BONY Félix

Par Gauthier Langlois

Né vers 1825 à Saint-Étienne (Loire) ? ; ouvrier ; opposant au coup d’état du 2 décembre 1851, réfugié à Jersey où il mourut le 24 septembre 1854. Victor Hugo fit son éloge funèbre.

Selon Pierre Leroux « il avait été instructeur à l’école de Saumur. Sa taille était élevée, ses traits plein de droiture et de candeur. C’était un habile écuyer, un élève du fameux Baucher ; il passait ici pour son rival. » L’historien Abel Dechêne qualifie Félix Bony de brillant officier sorti de l’École de Saumur ; Victor Hugo affirme qu’il avait été conscrit avant de venir travailler comme ouvrier à Paris. Son acte de décès n’ayant pas été enregistré et son nom n’apparaissant ni sur les registres de naissance de Saint-Étienne ni sur la base des poursuivis du 2 décembre 1851, l’État-civil exact de Félix Bony n’est pas connu.

Selon le témoignage de Victor Hugo, il avait combattu sur les barricades parisiennes élevées suite au coup d’état du 2 décembre 1851. Réfugié à Jersey peu de temps après il s’y retrouva avec nombre de proscrits dont Victor Hugo et participa à leurs activités politiques. Le 21 octobre 1853, il participa à l’assemblée générale des proscrits républicains résidant à Jersey, qui déclara le sieur Julien Hubert comme espion et agent provocateur de la police de Napoléon III. Pour vivre Bony tenait un manège sur la Parade.

Pierre Leroux décrit ainsi sa vie et sa mort dans l’île : « Oh ! le malheureux ! quelles peines il s’est données pour établir à Jersey un manège ! Il avait à cela un intérêt sacré. Il avait connu dans une auberge une jeune fille, bien pauvre, bien peu jolie, qui était servante. Il l’aima, et elle ne lui résista pas. Elle l’avait peut-être aimé la première, et elle le croyait fidèle. Elle ne se trompait point. À peine lui eut-elle appris qu’elle portait dans son sein un fruit de leur amour, qu’il l’épousa et lui donna son nom. Mais il faut un nid à cet enfant qui va naître. Voilà Boni en campagne. Que de soins, dis-je, que de peines, que de tourments, pour avoir à sa disposition quelques chevaux que les loueurs de voiture lui prêtent ! Enfin il a réussi, il a même trouvé des élèves. Hugo et ses fils donnent l’exemple. Je les ai vus, sur ce rivage, caracoler sous l’habile direction de Boni. Tout va bien pour ce pauvre ami ! Hélas ! voilà qu’au comble de ses vœux la maladie le prend, la consomption se déclare. O art des médecins ! art encore à trouver ! J’admire ton zèle et tes soins empressés, ô cher docteur Barbier. Ce n’est pas ta science qui fait défaut, c’est la science. Je t’entends me dire : « Je prolongerai sa vie, je l’aiderai à espérer jusqu’à la fin ; c’est tout ce que je puis faire : nous autres médecins, nous sommes comme les poètes, nous emmiellons les bords du vase. » J’entends Boni répéter, après chaque crise : « Dans huit jours, je rouvrirai mon manège. » Il espéra, en effet, jusqu’au dernier moment. La Mort se cache de sa victime, et se plaît à la tromper ; elle est masquée encore quand elle vient la saisir ! Mais sa pauvre jeune femme ! Elle aussi, elle s’abusait : je la vois revenir de la pharmacie les mains remplies de drogues, un quart d’heure avant que son Charles n’expirât. Elle a appris maintenant à connaître la Mort. Allons ! Boni, brave soldat, le drapeau rouge vient te chercher pour te conduire au cimetière ! »

Mort, dit-on, d’épuisement, il fut enterré le 27 septembre 1854 dans le cimetière réservé aux proscrits dans la paroisse Saint-Jean (aujourd’hui cimetière Macpela à Sion). Victor Hugo, entouré des proscrits de Jersey, prononça le discours suivant lors de son enterrement :

SUR LA TOMBE DE FÉLIX BONY
21 septembre 1854
Citoyens,
 
Encore un condamné à mort par l’exil qui vient de subir sa peine !
 
