AUBRY Charles, Auguste, Joseph, Georges

Par Michel Thébault

Né le 28 février 1922 à Segré (Maine-et-Loire), blessé en action, achevé par un maquisard, le 26 août 1944 à Messemé (Vienne) ; ouvrier agricole ; résistant, maquis de Scévolles (Vienne).

Charles Aubry était le fils de Charles Aubry et d’Anne Marie Poutier. Ses parents, séparés, étant décédés, il fut orphelin très jeune. Recueilli dans un premier temps par sa sœur, domiciliée à Rennes (Ille-et-Vilaine), il fut rapidement livré à lui-même. Le 7 décembre 1938, âgé de 16 ans, il comparut, accusé d’escroquerie, devant le tribunal de Rennes. Acquitté, il fut néanmoins confié, sur placement judiciaire, au Patronage Rollet, 379, rue de Vaugirard à Paris. Ce « Patronage de l’enfance et de l’adolescence » avait été fondé en 1890 par un avocat, Henri Rollet, pour recevoir les « dévoyés, vagabonds ou jeunes coupables » âgés de 8 à 18 ans. Accusé d’un « incident à la liberté surveillée », Charles Aubry comparut dès le 20 mars 1939 devant le tribunal de la Seine. À nouveau acquitté, il fut « confié » jusqu’à sa majorité à l’Administration pénitentiaire. Il fut alors dirigé vers la colonie pénitentiaire de Saint-Hilaire à Roiffé (Vienne) proche de l’établissement pénitentiaire de Fontevraud (Maine-et-Loire) dont elle avait longtemps directement dépendu. Dans des conditions très dures, plusieurs centaines de jeunes, y étaient astreints à des travaux agricoles sur les 400 ha. du domaine. Dans les années 1930 une vaste campagne de presse sur les bagnes d’enfants ayant dénoncé « les enfants martyrs en uniforme », en 1940, la colonie de Saint-Hilaire devint par arrêté du 25 février 1940, une Institution publique d’éducation surveillée (Ipes). Des éducateurs spécialisés et des instituteurs remplacèrent les surveillants dans l’accompagnement quotidien des adolescents et l’accent fut mis sur la formation professionnelle. Le rapport de l’éducateur-chef concernant Charles Aubry, daté du 20 octobre 1941 (AD 86 op. cit.) précise : « Indiqué à son arrivée à l’établissement comme de tendances assez perverses, le jeune Aubry s’est cependant bien comporté … ce qui lui a permis de bénéficier d’un placement familial… employé chez un cultivateur de Ruault-Rigné près de Thouars (Deux-Sèvres). Son patron ne signale rien de défavorable quant à l’honnêteté du pupille ». Charles Aubry fut libéré sa majorité acquise, le 28 février 1944, et resta dans la région trouvant un emploi au sud de Loudun, ouvrier agricole à Ouzilly-Vignolles, commune de Moncontour (Vienne).
À l’été 1944 il s’engagea dans la Résistance rejoignant le maquis de Scévolles, constitué en forêt autour du 11 août 1944. Après le 20 août 1944 (le 19 août un ordre de repli général avait été donné aux unités allemandes stationnées dans le sud-ouest), tout le département de la Vienne fut concerné par le passage de troupes allemandes en retraite accrochée à plusieurs reprises par les maquisards. D’après son acte de décès, Charles Aubry fut tué le 26 août 1944 à Ceaux-en-Loudun, à 15 heures, « au cours d’une échauffourée ».
Le 14 janvier 1945, le journal Le Patriote Poitevin, contrôlé par le parti communiste et relancé dans la clandestinité par Lucien Jouy publia l’entrefilet suivant : « Un crime ? Huit jours avant le départ des Allemands de Loudun, un samedi soir, au bourg de Messemé, un engagement a lieu entre FFI et Allemands. Au cours de celui-ci un FFI est blessé et tombe dans le fossé, à ce moment-là, R… arrive sur les lieux et froidement achève le blessé de deux coups de revolver, car le premier avait manqué son but. Cet acte odieux doit avoir les conséquences qu’il mérite et nous exigeons une enquête sévère sur ce fait regrettable. Cet homme, cet assassin, doit être mis sous les verrous et il serait inconcevable qu’il conserve une responsabilité quelconque, même fut-elle au