IHUEL Jean, Michel, Pascal

Par Benoît Kermoal, Eric Panthou

Né le 2 avril 1881 à Ploemeur (Morbihan) ; ouvrier charpentier à Lorient ; militant syndicaliste révolutionnaire.

Fils de Jean, Michel, ouvrier au port, et de Marie, Anne le Boulboihe, ménagère, Jean-Michel Ihuel eut 3 frères.
Il se maria 24 septembre 1904 à Lorient (Morbihan) avec Anne Marie Antoinette le Corre. Ils divorcèrent le 8 juin 1921. Ils eurent un fils et une fille. Il se remaria le 22 janvier 1922 à Lorient Berthe Joséphine Voisin.

En 1907, alors âgé de 26 ans, il est ouvrier chaudronnier à l’arsenal de Lorient et membre du Comité de la Bourse du Travail qui regroupe des syndicalistes révolutionnaires actifs dans la ville.
Le 7 décembre 1907 il comparaît devant la cour d’assises du Morbihan pour avoir diffusé deux chansons anarchistes lors d’une réunion de protestation à Lorient contre l’arrestation récente de Jules Le Gall, secrétaire adjoint de la Bourse du Travail de Brest.
il fut acquitté comme son ami Trévennec. Il est en 1914 correspondant du journal l’Émancipateur de Toulon et écrit également dans la publication de la bourse du travail de Lorient, le Prolétaire du Morbihan. C’est un militant très présent dans les milieux libertaires de Lorient. Ce groupe a été particulièrement actif durant la campagne contre la loi des trois ans, menée conjointement avec la SFIO.

Le 5 août 1914, lors du défilé de départ du 262e régiment de Lorient, le quotidien local relate : « Tout à coup, au moment où toutes les têtes étant découvertes devant le drapeau qui allait tourner l’angle de la rue du Cimetière, régnait un silence relatif, un cri surgit de la foule : « A bas la guerre ! » La stupéfaction est telle que personne ne bouge, quand à nouveau, la même voix s’élève, plus aiguë encore : « Vive l’Allemagne ! » Cette fois on n’a pas rêvé : Un homme est là, face au drapeau, la tête couverte (lui seul), gesticulant de façon provocatrice. »
L’homme malmené par la foule, le visage ensanglanté, est arrêté par des gendarmes et encadré d’une foule haineuse est conduit au poste de police. Il s’avère alors que Jean-Michel Ihuel est depuis 1911, inscrit sur la liste du Carnet B.
Ouvrier charpentier à l’arsenal de Lorient, âgé de 33 ans, libertaire et syndiqué il est l’ami avec le secrétaire de la bourse du travail, Yves Trévennec. Poursuivi en 1907 pour colportage de chansons révolutionnaires, il est au moment des faits, correspondant du journal l’Émancipateur de Toulon et collaborateur du Prolétaire du Morbihan, l’organe de la bourse du travail de Lorient.
Le Nouvelliste du Morbihan imprime le 7 août : c’est un « Sans patrie » qui pour cette raison, mérite la prison. Cependant son procès devant le Conseil de Guerre maritime va donner lieu à plusieurs audiences contradictoires. En effet, l’accusé conteste avoir tenu des propos antimilitaristes, et les témoins ne sont plus sûrs de les avoir entendu.

Ihuel appartient à un petit groupe de syndicalistes toujours fidèles à l’action directe que revendique pourtant de moins en moins la direction centrale de la CGT avant la Première Guerre mondiale. Si les syndicalistes gardent leur autonomie vis-à-vis des socialistes, on peut voir partout dans le pays que de nombreux militants de la CGT, dans les mois précédents le conflit, adoptent de plus en plus une ligne réformiste qui les éloigne des revendications révolutionnaires. Un tel positionnement a sans aucun doute favorisé l’acceptation de la guerre chez ces militants ouvriers. Mais en ce qui concerne Jean-Michel Ihuel, les différentes indications le concernant semblent corroborer ce que le Nouvelliste du Morbihan a rapporté le 7 août : c’est un « Sans patrie » et pour cette raison, il mérite la prison. Après son arrestation, il passe devant le conseil de guerre maritime le 19 août 1914. Mais les faits qui lui sont reprochés nécessitent de longs compléments d’enquête et le militant ouvrier passe à plusieurs reprises devant le conseil de guerre dans les mois qui suivent, jusqu’en novembre 1914.

