ZAZZO René

Par Serge Netchine

Né le 27 octobre 1910 à Paris (XVe arr.), mort le 20 septembre 1995 à Saint-Maur-des-Fossés (Val-de-Marne) ; directeur du laboratoire de psychologie de l’hôpital Henri-Rousselle et du laboratoire de psycho-biologie de l’enfant (EPHE) à Paris, professeur de psychologie de l’enfant à l’Université Paris-10 Nanterre.

René Zazzo est né à Paris à l’hôpital Boucicaut, 78 rue de la Convention.
Sa mère Berthe Theurillat, confectionneuse, était fille d’un petit artisan de Beaune (Côtes d’Or), son père, Vincent Zazzo, ouvrier métallurgiste aux chemins de fer, fils d’une mère célibataire qu’il n’avait jamais connue, avait été un enfant assisté. Le milieu familial était affectueux, miné par les soucis matériels et mu par le désir de promotion sociale.

Placé chez une nourrice jusqu’à deux ans, ce garçon chétif, souvent malade, fut un brillant élève. Encouragé à poursuivre ses études, il ne suivit pas le désir parental d’une formation d’ingénieur. En 1927 il quitta le cursus technique et entra à l’Université, subvenant à ses besoins par de « petits boulots », s’inscrivit simultanément à la faculté de Droit, à la préparation du conservatoire d’art dramatique, à la Sorbonne où il suivit avec éblouissement les cours de philosophie de professeurs tels que Brehier, Delacroix, Wallon, Janet, Meyerson. Se destinant d’abord à la sociologie, il s’initia au marxisme et soutint un diplôme d’études supérieures sur "La philosophie du droit chez Hegel".

En même temps, il s’ouvrit sur l’activité syndicale et politique. Être de gauche pour un étudiant dans les années trente impliquait d’affronter physiquement les membres des ligues royaliste et d’extrême droite qui investissaient alors le Quartier latin. Inscrit à l’Union Fédérale des Etudiants (UFE), il se lia notamment à Jan Brunn, Pierre Hervé, Victor Leduc, Jean-Pierre Vernant, future pépinière de résistants. Leur amitié se scella au cours de voyages en Grèce et en Italie...

En 1933, il rencontra Bianka Goldminc qui, jeune étudiante, émigra en France après trois mois d’emprisonnement en Pologne pour ses activités politiques. Un 14 juillet, ils allèrent ensemble toute une nuit de bal en bal. Ils s’épousèrent en mai 1936 à Paris (XVIe arr.). Ils eurent quatre garçons.

Appuyé par Ignace Meyerson et Henri Wallon, il obtint en 1933 une bourse d’étude de quatre mois pour l’étranger, hésitant entre Freud et Gesell. Il opta pour ce dernier et reçut dans son laboratoire de l’université de Yale ainsi qu’au Child Development Institute de l’université de Colombia, une formation pour l’étude scientifique du développement psychologique de l’enfant en relation avec sa maturation et ses apprentissages. De ce séjour, il tira son orientation définitive vers la psychologie de l’enfant.

En 1934, pour mener une enquête sur les maisons de redressement pour enfants jugés délinquants, il décida de prendre un poste de surveillant dans celle de Montesson, réputée pionnière en ce domaine. Indigné par les mauvais traitements qu’il constata (discipline militaire, enfants dormant dans des cages, châtiments corporels...), il en témoigna dans un article du magazine Vu, ce qui lui valut la menace de poursuites judiciaires. Considérant que la carrière d’enseignant lui était fermée en raison de ce scandale, il entra en qualité d’assistant technique dans le laboratoire de psycho-biologie de l’enfant, créé par Henri Wallon dans une banlieue alors ouvrière, Boulogne-Billancourt, puis transféré en 1939 dans les locaux de l’INOP, (Institut National d’Orientation Professionnelle) à Paris, rue Gay-Lussac.

