DANGEVILLE Roger, Pierre

Par Philippe Bourrinet

Né le 1er juin 1925 à Hayange (Moselle), mort le 3 septembre 2006 à Mérindol-les-Oliviers (Drôme) ; germaniste ; militant communiste « bordiguiste », éditeur, traducteur et commentateur de Marx et Engels, animateur de la revue Le Fil du temps et de la maison d’édition italienne « Edizioni 19/75 ».

Roger Dangeville, à droite, au premier plan. À gauche, Bruno Maffi et Amadeo Bordiga, les dirigeants du mouvement « bordiguiste » (20-21 septembre 1958, réunion de Parme) [Source : Sandro Saggioro, In attesa della grande crisi.
Storia del Partito Comunista Internazionale 1952-1982
, Edizioni Colibri, oct. 2014]

Roger Dangeville, fils de Pierre Dangeville, ouvrier, et de Catherine Siegler, est né dans cette partie de la Lorraine qui avait été annexée au Reich de 1870 à 1919. Hayange (Hayingen en allemand), ville sidérurgique de la Lorraine « cœur d’acier », avait vu la naissance en 1769 des premiers haut-fourneaux à coke du continent européen.

Il possédait dès l’enfance parfaitement l’allemand. Élevé dans une famille prolétarienne, il aurait été « déporté à l’âge de 16 ans » avec son père, « communiste lorrain », un membre de sa famille, René Dangeville (1921- ?) ayant péri en déportation.

Il devint, dès le début des années 1950, un collaborateur du marxologue Maximilien Rubel*, qui avait alors des contacts avec toute la mouvance marxiste radicale (communistes des conseils et « bordiguistes »). Il rejoignit en 1956 le groupe de Paris de la Fraction française de la gauche communiste internationale (FFGCI), noyau formé par le courant d’Amadeo Bordiga. Formé par Suzanne Voute*, il milita en compagnie de Daniel Dumartheray*, Jacques Angot, Goupil (André Claisse*, un des acteurs de la grève de Renault de 1947) et des militants italiens. Pendant dix ans, il fut en contact étroit avec Amadeo Bordiga, avant de quitter le groupe en 1966 en compagnie de Jacques Camatte* et de quelques autres militants, comme Jacques Angot. Jacques Camatte devait animer la revue Invariance, tandis que, de son côté, Roger Dangeville produisait la revue Le fil du temps, qui tirait son nom de la rubrique tenue par Amadeo Bordiga dans la presse « bordiguiste » italienne (Battaglia comunista, puis Il Programma comunista) de 1949 au début de l’année 1955 : « Sul filo del tempo » (il y eut aussi un unique numéro d’une revue éponyme en 1953). 14 numéros de la revue française Le fil du temps parurent, d’abord sous forme ronéotypée, puis sous forme offset, ce qui causa un problème financier rapidement insurmontable ; la publication s’arrêta en 1977 (le n° 14, non daté, portait sur l’« État modèle » belge).

Parallèlement à l’édition de la revue Le fil du temps et à son travail de traducteur - marqué en 1970 par sa traduction de la Dialectique du concret du philosophe tchèque et marxiste dissident Karel Kosik (1926-2003), Roger Dangeville publia en 1967 et 1968 chez Anthropos sa propre édition des Grundrisse de Marx, sous le titre Fondements de la critique de l’économie politique, ce qui fut l’objet d’une rupture avec Maximilien Rubel qui en contestait la validité et la scientificité. Roger Dangeville fut surtout le traducteur, le compilateur et l’éditeur critique de nombreux recueils de textes de Marx et Engels : Écrits militaires aux Éditions de l’Herne (1970), et tout particulièrement, dans les collections de poche Maspero ou 10/18 : La guerre civile aux États-Unis (1970), La Commune de 1871 (1971), Le syndicalisme (1972), La Chine (1972), Le parti de classe (1973), Le Mouvement ouvrier français (1974), La Russie (1974), La Social-démocratie allemande (1975), Critique de l’éducation et de l’enseignement (1976), Les Utopistes (1976), Utopisme et communauté de l’avenir (1976), Critique de Malthus (1978).

Tous ce travail éditorial, considérable, devint vite une mine de références pour un certain nombre de jeunes militants marxistes de la génération des années 1970, qui recherchaient des recueils de textes choisis de Marx et Engels non passés par le crible des partis communistes officiels, à Moscou ou à Pékin. Néanmoins, sous couvert d’anonymat de textes sortis tout armés du « Parti historique » marxiste, Roger Dangeville enrichissait surtout par des contributions d’Amadeo Bordiga (sans le mentionner) ses préfaces et gloses aux textes de Marx et Engels.

