DALSACE Jean, Charles, Isidore

Par Sandrine Garcia

Né le 23 décembre 1893 à Épinal (Vosges), mort le 22 octobre 1970 à Paris (VIIe arr.) ; gynécologue ; membre du Parti communiste français ; président du Mouvement français pour la planification familiale (1967-1970).

Fils d’un haut fonctionnaire - son père, Prosper Dalsace, était trésorier payeur général -, licencié en droit et docteur en médecine, Jean Dalsace fut un homme à la fois engagé politiquement et professionnellement.
Spécialisé dans le domaine de la gynécologie médicale, il devint spécialiste du traitement de la stérilité, à un moment où le milieu médical tendait à la considérer comme une fatalité. Il jouissait à ce titre d’une réputation internationale et obtint une légitimité scientifique qu’il mit au service de ses combats, notamment pour la régulation des naissances. Occupant de nombreuses responsabilités dans les sociétés savantes françaises (il fut président de la Société française de gynécologie, secrétaire général fondateur de l’Association nationale pour l’étude de la stérilité et de la fécondité) et étrangères, il publia plus d’une centaine de communications scientifiques, pour la plupart consacrées au thème de la stérilité.
Membre du Parti communiste depuis 1920, féru de psychanalyse (il fut analysé par Laforgue), amateur d’art (il fit construire la maison de verre de la rue Saint-Guillaume par l’architecte Chareau qui était un de ses amis), Jean Dalsace, grâce à sa réputation professionnelle, bénéficiait d’un certain prestige au PCF qui lui permit, par exemple, d’exercer une influence sur le recrutement des médecins de la polyclinique des Bleuets dirigée par la Fédération des Métaux sous les auspices de la CGT et de Benoît Frachon*. Par l’intermédiaire de Pierre Rouquès*, il permit à son gendre Pierre Vellay de devenir l’assistant de Fernand Lamaze* dont Vellay fut l’héritier spirituel.
Sur le plan de l’engagement professionnel, Jean Dalsace s’inscrivit dans un courant médical que l’on peut qualifier, avec Anne Carol, d’eugénisme médical et qui est un eugénisme de gauche. Il se distingue de l’eugénisme négatif dans le sens où il ne comporte aucune référence à la génétique et à la race, et n’est pas fondé sur la biologie. Il est également hostile à toute intervention politique autoritaire pour améliorer la « qualité » de l’enfant. Fondé sur le néo-lamarkisme qui insiste sur l’importance des facteurs environnementaux (notamment sociaux et psychologiques), cet eugénisme de gauche conduisit Jean Dalsace à faire partie de l’association d’études sexologiques, fondée en 1931 par le docteur Édouard Toulouse. Ce dernier militait avant la Seconde Guerre mondiale pour la régulation des naissances afin d’améliorer la qualité de la procréation. En 1935, Jean Dalsace, qui s’était formé aux États-Unis aux techniques du « Birth control », ouvrit un dispensaire à Suresnes dans lequel il dispensait des conseils contraceptifs avec la complicité du maire, Henri Sellier*, membre du « parti social de la santé » (une émanation du mouvement hygiéniste). Dans un contexte où toute régulation des naissances était exclue en France par la loi de 1920, cette activité coûta à Jean Dalsace son poste de chef de laboratoire à l’hôpital Saint-Antoine. Il fut ensuite nommé chef du département stérilité à l’hôpital Broca.
Démobilisé à Vichy en juillet 1940, ne pouvant rentrer à Paris car connu comme anti-hitlérien notoire, engagé dans la Résistance au sein des Forces françaises de l’intérieur, il se réfugia à Marseille, puis dans l’Allier où il participa, en 1943, à l’organisation de la résistance dans la forêt de Tronçais avant d’organiser, en 1944, un hôpital FFI clandestin à Cerilly dans l’Allier. Après la guerre, il fit partie des premiers médecins qui rejoignirent Marie-Andrée Lagroua Weill-Hallé lorsqu’elle fonda en 1956, avec l’aide des réseaux communistes et pro-communistes dont elle était, avec son mari le pédiatre Benjamin Weill-Hallé également proche, l’association Maternité heureuse qui devint le Mouvement français pour la planification familiale (MFPF). Jean Dalsace, avec d’autres médecins qui avaient été également résistants et se rapprochèrent à cette occasion du Parti communiste (sans en faire partie comme lui), devint membre du collège des médecins du MFPF fondé en 1962. Dans ce cadre institutionnel, il milita pour abroger la loi de 1920 qui interdisait toute propagande anti-conceptionnelle. Le MFPF et le collège des médecins lui permirent, jusqu’à sa mort, de s’engager professionnellement en faveur de la libre maternité. Dans la mesure où le mouvement