Succédant au psychotechnicien franc-maçon et communiste Jean-Maurice Lahyrévoqué par Vichy, il prit en 1941 la direction du laboratoire de psychologie de l’hôpital Henri-Rousselle. Il en fit un centre pionnier d’étude des difficultés psychologiques des enfants, tant par les examens cliniques que par les recherches.
Sa personnalité et son œuvre furent marquées par l’association de qualités rarement réunies : intérêt actif pour les réalités sociales aussi bien qu’individuelles et curiosité de connaître, rigueur scientifique allant avec capacité d’étonnement devant des phénomènes inattendus, talent littéraire, humour et esprit critique. À sa proximité intellectuelle avec Henri Wallon, dont il partageait la conception d’un psychisme fondé tout à la fois sur des bases biologiques et sociales, s’ajoutaient de nombreuses autres interactions, en particulier par la participation à un groupe de réflexion au sein du Centre international de l’enfance, qui lui permit de se confronter avec des personnalités aussi diverses que l’anglais Bowlby, auteur de la notion d’attachement, l’anthropologue américaine Margaret Mead spécialiste de la sexualité dans les cultures non occidentales, Jean Piaget qui, par sa conception du développement de l’intelligence, entretenait une controverse féconde avec celle de Wallon.

Dès la Libération, son rôle s’affirma dans le développement de la psychologie de l’enfant, qu’il concevait à la fois comme discipline scientifique et appliquée à suivre les enfants dans leurs milieux concrets, familial et scolaire, à les aider dans la résolution de leurs problèmes éventuels. C’est ainsi qu’à partir de1948, s’inscrivant dans le projet de réforme de l’éducation proposé par le plan Langevin-Wallon, il joua un rôle fondateur dans la création des premiers centres de psychologie scolaire.

En 1950, succédant à Henri Wallon, il prit la direction du laboratoire de psycho-biologie de l’enfant. Il y créa un groupe de psychologues parents (parmi lesquels lui-même) mettant en commun les observations qu’ils faisaient sur leurs jeunes enfants. Ainsi, anticipant ce qui allait plus tard être montré, fut-il amené à découvrir chez l’un de ses enfants, à l’encontre des normes alors admises, des conduites d’imitation très précoces, telles que tirer la langue à trois mois en voyant son père le faire.
Les recherches menées dans le laboratoire, qui aboutirent à plusieurs thèses et ouvrages, furent :
-  1946-1953 : la prime enfance (avec Irène Lezine et Odette Brunet) :
-  1948-1954 : recherches psychopédagogiques menées avec les psychologues scolaires ;
-  1952-1954 : enfants et cinéma, avec Bianka Zazzo.
-  1959-1968 : le développement psychobiologique chez l’enfant normal de six à douze ans. En mobilisant plusieurs chercheurs examinant chacun un secteur, l’ambition était de s’approcher d’une « psychologie complète » de la conquête de l’autonomie par l’enfant..
Au laboratoire de l’hôpital Henri-Rousselle, il anima de 1946 à 1951 , en collaboration avec le neuropsychiatre J. de AJuriaguerra et des psychologues scolaires, des recherches sur la dyslexie, et dirigea de 1951 à 1960 une équipe sur la débilité mentale : un résultat marquant, baptisé héterochronie oligophrénique, fut la mise en évidence, à partir de données psychométriques, de l’inégalité de développement selon les secteurs psychologiques : motricité, organisation spatiale et raisonnement notamment.

Ses recherches personnelles furent dominées par l’intérêt pour la genèse de la personne, les niveaux de conscience et le jeu des rapports entre déterminisme et liberté.
Sa thèse, soutenue en 1958, portait sur les jumeaux, envisagés non dans l’optique classique, d’y voir un dispositif expérimental d’étude de l’hérédité, mais pour montrer que, dans leur relation de couple, s’institue une différenciation entre rôles respectifs. La genèse de la personnalité pouvait ainsi être abordée sous l’angle des interactions sociales.
À partir de 1972, la recherche se centra sur la constitution de la connaissance de soi au cours du développement. Le dispositif expérimental consistait à confronter le comportement de l’enfant devant un miroir et devant une vitre derrière laquelle se tient un autre enfant. Cette recherche permit de montrer que la connaissance de soi se construit au cours d’un long processus dont la première étape se situe à l’âge de trois mois.

