille d’Aron (né le 12 décembre 1896, à Lututow, Pologne), et de son épouse Golda née Lys/Lis (née le 18 décembre 1894, à Wielm /Vielna, Pologne).
Elle avait un frère aîné, David (né le 24 septembre 1920), lequel épousa Chana Platek le 5 décembre 1940 à la mairie de Saint-Victurnien.
La famille était arrivée de Pologne dans les années trente, le père d’abord puis l’épouse et les enfants.Après avoir vécu à Paris, elle se réfugia en Limousin.
Arrivée à Limoges en 1940, la famille s’installa dans le hameau de La Malaise sur la commune de Saint-Victurnien. Ultérieurement, les Jakobowicz se déplacèrent de quelques kilomètres à La Barre sur la commune de Veyrac (ils y étaient présents au 1er novembre 1941, mais un doute subsiste concernant la chronologie : d’abord La Malaise ou d’abord La Barre de Veyrac ?). Les quatre membres de la famille firent apposer la mention Juif sur leur carte d’identité au 15 janvier 1943 à Veyrac.
David, qui avait été naturalisé, perdit la nationalité française le 14 octobre 1941. Incorporé aux Chantiers de jeunesse en 1941, il devint ensuite bûcheron puis il s’engagea dans la Résistance (maquisard FTP). Sarah fut mise à l’abri – à une date non déterminée - chez le cordonnier Martial Mâchefer et son épouse Anne née Bardet* qui habitaient le Bourg d’Oradour-sur-Glane, avec un autre enfant juif, Raymond Engiel, placé chez Mme Bertrand, à La Croix du Bois de Loup.
« Mon grand-père Houren, quitta la Pologne en 1930, en raison de la crise économique mondiale, pour venir s’installer, par la suite, à Paris, avec ma grand-mère, Golda et leurs deux enfants, David et Sarah*. Mon père David obtint la nationalité française qui lui sera retirée sous le régime de Vichy. A la fin des années 1930, la pression de l’idéologie allemande inquiéta la famille qui se réfugia à Limoges, peu avant l’arrivée des troupes allemandes à Paris, avant d’être dirigée vers la commune de Saint-Victurnien où elle s’installa à l’étage d’une grande bâtisse, à la Maison-Blanche dans le village de La Malaise, en bordure de foret, presque à mi-chemin entre Saint-Victurnien et Oradour-sur-Glane, près de la route nationale 141, reliant Limoges à Saint-Junien et à Angoulême. Mon père se maria avec Anna Platek presque aussitôt après, en 1940, à la mairie de Saint-Victurnien. (…) A la Maison-Blanche où nous résidions, mes grands-parents, mes parents, ma tante et moi, il y avait à l’étage inférieur un colonel qui recevait régulièrement Allemands, miliciens et collabos. J’étais encore un bébé, né en septembre 1942. Ma mère était enceinte et n’était pas en grande forme. En raison des activités résistantes de mon père, il fallait mettre chacun en sécurité, parce que mes parents avaient besoin de toute leur liberté de mouvement. Ma mère alla trouver Anna Gabriel qui était gantière à Oradour. Elle vivait dans une ferme en bordure du bourg, une maison en lisière de bois. Anna Gabriel accepta de me prendre en nourrice. Mes parents et ma grand-mère Golda pourraient venir me voir à leur convenance. Ma tante, Sarah*, avait rejoint une autre famille juive, les Kanzler, qui habitaient au premier étage de la maison de Martial Machefer, cordonnier à Oradour et militant communiste depuis bien avant la guerre. Ce dernier vivait avec sa famille dans cette maison, sur la place du Champ de Foire. Les Kanzler avaient fui la Hongrie pour venir s’installer en France, à Schiltigheim, en banlieue de Strasbourg. A la déclaration de guerre, ils avaient dû partir et s’étaient réfugiés à Oradour. Ils avaient deux filles qui étaient les meilleures amies de Sarah, elles avaient le même âge et se voyaient régulièrement le week-end : c’était facile à bicyclette. C’est donc tout naturellement que Sarah trouva refuge chez Machefer. (…) Mon père était à Cieux et il avait appris