Encore un qui meurt tout jeune, comme Hélin, comme Bousquet, comme Louise Julien, comme Gaffney, comme Izdebski, comme Cauvet ! Félix Bony, qui est dans cette bière, avait vingt-neuf ans.
 
Et, chose poignante ! les enfants tombent aussi ! Avant d’arriver à cette sépulture, tout à l’heure, nous nous sommes arrêtés devant une autre fosse, fraîchement ouverte comme celle-ci, où nous avons déposé le fils de notre compagnon d’exil Eugène Beauvais, pauvre enfant mort des douleurs de sa mère, et mort, hélas ! presque avant d’avoir vécu !
 
Ainsi, dans la douloureuse étape que nous faisons, le jeune homme et l’enfant roulent pêle-mêle sous nos pieds dans l’ombre.
 
Félix Bony avait été soldat ; il avait subi cette monstrueuse loi du sang qu’on appelle conscription et qui arrache l’homme à la charrue, pour le donner au glaive.
 
Il avait été ouvrier ; et, chômage, maladie, travail au rabais, exploitation, marchandage, parasitisme, misère, il avait traversé les sept cercles de l’enfer du prolétaire. Comme vous le voyez, cet homme, si jeune encore, avait été éprouvé de tous les côtés, et l’infortune l’avait trouvé solide.
 
Depuis le 2 décembre, il était proscrit.
 
Pourquoi ? pour quel crime ?
 
Son crime, c’était le mien à moi qui vous parle, c’était le vôtre à vous qui m’écoutez. Il était républicain dans une république ; il croyait que celui qui a prêté un serment doit le tenir, que, parce qu’on est ou qu’on se croit prince, on n’est pas dispensé d’être honnête homme, que les soldats doivent obéir aux constitutions, que les magistrats doivent respecter les lois ; il avait ces idées étranges, et il s’est levé pour les soutenir ; il a pris les armes, comme nous l’avons tous fait, pour défendre les lois ; il a fait de sa poitrine le bouclier de la constitution ; il a accompli son devoir, en un mot. C’est pour cela qu’il a été frappé ; c’est pour cela qu’il a été banni ; c’est pour cela qu’il a été « condamné », comme parlent les juges infâmes qui rendent la justice au nom de l’accusé Louis Bonaparte.
 
Il est mort ; mort de nostalgie comme les autres qui l’ont précédé ici ; mort d’épuisement, mort loin de sa ville natale, mort loin de sa vieille mère, mort loin de son petit enfant. Il a agonisé, car l’agonie commence avec l’exil, il a agonisé trois ans ; il n’a pas fléchi une heure. Vous l’avez tous connu, vous vous en souvenez ! Ah ! c’était un vaillant et ferme cœur !
 
Qu’il repose dans cette paix sévère ! et qu’il trouve du moins dans le sépulcre la réalisation sereine de ce qui fut son idéal pendant la vie. La mort, c’est la grande fraternité. (...)

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article213861, notice BONY Félix par Gauthier Langlois, version mise en ligne le 26 mars 2019, dernière modification le 4 décembre 2021.

Par Gauthier Langlois

SOURCES : A la France. L’agent provocateur Hubert, Jersey : imp. universelle, [1853]. — Victor Hugo, « 1853-L’espion Hubert », Œuvres inédites de Victor Hugo. Choses vues, 1888, p. 291-330. — Hugo, Victor, « Sur la tombe de Félix Bony », Œuvres complètes de Victor Hugo. Actes et paroles. 2, publiées par Paul Meurice, puis par Gustave Simon, Paris, A. Michel, 1937-1940, p. 86. — Pierre Leroux, « La Grève de Samarez. Poème philosophique. chapitre XXIX - Boni », L’Espérance. Revue philosophique, politique, littéraire, avril 1859, p. 245. — Abel Dechêne, « Les proscrits du deux-décembre à Jersey (1852-1855) », Études, juillet 1917, p. 607. — Jules Clarétie, « La vie à Paris », Le Temps, 4 août 1883. — Arch. privées de la famille Alavoine-Baudains, Liste établie par Eugène Alavoine après 1870. — Note de Rémi Gossez.

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