SINTES Henri, Louis, Marius [pseudonyme dans la résistance : Moro]

Par Eric Panthou

Né le 7 juillet 1905 à Écully (Rhône), disparu, vraisemblablement exécuté par les FTP, mort, selon la Justice, postérieurement au 22 septembre 1944 à Aubière (Puy-de-Dôme) ; mécanicien ; membre de la Confédération générale du Travail (CGT) ; membre du Parti communiste (PCF) ; résistant au sein des Francs-tireurs et partisans (FTP) ; chef de l’équipe spéciale qui a procédé à la récupération d’un milliard de francs de la Banque de France le 9 février 1944 à Clermont-Ferrand.

Henri Sintes (parfois orthographié Sintès ou Saintes), fils de Henri Joseph Sintes, employé, et de Marie Alice Delhieux, eut au total douze frères et soeurs.
Il se maria à Riom le 5 février 1927, avec Laurence-Eugénie Cotte, fille d’un cordonnier. Si Laurence vivait à Riom, lui était alors tôlier mécanicien et habitait Gannat (Allier), tandis que ses parents étaient domiciliés à Lyon -où sont père était voiturier.
Mécanicien, Sintes intégra le syndicat CGT des métaux à l’été 1936. En 1937, il a été nommé à différents responsabilités syndicales, notamment délégué pour les métaux de l’Union Locale (UL) des syndicats de Riom et délégué pour l’Union Locale au comité local du Front populaire. Bien qu’apparemment non élu, il est présent à la Commission exécutive de l’UD CGT qui se réunit le 1er décembre 1938, au lendemain de la grève générale contre les décrets lois Reynaud et qui a entraîné à Clermont-Ferrand une quasi paralysie de la ville suivie d’une forte répression. Sintes interveint pour approuver la proposition de Robert Marchadier, secrétaire de la CGT Michelin, en faveur d’une forte réaction ouvrière au lock-out lancé par le patronat local.

Sintes fait donc partie des quelques centaines de militants identifiés par la police et qui furent pour la plupart perquisitionnés ou arrêtés entre septembre 1939 et courant 1941 pour leur activité communiste. Le 23 août 1940, la 6e brigade régionale de police mobile de Clermont-Ferrand perquisitionna son domicile de la rue du Commerce à Riom, dans le cadre d’une enquête ordonnée par le préfet. Considéré comme manifestant une activité communiste, Henri Sintes fut interpellé le 26 ou le 27 novembre 1940, en même temps que Julien Favard (responsable du Parti à Riom) et Gilbert Garraud - domicilié dans la commune voisine de Marsat. Les trois hommes furent conduits par les gendarmes à Clermont-Ferrand.
Suite à cette arrestation, Sintes fut interné deux ans, d’abord au centre de séjour surveillé de Rivel (Aude), puis dans celui de Saint-Sulpice-La-Pointe (Tarn). Libéré en décembre 1942, il fut en « échange » assigné à résidence à Riom. Un peu avant de rentrer dans la clandestinité, Henri, qui eut deux enfants avec Laurence-Eugénie, un fils puis une fille, divorça par jugement du tribunal civil de Riom du 30 juillet 1943 - transcrit le 6 octobre 1943.
Sintes entra, pour les autorités, « officiellement » dans l’illégalité en septembre 1943, après avoir fui son domicile et l’assignation à résidence. Le fait qu’il ait fui Riom le même jour que Robert Delmas -futur commissaire aux effectifs du camp FTP Gabriel-Péri - pour rejoindre tous les deux le maquis et la clandestinité, semble prouver qu’il était resté en contact avec le Parti et certains de ses camarades de lutte riomois.
En rejoignant la Résistance FTP du Puy-de-Dôme, Sintes devint Moro, parfois appelé Moreau. Fin 1943, il fut nommé, en tant qu’agent du service B (le service de renseignements FTP), chef de l’équipe spéciale de Clermont-Ferrand . Celle-ci opéra à quelques éliminations mais surtout à de nombreuses opérations de récupérations.
Sintes assura aussi des missions de surveillance des allers et sorties de la prison de Riom, sollicitant pour cela son jeune frère venu le voir.
Sintes, s’il ne monta pas l’action du Milliard de la Banque de France du 9 février 1944 (où son équipe s’empara de plus d’un milliard de francs en gare de Clermont-Ferrand), fut néanmoins chargé de tâches importantes, comme en témoignent ses rapports de façon formelle. Il trouva et surveilla notamment les dépôts du Milliard, au moins jusqu’à son départ de la région, en août 1944.

