Par Jean-Paul Richez
Né le 19 septembre 1942 à Thizy (Rhône) ; professeur ; membre du SNETP-CGT ; militant socialiste, maire de Roanne (Loire) (1977-1981), député de la Loire (1978-1981, 1986-1993), ministre du Travail (1981-1982), ministre de l’Urbanisme, des Transports et du Logement (1985-1986).
Le père de Jean Auroux, Louis, Fleury Auroux, cultivateur et syndicaliste, fut maire de Mardore ; il s’était marié avec Marguerite, Jeanne, Virginie Masson. À partir de 1962, Jean Auroux devint maître-auxiliaire au lycée Carnot à Roanne. Il enseigna ensuite pendant quinze ans comme professeur de français et d’histoire-géographie dans différents collèges et lycées techniques de la ville. Partisan de méthodes pédagogiques actives, il promut des techniques d’expression différenciées, tenant compte des capacités des élèves et complétées par des contrats individuels trimestriels. Dans le même esprit, il participa à la rédaction de manuels scolaires. Il fut également en charge, pendant trois ans, de la formation de ses collègues de l’académie à ce que l’on appelait alors « l’audio-visuel ».
Sa vie militante débuta par l’action revendicative, notamment en matière d’égalité de salaire entre professeurs d’atelier et professeurs d’enseignement général. En 1965, il adhéra au Syndicat national de l’enseignement technique et professionnel (SNETP-CGT). Il rejoignit le Parti socialiste (courant CERES) en 1972, après le congrès d’Epinay. Quatre ans plus tard, Il fut élu conseiller général de la Loire et maire de Roanne à la tête d’une liste d’Union de la gauche puis, l’année suivante, député de la 5e circonscription de la Loire, un département encore largement industrialisé : Houillères, Arsenaux d’État, Manufrance, Creusot-Loire. Il montra son attachement à l’économie sociale en créant une structure associative d’aide aux personnes âgées couvrant 120 communes et employant plus de 500 salariés (aides à domicile, télé-assistance, résidences locatives « Marguerite », maisons de retraite, accueil pour malades « Alzheimer » et leurs aidants). Fort de cette expérience régionale en matière sociale et économique, il rejoignit l’équipe du candidat Mitterrand à la présidentielle de 1981. Il fut alors nommé, à 38 ans, ministre du Travail du gouvernement Mauroy et prépara, avec son cabinet et les partenaires sociaux, un ensemble de textes qui marquèrent profondément le monde du travail.
Après avoir été, avec Jacques Delors, parmi les artisans de l’augmentation du SMIC de 10% (avec un effet de 50% seulement sur les charges sociales) en juin 1981, il présenta, le 8 octobre de la même année, son rapport sur les droits des travailleurs qui inspira les textes législatifs et ordonnances de 1982. Ces lois furent marquées notamment par l’influence de la CFDT et de Martine Aubry, membre de son cabinet. Ce rapport provoqua un tollé de la part de la Confédération nationale du patronat français(CNPF). La gauche communiste qui avait espéré que le ministère du Travail lui serait confié, tout comme la CGT, marquèrent leur désappointement. Ils ne retrouvaient pas certaines de leurs propositions : veto des CE sur les licenciements et les embauches ; possibilité pour les membres des CE et CHS d’arrêter un atelier ou bien une machine jugés dangereux ; sanctions contre le recours abusif au travail intérimaire. Cependant, ces préoccupations furent reprises par des dispositifs nouveaux : limitation et renchérissement des contrats à durée déterminés, droit de retrait d’un salarié en situation de danger, droit d’alerte du Comité d’entreprise (CE) disposant désormais d’un budget indépendant de 0,2 % de la masse salariale. Le projet bénéficia finalement du soutien de la CFDT et de l’adhésion critique de la CGT et de la CGT-FO. Les secrétaires du PS, Lionel Jospin, et du PCF, Georges Marchais, défendirent quant à eux, le projet à l’Assemblée nationale. Peu de temps auparavant, au printemps 1982, Jean Auroux avait fait approuver des ordonnances modifiant l’organisation du travail : réduction du temps de travail sur la semaine (39 heures payées 40 ), sur l’année (5e semaine de congés payés), et sur la vie (retraite à 60 ans) ; limitation du travail intérimaire aux renforts ponctuels et aux remplacements.