s’appuyait fortement sur l’expertise médicale pour fonder la légitimité de son action, la renommée et la compétence de Jean Dalsace, dans le domaine de la lutte contre la stérilité, fut essentielle. Elle permit en effet de montrer que l’éthique religieuse du respect de la vie, brandie par l’Ordre des médecins contre toute volonté de donner aux femmes la maîtrise de leur reproduction, avait pour conséquence de favoriser l’avortement clandestin dont les conséquences sur la fécondité des femmes étaient souvent désastreuses. Dans ce sens, Jean Dalsace œuvra, avec d’autres (dont Raoul Palmer, lui aussi spécialiste international de la stérilité), à transformer un problème moral en problème de santé publique.
Par l’intérêt qu’il portait à la psychanalyse, Jean Dalsace fit partie de ceux qui concoururent à donner au mouvement une orientation psychanalytique alors très novatrice dans le milieu médical. Celle-ci contribua à substituer à l’éthique religieuse du respect de la vie une morale médicale laïque, fondée sur l’importance des facteurs psychologiques et notamment celui du désir des femmes d’être mères dans le développement psychique harmonieux de l’enfant à naître. Cette morale médicale laïque valorisait la sexualité dans la vie psychique des individus et dans l’équilibre psychologique des femmes, jusqu’alors essentiellement pensées dans leur fonction reproductrice. Jean Dalsace s’illustra sur cette question en traduisant de l’allemand, en 1937, La femme frigide de Wilhelm Stekel (Gallimard, collection « Psychologie »).
L’engagement de Jean Dalsace en faveur de la libre maternité lui valut cependant des différends avec le Parti communiste qui, pour des raisons pour une part stratégiques, pour une part liées à son idéologie maternaliste, prit position contre la campagne engagée en 1955 par le docteur Marie-Andrée Lagroua Weill-Hallé et le journaliste communiste Jacques Derogy*, entraînant une protestation de la part des médecins communistes. D’autres événements suivirent ce désaccord : en particulier, Dalsace, en compagnie de Lamaze, prit position contre l’intervention de l’URSS en Hongrie au sein du Mouvement de la paix où cette position fut mise en minorité. Sa déconvenue fut d’autant plus grande qu’il s’était déjà senti floué après l’affaire des Blouses Blanches, ayant alors suivi la position du PC et signé leur pétition. Après l’invasion de la Hongrie, il quitta définitivement, comme beaucoup de militants de cette génération, le Parti communiste. Il s’éleva ensuite contre la manière dont la polyclinique des Bleuets, après avoir utilisé Lamaze comme faire-valoir de la « science soviétique », l’écarta pour lui préférer un successeur « politiquement sûr ». Dans la continuité de son engagement politique, Jean Dalsace fut signataire, en 1960, de « l’appel des 121 ».
En 1967, lorsque la présidente du MFPF, hostile aux débats sur la légalisation de l’avortement qui s’esquissèrent au sein du MFPF, démissionna du mouvement, Jean Dalsace en prit la direction, tout en participant, avec d’autres, à la création de l’Association nationale pour l’avortement (ANEA), qui milita pour une libéralisation partielle de l’avortement. Il mourut en 1970, avant qu’une autre génération de médecins prenne la relève du combat pour la libre maternité dont il fut un acteur essentiel.
Jean Dalsace s’était marié en août 1918 à Paris (VIIIe arr.) avec Anna Bernheim.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article21330, notice DALSACE Jean, Charles, Isidore par Sandrine Garcia, version mise en ligne le 25 octobre 2008, dernière modification le 4 juillet 2022.

Par Sandrine Garcia

SOURCES : Who’s who, 1959. — Éloge à Jean Dalsace, prononcé le 7 décembre 1970 par Raoul Palmer à la Société de gynécologie et d’obstétrique de Paris. — La Maternité heureuse, bulletin trimestriel d’information. — Planning familial, revue trimestrielle de la Fédération nationale du mouvement français pour le planning familial. — Marianne Caron-Leulliez et Jocelyne George, L’accouchement sans douleur, l’histoire d’une révolution oubliée, Éd. de l’Atelier, 2004. — Entretien avec Pierre Vellay et différents membres du MFPF (années 2000-2002). — Anne Carol, Histoire de l’eugénisme en France, Seuil, 1995. — Débat communiste, 15 février 1964 et 10 novembre 1970. — Le Monde, 24, 25-26 octobre 1970. — État civil d’Épinal. — Donation des archives « Dalsace-Vellay » à la Bibliothèque de Médecine, proposée par P.Vellay en 2006, approuvée par le conseil d’administration de l’Université Paris V-Descartes en 2007.

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