À la même époque, sortirent sous sa direction cinq numéros en allemand de la revue Der Faden der Zeit, de 1973 à 1977, éditée à Berlin, ainsi que quelques numéros de Sul filo del tempo, à Turin, en Italie, où il garda un solide réseau de contacts avec la mouvance « bordiguiste ». Sous sa direction, fut fondée dans la capitale piémontaise la maison d’édition 19/75, qui de 1978 à 1982 édita un certain nombre de ses textes traduits en italien, accompagnés de textes de Bordiga, dans l’attente de la « crise révolutionnaire » mondiale.

En octobre 1968, Roger Dangeville avait annoncé dans sa revue Le Fil du temps la fin de la « phase de prospérité » et l’explosion d’une crise mondiale vers 1975, favorable à la perspective d’un nouveau cours de « révolution mondiale », tel qu’annoncé dans les années 1950 par Bordiga.

Après l’éclatement, en 1982, du Parti communiste international (PCInt) « bordiguiste », tant en France qu’en Italie, mais aussi l’échec du mouvement social en Pologne, Roger Dangeville - après une décennie marquée par une activité éditoriale exceptionnelle - délaissa toute activité politique.

Dangeville fut considéré même par ses anciens camarades d’organisation « bordiguistes » comme un « marxologue » dogmatique, aussi bien sur le plan théorique que pratique. Lors de la scission de 1966, qui avait donné naissance à son groupe « Fil du temps », il avait affirmé que le « marxisme interdisait toute initiative sur le plan de l’organisation ». Il possédait, néanmoins, une connaissance de Marx - longuement perfectionnée par des séjours à l’Institut d’Histoire sociale d’Amsterdam -, stupéfiante. Dans les réunions publiques de son « Parti », il officiait comme un théologien du marxisme, tel « un exégète, blanchi à déchiffrer la Bible, il allait droit au tome et à la page concernés ». Très attaché aux dogmes d’un « léninisme » puriste, il affirma toujours que le marxisme ne supportait pas l’innovation, et que Lénine lui-même ne « pensait qu’à restaurer le marxisme tout court ».

Cet attachement viscéral à un « bolchevisme » intégral et intégriste le conduisit à défendre une vison de la révolution « communiste » quelque peu « terroriste ». Selon lui, l’accès à un « communisme supérieur » ne serait « possible qu’au moyen de mécanismes de coercition et d’oppression à la tête desquels se trouvent la dictature, la terreur rouge, la guerre civile en permanence, organisées par l’avant-garde des ouvriers, le parti communiste ».

Dans les vingt dernières années de sa vie, il s’était retiré en Provence, à Mérindol-les-Oliviers (Drôme), où il mourut le 9 septembre 2006.

Sa veuve Eva Maria Wiehl, traductrice, a donné en décembre 2010 l’autorisation au site canadien « Les classiques des sciences sociales » (http://classiques.uqac.ca/classiques/) de republier électroniquement les contributions de Roger Dangeville.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article21379, notice DANGEVILLE Roger, Pierre par Philippe Bourrinet, version mise en ligne le 25 octobre 2008, dernière modification le 28 février 2017.

Par Philippe Bourrinet

Roger Dangeville, à droite, au premier plan. À gauche, Bruno Maffi et Amadeo Bordiga, les dirigeants du mouvement « bordiguiste » (20-21 septembre 1958, réunion de Parme) [Source : Sandro Saggioro, In attesa della grande crisi.
Storia del Partito Comunista Internazionale 1952-1982
, Edizioni Colibri, oct. 2014]

ŒUVRE : « La crise économique et sociale de mai-juin », Le fil du temps, Paris, n° 3, oct. 1968. — « Succession des formes de production et de société dans la théorie marxiste », Le fil du temps, Paris, n° 9, juillet 1972. — « Le marxisme et la question militaire », Le fil du temps, Paris, nos 10, sept. 1974, et 11, mars 1975. — La crisi storica del capitale drogato, Edizioni 19/75, Torino, 1978. — Critica della corrotta prassi dei sindacati, 2 vol., Torino, Edizioni 19/75, 1979. — Le forme di produzione successive nella teoria marxista, Edizioni 19/75, Torino, 1980. — Decidera la guerra o la rivoluzione ? : schieramento di forze gigantesche in urto nell’attuale crisi, Torino, Edizioni 19/75, 1981. — Économia e strategia della rivoluzione proletaria, Edizioni 19/75, Torino, 1982. — La guerra civile in Polonia, Edizioni 19/75, Torino, 1982.

SOURCES : L. F., « Un camarade historien de la Gauche communiste nous a quittés », Le Prolétariat universel, s.l., n° 144, 20 septembre 2006. — Michel Olivier, « Roger Dangeville », Notes internationalistes, n° 7, décembre 2006. — Robert Camoin, « Roger Dangeville », Présence marxiste, n° 53, s.l., décembre 2006. — — Félicie Pastorello-Boidi, http://fpbmc.wordpress.com/category/lavantlapres-mai-68/ 2011 — « Roger Dangeville », in Programme communiste, n° 101, août 2011.— Etat civil.

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