DARDANT Mathilde

Par Jean-Pierre Ravery

Née le 16 avril 1911 à Folles (Haute-Vienne), tuée en octobre 1942 par le groupe Valmy à Montfort-l’Amaury (Seine-et-Oise, Yvelines) ; employée à l’Assistance publique de Paris ; résistante, agent de liaison de la direction du Parti communiste.

Mathilde Dardant, infirmière à l’hôpital Claude Bernard
Mathilde Dardant, infirmière à l’hôpital Claude Bernard
Cliché fourni par Pascale Dardant

Mathilde Dardant naquit à Fursannes, commune de Folles (Haute-Vienne), dans une famille de petits cultivateurs, Jules François Dardant et Amélie née Chazaud, mentionnée comme couturière sur l’acte de naissance. Elle était la sœur cadette de Marguerite Montré, secrétaire de Georges Gosnat à France-Navigation, formée à l’action clandestine en URSS. Son oncle Henri Dardant était un cheminot communiste. Son frère Félix, également cheminot, mourut dans un accident du travail en 1939. Elle fit tout pour seconder sa belle-soeur Thérèse et ses trois enfants. Selon les témoignages familiaux, le Parti communiste aida Thérèse à trouver du travail et un logement.

Montée à Paris en 1933, Mathilde Dardant devint agent des Hôpitaux de Paris et milita dans les rangs de la section communiste du XXe arrondissement. Le 12 juin 1940, peu avant l’entrée de l’armée allemande dans la capitale, elle partit pour la Haute-Vienne avec sa sœur et Benoît Frachon pour trouver refuge dans la ferme parentale. Elle retourna à Paris le 2 août 1940 avec le dirigeant du parti communiste clandestin et devint l’un de ses agents de liaison. Après avoir été hébergé un temps chez Eugen Le Moign à Montmorency, Benoît Frachon s’installa dans la villa « Les Roses » à Forges-les-Bains en septembre 1941. Sa femme et son fils étaient dans la Loire. Raymond Dallidet , dit « Raph », assura la sécurité du dispositif. Mathilde Dardant appartint donc au « saint des saints ». Après l’arrestation de sa sœur en novembre 1941, elle avertit ses parents qu’elle ne leur donnerait plus de nouvelles, par précaution, et elle poursuivit sa tâche d’agent de liaison. Elle disparut au cours de l’année 1942 sans laisser la moindre trace. À son retour de déportation, Marguerite Montré se mit à la recherche de sa sœur mais en vain. Mathilde fut finalement déclarée judiciairement décédée par jugement du tribunal de Bellac le 13 mars 1947. L’affaire pourtant n’était pas close au sein de la direction du PCF. Le 28 septembre 1949, Marcel Servin qui, l’année précédente, avait remplacé Jean Chaumeil à la tête de la commission des cadres, adressa à Maurice Thorez un « rapport sur la disparition de Mathilde Dardant ». Il commença par rappeler succinctement ses responsabilités pendant la clandestinité : « Mathilde est la fille de vieux camarades de la Haute-Vienne, chez lesquels Benoît Frachon a trouvé refuge en juin 1940. Elle est remontée à Paris avec Benoît. Elle assurait des liaisons de la direction du Parti, ou, pour eux, avec des camarades placés à l’échelon inférieur. » Marcel Servin exposa ensuite la « thèse officielle sur la disparition de Mathilde » dont, précise-t-il, la « source unique » était Raymond Dallidet : « Mathilde a été au service de la direction du Parti jusqu’en juin 1942 environ. À cette date, elle a été passée à un autre service (TSF). Elle a disparu en octobre 42 avec tous les camarades de ce service TSF et on n’en a plus jamais entendu parler. » Interrogé sur les raisons du changement de service, « Raph » répond : « elle avait un amant, il y avait danger à la maintenir ; par ailleurs, la faiblesse de sa vue pouvait amener une catastrophe. »

