Par Gauthier Langlois
Né le 1er mars 1825 à Ambierle (Loire), mort le 26 août 1881 à Lisbonne (Portugal) ; courtier en assurance ; opposant au coup d’État du 2 décembre 1851, déporté en Algérie ; évadé, se réfugia à Jersey auprès de Victor Hugo qui lui fit une lettre de recommandation avec laquelle il s’installa comme photographe à Porto puis à Lisbonne. Revenu en France, il participa à la défense de Paris contre les prussiens puis à la Commune, ce qui lui valut de s’exiler à nouveau au Portugal.
Alfred Fillon fut déclaré à l’État-civil sous le nom de Laurent Fillon, fils de Claude Fillon, marchand et de Louise Dulis.
En 1851 il était célibataire et résidait à Paris 18 rue Trévise (ancien IIe arr.). Opposant au coup d’État du 2 décembre il fut arrêté. La commission militaire de Paris proposa sa déportation en Algérie, motivée par le commentaire suivant : « Socialiste exalté. Arrêté sur la place de la Bastille proférant des cris séditieux et excitant à la révolte. Il était porteur d’un poignard et de 15 cartouches. ». Il fut déporté à Maison-Carrée, près d’Alger mais réussit à s’évader et quitta l’Algérie.
Il choisit de se réfugier à Jersey dans la communauté de proscrits animée par Victor Hugo. Il participa aux activités politiques de cette communauté et notamment, le 11 novembre 1853, à l’assemblée générale des proscrits républicains résidant à Jersey, qui déclara le sieur Julien Hubert comme espion et agent provocateur de la police de Napoléon III. C’est sans doute pendant son séjour dans les îles anglo-normandes qu’il apprît, tout comme Victor Frond, son compagnon de fugue du bagne algérien, et Arsène Hayes, le métier de photographe. Munis de lettres de recommandation de Victor Hugo, adressées notamment à l’écrivain portugais António Feliciano de Castilholes, Alfred et Victor, sans doute également accompagnés par Arsène Hayes, partirent en 1857 pour le Portugal. Avant son départ il fit ses adieux au jersiais Philippe Asplet, l’un des principaux soutiens des proscrits dans l’île, et lui laissa une photo de lui dans son album.
Victor Frond s’installa à Lisbonne d’où il partit la même année vers le Brésil, Arsène s’installa à Coimbra et Alfred à Porto puis, de 1859 à 1866 à Lisbonne, 13 rua das Chagas et enfin 87 rua Serpa Pinto. Il avait ouvert un studio de photographie et rencontra vite le succès comme portraitiste officiel de la famille royale et des notables lisboètes. Il réalisait également des photographies de paysages et de monuments et travailla aussi pour la presse et l’édition. Parallèlement il expédiait en Isère des cocons de ver à soie.
Fin 1866 il revint en France et s’installa à Grenoble, 2, boulevard Militaire. Il y exerçait la profession de « graineur » en revendant des cocons de vers à soie qu’il avait ramenés du Portugal. Il s’installa ensuite Londres, 30 Gowetr-Street où il vivait de ses rentes avec sa femme, Adèle Marie Jeanne Vincent. En août 1871 celle-ci était à Coulommiers (Seine-et-Marne), pour vendre une maison qui lui appartenait.
À la proclamation de la République Alfred Fillon retourna à Paris pour prendre une part active dans la défense de la patrie et de la République. Il participa à la Commune mais échappa à la répression versaillaise en s’enfuyant au Portugal où il reprit son studio de la rue Serpa Pinto. Pour sa participation à la Commune il fut condamné par contumace par le 19e Conseil de Guerre.
S’étant beaucoup dévoué à la cause républicaine en France, au progrès et à la liberté, il commençait, malgré une constitution robuste, à sentir le poids des années. En août 1881 il partit en villégiature, avec sa femme et sa fille, se reposer dans le massif forestier de Buçaco au centre du Portugal. Mordu par insecte venimeux il tomba malade et mourut peu après dans son domicile de Lisbonne.
Personnalité lisboète, sa mort et son éloge funèbre furent publiés à la Une du Diario illustrado, l’un des journaux auxquels il avait collaboré.
Dans l’Intransigeant, Henri Rochefort salua ainsi sa mort : « Un proscrit de Décembre, un des combattants pour le droit, la justice et la vérité que le Coup d’Etat jeta hors la patrie, Alfred Fillon, est mort le 26 août à Lisbonne. Son enterrement a eu lieu civilement le 28 août. Rentré en France en 1866, il consacra de nouveau son temps, son argent, et toute son énergie à la lutte contre l’Empire. Proscrit de 1851, Fillon le fut encore de 1871. Nous tenons à donner un suprême souvenir à ce démocrate inébranlable, à ce vaillant républicain dont les convictions ne se sont jamais démenties et dont l’attitude a toujours été irréprochable. »
Par Gauthier Langlois
SOURCES : Archives de la Loire, acte de naissance de Laurent Fillon. — Maison de Victor Hugo-Hauteville House à Guernesey, Album Asplet folio 3. — Service historique de la Défense nationale, GR8J423, dossier 644. — BnF, notice autorité Fillon, Alfred. — Musée d’Orsay, Notice artiste n° 36862. Alfred Fillon. — Jean-Claude Farcy, Rosine Fry, « Fillion - Alfred Laurent », Poursuivis à la suite du coup d’État de décembre 1851, Centre Georges Chevrier - (Université de Bourgogne/CNRS), [En ligne], mis en ligne le 27 août 2013. — A la France. L’agent provocateur Hubert, Jersey : imp. universelle, [1853]. — Victor Hugo, « 1853-L’espion Hubert », Oeuvres inédites de Victor Hugo. Choses vues, 1888, p. 291-330. — Lygia Segala, « Victor Frond et le projet photographique du Brésil Pittoresque », Actes du colloque "Voyageurs et images du Brésil" Paris, MSH, 2003. — Le Courrier de la Drôme et de l’Ardèche, 17 janvier 1867. — L’Éclaireur de l’arrondissement de Coulommiers, 2 septembre 1871. — Diario illustrado, 28 août 1881. — L’Intransigeant, 12 septembre 1881. — « Alfred Fillon », Wikipedia.