La Direction générale des services spéciaux (DGSS), dirigée à Alger par Jacques Soustelle, demanda à quel regroupement était allée la somme du Milliard. Un document interne de la direction clandestine nationale du PCF indiqua qu’une « unité de FTPF » avait entrepris cette opération « seule et sans accord avec le CMR » (information qu’une attestation d’après-guerre de René Roussel ne confirme pas). Ses représentants déclarèrent au Conseil national de la Résistance (CNR), avant fin juillet 1944, que « les sommes récupérées seraient remises à la Délégation Générale qui s’efforcerait de négocier ce papier sur lequel la Banque de France fait opposition ».

Selon ces documents internes, la direction du Parti n’avait pas été à l’origine de l’opération et elle n’avait pas pu contrôler la bonne récupération des sommes. « Cependant, après l’envoi d’un délégué du CMN qui pendant plusieurs semaines rechercha des planques et prépara le transfert des dépôts dans de meilleures conditions de sécurité, le trésorier du CMZ fut chargé de veiller particulièrement sur ces dépôts qui ne devraient être connus que d’un membre de la délégation, de Latour, du trésorier du CMZ et du délégué du CMN envoyé en Z.Z. »
La direction du Parti affirma donc qu’elle avait pris des mesures pour récupérer l’argent (nous ignorons à quelle date) et clarifier les responsabilités dans cette affaire, qui restait extrêmement importante, la question des ressources financières étant centrale à cette date.

La direction du Parti jugeait que des fautes importantes avaient été commises et Sintes fut chargé par ses supérieurs d’enquêter –notamment sur les sommes disparues le soir du 9 février 1944.
Eugène Martres écrit que Sintes aurait quitté la région avec sa compagne, Madeleine Courtejaire (également résistante FTP), peu avant la libération de la ville, le 25 août 1944, pour se rendre à Lyon. Le jugement -non communicable- actant son décès contient des éléments attestant sa présence à Lyon jusqu’au 22 septembre 1944. Le frère de Sintes avoua également peu avant sa mort, avoir vu son frère à Lyon au moment des cérémonies fêtant la Libération de la ville.
Après cela, tous deux disparurent, et au-delà des rumeurs, la thèse de leur élimination par des résistants FTP, évoquée par exemple dans le quotidien clermontois La Liberté en avril 1947, semble la plus probable.

Aucun des deux n’ayant plus jamais donné signe de vie, on imagine mal qui, en dehors de commanditaires de l’opération, de camarades ou de supérieurs de Sintes, ait pu vouloir les supprimer et effacer ensuite les traces de leur existence.
Sintes est-il passé pour un traître car une partie du butin avait disparu le soir du 9 février, alors même qu’il n’avait pas pris part en personne à l’action ? En savait-il trop ?
Des rumeurs ont couru, y compris dans sa famille, sur le fait qu’il ait pu se sauver avec l’argent.
Or, selon plusieurs témoignages, ce n’est pas lui qui avait été chargé de convoyer l’argent. Alphonse Rozier affirme que c’est un cadre FTP de l’Allier qui en fut chargé, un dénommé G., que nous pensons avoir identifié comme Georges Gavelle. Par ailleurs, vers 1969, le dirigeant communiste et cégétiste du Puy-de-Dôme Jean-Marie Minard rencontra un neveu d’Henri Sintes et, face aux suspicions colportées par l’ex femmes d’Henri Sintes selon lesquelles il avait pu se sauver avec 200 millions de francs, Minard déclara alors : « petit ne crois pas à ces sottises, ton oncle était quelqu’un de bien…il n’a pas volé cet argent, c’est moi qui a été chargé de transporter cet argent à Lyon". Jean-Marie Minard n’en dit pas plus et il fut tout aussi laconique quand il évoqua Henri Sintes avec Jean Brun, alors secrétaire général de l’USC CGT du Rhône. Il assura néanmoins ce dernier que Jean Sintes n’avait pas trahi et qu’il avait .payé pour une faute commise qui ne remettait nullement en cause son action de Résistant.