C.L.L ». Dès le lendemain, 15 janvier 1945, une enquête de la gendarmerie nationale fut diligentée par la Commission d’Épuration du C.D.L ; « sur les agissements de Pierre Richard, demeurant à Loudun » (AD 86 op. cit.). Une quinzaine de résistants et de témoins, et Pierre Richard lui-même, horloger-bijoutier à Loudun, membre du CLL, furent entendus. Pierre Richard prétexta qu’il avait pris le blessé pour un soldat allemand, et qu’ayant dans les mêmes conditions achevé quelques instants auparavant un officier allemand, il avait décidé « voyant cet homme à l’agonie » de l’achever également. Les récits des autres témoins diffèrent de cette version. Selon Abel Berton : « Au mois d’août 1944, j’appartenais aux FFI, groupe de Scévolles. Le 26 … alors que tout le groupe des FFI était au bourg de Messemé, plusieurs camions allemands sont passés sur la route de Richelieu à Loudun, à une distance approximative de deux cents mètres. Un soldat des FFI qui était au milieu de la chaussée a tiré sur les camions avec son fusil-mitrailleur. Les Allemands ont riposté et le soldat des FFI a été blessé au cou ou derrière la tête. Il était tombé à la renverse, en se plaignant, il était inondé de sang. A ce moment Pierre Richard est arrivé en automobile… et a tiré sur le blessé le tuant net ». D’autres témoignages des habitants du village, témoins de la scène confirment cette version : « Le 26 août 1944, dans l’après-midi, lors de l’engagement entre les Allemands et les FFI, je me trouvai dans ma forge. Un homme des FFI a été blessé, alors qu’il se trouvait à proximité du cimetière. Je n’ai pas vu la blessure mais je sais que le blessé avait été transporté par ses camarades en bordure de la route. Il était allongé sur le dos, les bras le long du corps et son béret basque lui masquait le visage. Alors que je me trouvais à quelques mètres du blessé, Richard a sorti son revolver et lui a tiré deux balles dans la tête », un autre témoin ajoutant : « J’ai vu un homme blessé. Richard est arrivé en automobile et après en être descendu, il a dit « il est perdu, on va le finir ». Puis il a sorti son revolver et a tiré deux balles sur le blessé ». Il paraît difficile d’admettre que Charles Aubry ait pu être confondu avec un soldat allemand qui de toute évidence aurait porté un uniforme, il fut donc achevé et exécuté sommairement par un autre maquisard.
Il obtint la mention mort pour la France et son nom est inscrit sur trois monuments aux morts, à Segré, sa commune natale, à Guesnes (Vienne) et à Loudun. Son nom est également inscrit sur la stèle du maquis de Scévolles. Charles Aubry fut inhumé dans le cimetière de Guesnes, il est aujourd’hui le seul des 22 morts du maquis dont le corps n’ait jamais été réclamé par sa famille et repose donc toujours dans ce cimetière. En sa mémoire, la commune de Guesnes fait chaque année fleurir sa tombe.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article214098, notice AUBRY Charles, Auguste, Joseph, Georges par Michel Thébault, version mise en ligne le 1er avril 2019, dernière modification le 25 mars 2022.

Par Michel Thébault

SOURCES : SHD Caen AVCC Cote AC 21 P 10126 (à consulter) — Arch. Dép. Vienne (1668 W 71 et 1 W 4572) Documents dépouillés et collationnés par Jacques Albert — Journal Le Patriote Poitevin 14 janvier 1945 — Élise Yvorel. L’influence des réformes de l’administration pénitentiaire sur la vie quotidienne des colons. L’exemple de Saint-Hilaire (1930-1960), Revue Histoire et sociétés, Revue européenne d’histoire sociale, n° 25-28, avril 2008 — Site VRID (Vienne, Résistance, Internement, Déportation), article Jacques Albert et Jacques Pirondeau, Le maquis de Scévolles, 2015 — Site Souvenir Français du Loudunais — Chemins de mémoire du Loudunais — Mémoire des Hommes — Mémorial genweb.

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