la nouvelle de l’attaque des SS. (…) Ils coururent comme des fous, l’inquiétude leur ayant donné des ailes, à travers champs. Ils évitèrent deux SS qui leur tournaient le dos et atteignirent enfin la maison de la gantière, où il n’y avait plus personne, Anna Gabriel ayant été emmenée par les Allemands vers son destin (elle reprit ses activités après la guerre, selon un témoin local, elle n’a donc pas péri dans l’église). Juste avant la rafle, pour me protéger, Anna Gabriel m’avait enfermé à double tour dans la cave et c’est ainsi que j’échappai au massacre. Mes parents trouvant la maison vide, après l’avoir entièrement visitée, descendirent au sous-sol et ce sont sans doute mes pleurs et mes cris qui les alertèrent. (…) Au petit matin, très inquiet pour sa sœur Sarah*, restée à Oradour, mon père partit aux renseignements avec quatre copains des environs. Mais ils ne purent atteindre le village qui flambait toujours. (…) Dans la soirée, mon père retourna seul à Oradour. Des SS éteint encore là pour ensevelir les cadavres. (…) Il entra chez Machefer et avança fébrilement dans les ruines chaudes. Sarah* devait être là, peut-être s’était-elle cachée ou peut-être s’était-elle échappée. Il vit les restes d’un lit de fer dans ce qui avait été la chambre de sa sœur. Sous l’ossature métallique tordue par les flammes, il y avait un paquet. C’était comme le souvenir d’un corps recroquevillé dont il ne restait qu’une dorme de cendres et de sarments calcinés. Il remarqua un bouton, un reste de chaussure sur un pied carbonisé, des cheveux blonds, l’émotion le terrassa. C’était sa sœur Sarah, sa petite sœur. La détresse l’envahissait, il prit dans ses bras ce qui avait été une jeune fille, une enfant de 15 ans, vive et adorable. Il demeurait cloué au sol, égaré dans ce cauchemar. Il resta ainsi figé de longs instants, puis son regard se posa sur ce qui restait du corps. Il rassembla ces restes dans un linge qu’il noua et mit dans un sac trouvé dans la maison. (…) Il connaissait une petite maison abandonnée au milieu d’un bois. Son père avait loué le jardinet pour y faire pousser quelques légumes. Il s’y arrêta et y creusa un trou pour y enterrer provisoirement sa sœur. Il rentra chez lui et fit part de sa funèbre découverte à son père, sa mère n’étant pas là. La vie de Golda bascula lorsqu’elle apprit la mort de sa fille, sa raison d’être. Elle ne semblait plus avoir toute sa tête, sa raison vacillait. Houren, lui, ne disait rien. Dans les jours qui suivirent le massacre, la famille devait se cacher, sans cesse, dans les fossés ou dans les champs par suite de la circulation presque interrompue des troupes allemandes qui battaient en retraite vers l’est de la France. »
Elle fut victime du massacre perpétré par les SS du 1er bataillon du 4e régiment Der Führer de la 2e SS-Panzerdivision Das Reich et brûlée dans sa maison.
Le corps de Sarah Jakobowicz fut reconnu par son frère et dissimulé dans une sépulture provisoire.
Elle fait partie des 52 corps identifiés pour lequel un acte de décès put être établi.
Sarah Jakobowicz obtint la mention « Mort pour la France » par jugement du tribunal de Rochechouart du 10 juillet 1945.
Son nom figure sur le monument commémoratif des martyrs du 10 juin 1944 à Oradour-sur-Glane. Une plaque en hébreu et en français est apposée sur sa sépulture.
Martial Mâchefer, absent lors du massacre, fut de retour le lendemain et dans ses Mémoires, Jean Henry (1910-2005), lui aussi témoin immédiat, évoque « Martial Mâchefer le cordonnier, errant et perdu comme moi-même parmi les ruines amoncelées et les dépouilles humaines calcinées à jamais. »
Ses obsèques furent organisées par l’UJRE et eurent lieu le 21 septembre 1944 au cimetière de Louyat à Limoges.
Son père finira ses jours en Israël, installé après guerre.