La première Loi Auroux du 4 août 1982 – choix d’une date symbolique - institua un droit d’expression directe et collective des salariés sur le contenu et l’organisation du travail. Elle visait à l’extension de la citoyenneté dans la sphère de l’entreprise : « citoyens dans la cité, les travailleurs doivent l’être aussi dans leur entreprise » ; « l’entreprise ne doit pas être le lieu du bruit des machines et du silence des hommes » ; cette loi imposa également le contrôle du règlement intérieur auparavant laissé à l’arbitraire patronal.
La seconde loi, en date du 28 octobre, relative au « développement des institutions représentatives du personnel » renforça les prérogatives et les moyens des délégués du personnel, des organisations syndicales et du CE disposant d’un budget propre en sus des activités sociales et culturelles. Elle fixa l’attribution d’une dotation minimale de fonctionnement au Comité d’entreprise égale à 0,2 % de la masse salariale brute.
La troisième loi, du 13 décembre 1982, relative « à la négociation collective et au règlement des conflits du travail » instaura une obligation annuelle de négocier dans l’entreprise, sur les salaires, la durée et l’organisation du travail.
La dernière loi Auroux du 23 décembre 1982 donna naissance aux « Comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) » en élargissant le champ de compétence des « Comités d’hygiène et de sécurité (CHS) » aux conditions de travail. Les droits des nouveaux CHSCT furent également renforcés en matière de formation. Enfin, cette loi fit également apparaître une nouvelle notion : le droit de retrait. Ce droit donnait au salarié la possibilité de se retirer d’une situation de travail en cas de danger grave et imminent.
Les décrets d’application suivirent alors que Jean Auroux fut nommé, en juin 1982, ministre des Affaires Sociales, chargé du Travail ; puis du 23 mars 1983 au 23 juillet 1984 devint secrétaire d’État auprès du ministre de l’Industrie et de la Recherche, chargé de l’Énergie. Sa carrière ministérielle se poursuivit dans les gouvernements suivants : du 23 juillet 1984 au 20 septembre 1985, il fut secrétaire d’État auprès du ministre de l’Urbanisme, du Logement et des Transports, chargé des Transports ; puis du 20 septembre 1985 au 20 mars 1986, ministre de l’Urbanisme, des Transports et du Logement. Éloigné pendant cinq ans de la vie électorale de Roanne, il ne fut pas reconduit aux élections législatives mais conserva son mandat de maire de la ville jusqu’en 2001.
Parallèlement, Jean Auroux créa, en 1988, la « Fédération des maires des villes moyennes », aujourd’hui « Villes de France ». Il fut à l’origine de la création de « l’Établissement public d’aménagement de la Loire et de ses affluents » avec l’objectif de développer cet axe d’échanges sur le plan économique, écologique et culturel. Son intérêt pour les questions sociales et la pédagogie se traduisit également par la mise en place d’un « Réseau d’entreprises d’entrainement ». Le dispositif visait à former des adultes aux métiers tertiaires en assurant des « fonctions réelles » au sein d’une entreprise « fictive » adossée à une structure de formation existante. Sur trois décennies, une centaine d’entre-elles virent le jour en France et 500 à l’extérieur de l’Hexagone.
Jean Auroux signa, en juin 2007, l’appel « Gauche avenir » avec Jean-Pierre Chevènement, Marie-Noëlle Lienemann, Benoît Hamon, Emmanuel Maurel et Paul Quilès. En novembre 2008, au congrès de Reims, Jean Auroux vota pour la motion « Un monde d’avance. Reconstruire l’espoir à gauche ». La même année, il se retira de la vie politique à Chandon (Loire), prés de Roanne tout en continuant à militer pour le monde du travail en participant à de nombreux colloques ou rencontres universitaires. Parrain d’une association de Comités d’entreprises « Le Toit citoyen », il préside depuis 2010 le jury décernant chaque année deux prix récompensant les meilleurs ouvrages sur le monde du travail.
Par Jean-Paul Richez
SOURCES : Patrick Gobert Jean Auroux, l’homme des lois : entretiens avec Patrick Gobert, Éditions du 1er mai, 2012, 160 p. — Entretien avec Jean Auroux, le 22 novembre 2018.