Lors de la première audience de son premier procès, les témoins à charge qui affirment que le militant a effectivement crier « Vive l’Allemagne » sont peu nombreux ; d’autres témoins qui étaient juste à côté de l’accusé affirment n’avoir rien entendu ! Les gendarmes et les policiers n’ont eux non plus rien entendu alors qu’ils étaient proches de la scène. La seule chose dont on soit sûr est que l’accusé n’a pas ôté son chapeau comme le reste de la foule en signe de respect pour le drapeau.
Il l’explique par le fait qu’il était concentré pour essayer de trouver un cousin qu’il pensait être mobilisé au 262e régiment qui défilait. Le conseil de guerre réuni le 19 août ajourne sa décision en demandant un complément d’enquête, laissant l’accusé en liberté provisoire.

Le 7 octobre 1914, lors de son procès il est défendu par un avocat de Paris, Maurice Juncker : membre de la SFIO, défenseur régulier, comme l’avocat Pierre Laval, de syndicalistes, et directeur de la revue Le Droit ouvrier. C’est, on peut le penser, une action engagée par la Confédération, à la demande d’Yves Trévennec. Léon Jouhaux, saura, lors des débats syndicaux houleux de l’après guerre se constituer des majorités de congrès en rappelant ces quelques « services » à ceux qu’on aurait pu croire hostiles au réformisme.
Le jour de l’audience, il n’y a plus de témoin qui a entendu directement l’accusé crier des slogans pacifistes et l’interrogatoire montre la difficulté qu’il y a à établir la vérité :
« M.Yves Trévennec, secrétaire général de la Bourse du travail, connaît intimement le prévenu. Celui-ci lui a exprimé, bien avant l’incident son indignation contre les Allemands, qui avaient violé la neutralité de la Belgique. Il estime qu’il y a eu machination pour perdre Ihuel. D’ailleurs, à la Bourse du Travail, en raison des agissements des ennemis, tous les camarades se sont montrés patriotes et ont même créé une caisse de secours pour les blessés ou leurs familles. »
On retrouve dans les archives que les autorités maritimes ont mené une enquête poussée sur le militant ouvrier, sur ses proches et sa famille. Mais on voit également que son cas fait l’objet d’examens de plusieurs autres personnes. Il est très lié à Yves Trévennec, le secrétaire de la Bourse du travail de Lorient qui connaît bien Léon Jouhaux, le secrétaire général de la CGT. Le secrétaire de la Bourse est également apprécié du préfet du Morbihan car Trévennec a su être un chef de file responsable des syndicalistes dans des affaires précédentes d’arbitrage. C’est en quelque sorte la caution morale du suspect et il est intervenu pour que Ihuel soit lavé des soupçons contre lui.
Ihuel est cependant condamné à 45 jours de prison, et sur le conseil de son avocat se pourvoit en cassation contre le jugement.
La dernière audience a lieu le 5 novembre 1914 : mais l’ouvrier n’ayant pas d’avocat, le conseil de guerre désigne comme défenseur le gendarme qui était chargé du service d’ordre dans la salle !
Jean-Michel Ihuel est condamné cette fois-ci à 30 jours de prison.
Après avoir purgé sa peine à la prison maritime de Brest, Ihuel revient à Lorient. Le journal de la bourse du travail publie un seul numéro durant la guerre en janvier 1915, soit quelques jours après sa libération. Le syndicaliste a voulu y publier une lettre de remerciement à ses soutiens mais la lettre est censurée : on ne trouve finalement qu’un petit encart pour signaler cela. Le militant ouvrier était alors en âge de combattre mais on ne sait s’il a été mobilisé.

On perd sa trace durant les années de la guerre.
Il laisse ensuite peu de traces dans les archives même s’il est toujours surveillé par les autorités militaires. On retrouve sa trace en 1921. Lors d’une réunion à Lorient, devant 1000 personnes, il est désigné pour être le président de séance. La réunion donne lieu à un affrontement entre socialistes et communistes et elle se termine dans la confusion. Ihuel regrette les divisions entre les deux partis mais s’affirmant anarchiste, il ne veut pas prendre parti dans cette querelle. Toujours un peu marge.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article212886, notice IHUEL Jean, Michel, Pascal par Benoît Kermoal, Eric Panthou, version mise en ligne le 6 mars 2019, dernière modification le 6 mars 2019.

Par Benoît Kermoal, Eric Panthou

SOURCES : Benoît Kermoal, « Je me crois aussi patriote que vous » l’affaire Ihuel inscrit au carnet B”. [en ligne] : https://enklask.hypotheses.org/829 .— Le Nouvelliste du Morbihan, 7 août 1914 .— Le Nouvelliste du Morbihan, 7 octobre 1914 .— http://www.entreplaineetvolcans.infini.fr/index.php?title=Jean-Michel_Ihuel#Le_proc.C3.A9s_du_7_Octobre_1914 .— Généanet .— état civil en ligne du Morbihan .— avec l’aide de Claude Virlogeux-Juncker.

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