Voir Oradour-sur-Glane

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article212219, notice JAKOBOWICZ Sarah par Dominique Tantin, Bernard Pommaret, Isabel Val Viga, version mise en ligne le 19 février 2019, dernière modification le 5 janvier 2020.

Par Dominique Tantin, Bernard Pommaret, Isabel Val Viga

Sarah Jakobowicz
Sarah Jakobowicz
crédit : MémorialGenWeb
Résistants transportant le cercueil de Sarah Jakobowicz, 15 ans, le 21 septembre 1944 dans les ruines d'Oradour-sur-Glane, avant son transfert à Limoges.
Résistants transportant le cercueil de Sarah Jakobowicz, 15 ans, le 21 septembre 1944 dans les ruines d’Oradour-sur-Glane, avant son transfert à Limoges.
Crédit : Cote : CIII_13_36, C.D.J.C.
Cortège funéraire de Sarah Jakobowicz, 15 ans, le 21 septembre 1944 au cimetière de Louyat à Limoges (Haute-Vienne)
Cortège funéraire de Sarah Jakobowicz, 15 ans, le 21 septembre 1944 au cimetière de Louyat à Limoges (Haute-Vienne)
Crédit : Cote : CIII_13_37, C.D.J.C.
Inhumation de Sarah Jakobowicz, 15 ans, le 21 septembre 1944 au cimetière de Louyat à Limoges (Haute-Vienne)
Inhumation de Sarah Jakobowicz, 15 ans, le 21 septembre 1944 au cimetière de Louyat à Limoges (Haute-Vienne)
Crédit : Cote : CIII_13_38, C.D.J.C.
Avis d'obsèques signé de l'UJRE
Avis d’obsèques signé de l’UJRE
Crédit : Bernard Pommaret
Plaque de la sépulture
Plaque de la sépulture
Crédit : Bernard Pommaret
Sépulture au cimetière de Louyat (Limoges)
Sépulture au cimetière de Louyat (Limoges)
Crédit : Bernard Pommaret
plaque des réfugiés Juifs, cimetière Oradour-sur-Glane
plaque des réfugiés Juifs, cimetière Oradour-sur-Glane
crédit : Isabel Val Viga

SOURCES : Liste des victimes, Centre de la Mémoire d’Oradour-sur-Glane. — Guy Pauchou, Dr Pierre Masfrand, Oradour-sur-Glane, vision d’épouvante, Limoges, Lavauzelle, 1967, liste des victimes, pp. 138-194. — MémorialGenWeb. — Sarah Farmer, Le travail des étrangers dans la France en guerre in Sarah Fishman, Laura Lee Downs, Ioannis Sinanoglou, Leonard V. Smith, Robert Zaretsky (dir.), La France sous Vichy. Autour de Robert O. Paxton, Paris/Bruxelles, IHTP-CNRS, Ed. Complexe, coll. « Histoire du temps présent », 2004, p. 271. — Bernard Pommaret : document de l’UJRE (Arch. Dép. Haute-Vienne) et photographies de la tombe au cimetière de Louyat à Limoges. — Fiche dans CDJC-Mémorial de la Shoah. —Fiche dans la base de données en ligne de Yad Vashem. — Michel Baury, Marie-Noëlle et René Borie, Oradour-sur-Glane, le récit d’un survivant, éditons Privat (218 à 223), témoignage de Michel Jakobowicz neveu de Sarah.

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