N’ayant pas retrouvé son corps, rien n’indique s’il a été exécuté dans la région ou ailleurs. Mais si en l’état actuel des recherches il n’existe pas de trace écrite d’un ordre du Parti, la volonté de l’effacer de cette action et de la mémoire collective reste parlante quant à une acceptation (voire une validation) de sa probable exécution. On notera cependant que dans l’hebdomadaire du Parti dans le Puy-de-Dôme, La Voix du Peuple, parut le 18 août 1945 un avis de recherche concernant Henri Sintès. Il est alors présenté comme FTP, chef de district des maquis du Puy-de-Dôme et de la Loire, propriétaire du garage route d’Orléans à Riom, prenant pour la Résistance des contacts à Riom, Clermont-Ferrand, Saint-Étienne et Riom. Il est précisé qu’il est recherché avec sa collaboratrice Mademoiselle Madeleine Blanchet et qu’ils ont disparu depuis la libération de Lyon. Cet avis de recherche semble indiquer que la direction fédérale du Parti n’était pas informée des conditions de sa disparition ou alors, parce que la famille de Sintes sollicitait son aide pour le rechercher - l’adresse de la famille est signalée dans l’avis-, la fédération a feint de connaître son sort.

Le fait que les organisations de Résistance et le PCF n’aient engagé ensuite aucune démarche en vue de la reconnaissance du parcours de Résistance de Sintes, et qu’il ne soit nullement honoré sur un monument ou une plaque commémorative, laisse présager du souhait de camoufler le rôle de Moro et surtout les véritables causes de sa disparition.
Si l’absence de corps et de dossiers d’homologation n’ont pas facilité l’identification de ses actions et sa reconnaissance comme résistant (sur le monument aux Morts de Riom notamment), des enfants découvrirent, comme un testament, une valise ayant appartenu à « Capitaine Moro ». C’était en 1955, à Aubière, dans la maison abandonnée de Madeleine Courtejaire que Sintes avait occupé quelques mois avec elle. À l’intérieur, la police retrouva la plupart (si ce n’est la totalité ?) de ses rapports sur le Milliard, plus d’autres documents concernant l’organisation des FTP.
Cette serviette contenait, même si des silences persistent encore, de nombreuses informations qui permettent d’attester de son appartenance à la Résistance FTP, de confirmer son poste de chef de l’équipe spéciale - et de lui supposer des fonctions clefs.
La famille d’Henri Sintes fut rapidement convaincue qu’il avait été tué pendant la guerre mais ignorait qu’il avait appartenu au PCF et ne mena donc aucune investigation dans cette direction.
Selon les souvenirs d’un neveu d’Henri Sintes, le fils de ce dernier fut plus tard ouvrier et délégué CGT chez Michelin, vers 1968.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article213064, notice SINTES Henri, Louis, Marius [pseudonyme dans la résistance : Moro] par Eric Panthou, version mise en ligne le 9 mars 2019, dernière modification le 26 février 2022.

Par Eric Panthou

SOURCES : Archives nationales F/7/15553 .— Arch. dép. du Puy-de-Dôme : 1296W75 : État des résultats obtenus dans la répression des menées communistes par la 6éme brigade régionale de police mobile de Clermont-Ferrand du 1er septembre 1939 au 15 janvier 1941 ainsi que des menées contre la sûreté de l’état. Département du Puy-de-Dôme .— Arch. Dép. du Tarn 493 W 166, dossier individuel d’internement.— Musée d’Histoire vivante. Fonds Jacques Duclos. D 123 – A 10118. Lettre dactylographiée, 30 juillet 1944 .— Archives privées Robert Marchadier, pv des instances de l’UD .— SHD Vincennes Attestation pour Jean Lavoye délivrée par René Roussel, GR 16 P 344840 .— Différents témoignages recueillis en 2017 et 2018.— Vanessa Michel, Le Milliard de la Banque de France, Clermont-Ferrand, éditions Ôtrement, 2019, 229 p.— Eugène Martres, L’Auvergne dans la tourmente, 1939-1945, Clermont-Ferrand, éditions de Borée, 1998, p. 228-230 .— Charles Tillon, On chantait rouge, éd. Robert Laffont, 1977.— « La découverte d’Aubière », La Liberté, 3 avril 1947.— L’Avenir du plateau central, 29 novembre 1940 .— La Voix du Peuple, 18 août 1945. — Mails de Jean Sintes, neveu d’Henri Sintes, le 12, 20, 23 juillet 2019 .— État civil Ecully (Rhône) et Aubière.

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