Chercheur et clinicien, il fut aussi enseignant à partir de 1937, assurant un cours destiné aux étudiants de l’Institut de psychologie et de l’Institut national d’orientation professionnelle. Nommé en 1967 professeur de psychologie de l’enfant à l’Université Paris-X Nanterre, il prit en compte les critiques formulées en 1968 par les étudiants à l’égard de l’enseignement magistral traditionnel. Les cours se faisaient sous forme de dialogues entre enseignants et avec les étudiants. Ceux-ci faisaient de l’observation directe des enfants dans les classes et les familles, et étaient initiés très vite à la recherche.
Adhérent avec ferveur au Parti communiste, il n’en garda pas moins son esprit critique et sa capacité de se déterminer en toute autonomie.

À l’automne 1940, il soutint la résistance intellectuelle contre l’occupation allemande et le régime de Vichy. Sous le pseudonyme de Borine , il fut secrétaire général du Front national universitaire créé en juin 1941, auquel participaient également Frédéric Joliot-Curie et Henri Wallon. Il rédigea des articles pour la publication clandestine L’Université libre fondée en octobre 1940 et dirigée par Georges Politzer, Jacques Decour et Jacques Solomon, fusillés en 1942.

Se plaçant dans l’héritage wallonien, il affirma l’intérêt d’appliquer le marxisme à la psychologie, sans pour autant suivre les orientations assignées à la psychologie en Union soviétique durant la période stalinienne.
À l’encontre de l’interdiction des tests mentaux, supposés défavoriser indûment les enfants de milieu ouvrier, il affirma leur intérêt, non comme révélant l’essence intemporelle de la personnalité, mais comme le constat d’un état actuel susceptible d’évolution :
Il ne participa pas à l’identification de la doctrine pavlovienne à toute la psychologie, et, par le biais de ses amis, les psychologues Luria et Leontiev, s’intéressa à l’approche socio-culturelle du psychologue soviétique Vygotski avant même que celui-ci soit internationalement reconnu.

En 1956, il signa la pétition protestant contre la position prise par le Parti communiste français à l’égard des événements de Pologne et de Hongrie, et réclamant un congrès extraordinaire du parti.
Durant la guerre d’Algérie, en 1960, il fut parmi les signataires du Manifeste des 121 (condamné par le PCF), qui revendiquait le droit à l’insoumission militaire et le droit d’apporter une aide aux opposants à la guerre.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article212461, notice ZAZZO René par Serge Netchine, version mise en ligne le 1er mars 2019, dernière modification le 5 novembre 2022.

Par Serge Netchine

SOURCES : Leduc Victor, Les tribulations d’un idéologue, Syros, 1986. Rééd. Galaad, 2006. — Netchine S., Netchine-Grynberg G., Henri Wallon ( 1899-1962), Action pensée, pensée de l’action ; cheminements croisés politique, philosophique, psychologique. Peter Lang, 2018. — Parot F., Richelle M., Psychologues de langue française, p. 51-77,PUF, 1992. — Zazzo B., Une mémoire pour deux, Mardaga, 2000. — Zazzo R., La psychologie scolaire en 1952, Enfance 1952, 387-398. — Zazzo R., Les Jumeaux, le couple et la personne, PUF, coll. « Quadrige », 1960. — Zazzo R., Conduites et conscience, Delachaux et Niestlé,1962. — Zazzo R. (Dir.), Les Débilités mentales, 1969. — Zazzo R, Psychologie et marxisme, La vie et l’œuvre d’Henri Wallon, 1975, Denoël/Gonthier, coll. « Médiations ». — Zazzo R., Le Paradoxe des jumeaux, Stock-Pernoud, 1984. — Zazzo R., Reflets de miroir et autres doubles, PUF, 1993. — L’université libre,1940-1944, Gallica. — Enfance, n° spécial « L. Vygotsky », 1989, n° 1-2. Enfance : n° spécial « René Zazzo », 1985, n° 2 ; Enfance, n° spécial « L. Vygotsky », 1989, n° 1-2 ; Zazzo R. (Dir.), Les Débilités mentales, Armand Colin, 1969.

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