Servin aborda alors les « circonstances réelles de la disparition » : « en étudiant le dossier de l’affaire Valmy, j’avais vu que certains membres de ce groupe avaient exécuté, sur ordre du Parti, une femme en octobre 1942, dans les bois de Montfort-l’Amaury. J’avais fait le rapprochement avec la disparition de Mathilde Dardant. Le rapport de police sur cette question, basé sur les aveux d’un certain nombre de mouchards qui étaient dans le groupe Valmy, disait que cette femme avait été en liaison avec la direction du Parti. Elle aurait été exécutée sur les ordres du "Cadre National" (Breton) », c’est-à-dire Robert Dubois qui avait succédé à Arthur Dallidet. Dans son enquête, Marcel Servin rencontra deux survivants du groupe Valmy revenus de déportation, Focardi et Georges Urbini. Il trouva auprès d’eux confirmation de ses soupçons et exposa ses conclusions au secrétaire général du PCF : « il ressort que Mathilde n’a jamais été versée à un service TSF, qu’elle est toujours restée liaison de la direction ; qu’elle a été abattue, sur un ordre supérieur, par un membre du groupe Valmy (Bourbon) accompagné d’un autre homme non membre du groupe Valmy et ce en octobre 1942. » Dans la seconde moitié de son rapport intitulé « remarques sur cette affaire », Marcel Servin s’en prit à Raymond Dallidet qu’il accusa d’avoir « menti sciemment » et d’avoir été « l’autre homme non-membre du groupe Valmy » impliqué dans l’exécution de Mathilde Dardant. Mais à travers « Raph », il est évident qu’il visait Jacques Duclos et Benoît Frachon. Ainsi écrit-il qu’il « est à peu près hors de doute que Jacques, au courant de la vérité sur la disparition, se fait le défenseur de la même thèse que Raph ». Et Servin de préciser : « Je n’ai naturellement pas parlé à Jacques ». « Pourquoi ces mensonges et ces fausses explications de la disparition, laborieusement échafaudées ? poursuivit-il. Je ne le sais pas mais une chose semble claire : si l’exécution de Mathilde Dardant avait été justifiée devant le Parti (provocatrice, policière, etc.), il n’y avait nul besoin, pour le Parti d’échafauder tant de fausses pistes. » Marcel Servin aggrava encore un peu plus ses accusations implicites en relevant que « la police qui fait remonter à la surface tant d’histoires de la Résistance, qui a des aveux comme quoi Raph fut l’un des exécuteurs, la police n’a jamais rien fait semble-t-il pour identifier le corps retrouvé dans les bois quelques jours après l’exécution et n’a jamais rien fait du côté de Raph ». Sur ce point, Marcel Servin était mal informé. Dans sa livraison du 18 avril 1949, la revue Europe Amérique qui publiait en feuilleton « les révélations d’un inspecteur des brigades spéciales anticommunistes » nommé Jean Giot évoqua, sans la nommer, l’histoire de Mathilde Dardant : « une agente de liaison, au service d’un membre extrêmement important du parti, et qui fut un temps sa maîtresse, se livra à un chantage sentimental. Il donna l’ordre de l’abattre ». On aura confirmation bien plus tard que les anciens des BS recyclés dans les officines anticommunistes de la guerre froide avaient « mis de côté » des pièces relatives à cette affaire puisque Roland Gaucher publia en 1974, dans son Histoire secrète du PCF, le fac-similé du PV dans lequel était relatée la découverte du cadavre le 30 octobre 1942. La fin du rapport Servin du 28 septembre 1949 constitue un véritable projet de réquisitoire contre les deux principaux dirigeants de la Résistance communiste en France occupée. « Il est évident que l’exécution de Mathilde ne peut être considérée en elle-même » énonçait t-il en préambule, avant d’évoquer le sort d’un autre camarade assassiné, Georges Déziré : « le groupe Valmy avait déjà, sur ordre, après les chutes Cadras, Politzer, Danielle (NDR : Casanova), etc... exécuté Déziré. Déziré était accusé d’être un policier responsable des chutes. L’ordre d’exécution a été donné là aussi par la direction du Parti. Or chaque jour, ou presque, me confirme que Déziré était absolument innocent ».

Deuxième point : « Les membres du groupe Valmy qui avaient pourtant mille raisons d’être fusillés par les nazis, ont tous eu la vie sauve, mis à part quelques-uns morts en Allemagne. Aucun n’a été fusillé. Et c’était fin 1942. » À ce sujet, on sait aujourd’hui que le général Oberg, commandant des SS et de la police allemande en France, était convaincu d’avoir mis la main sur la « GPU du Parti » et qu’il avait donc décidé de différer l’exécution de ses membres afin d’en tirer le plus de renseignements possible. Troisième et dernier point soulevé par Servin : « Pendant la clandestinité, à travers toutes les chutes : Catelas, Cadras, Arthur Dallidet, Laffitte, etc., jamais on ne sent la volonté de la police de remonter plus haut pour frapper plus haut ». Conclusion du responsable du service des cadres : « Mon opinion est qu’il faut pousser plus loin, et vite. Mais je ne vois pas clairement le fil à attraper pour parvenir à la lumière complète ». On ignore quelles suites Thorez réserva à ce rapport de son collaborateur. Mais on sait qu’à la même époque, sur la suggestion de Servin à qui il avait demandé de réfléchir à la question, il constitua une « commission spéciale chargée de tirer au clair la vie du Parti pendant la clandestinité. » À n’en pas douter, elle devait lui permettre de réduire le prestige et le poids politique des anciens résistants au sein de la direction du PCF. S’agissant de Mathilde Dardant, il est possible aujourd’hui d’établir un « scénario probable » en rapprochant les documents et témoignages disponibles. Ainsi dans son livre de souvenirs Les Clandestins : 1940-1944, Jean Jérôme rapporte-t-il une anecdote concernant son « agent de liaison Odette » : « Je guettais ce jour-là son arrivée, posté non loin de la planque, afin de m’assurer qu’elle n’était pas suivie. Je la vis frôler presque un agent de police sur le trottoir et me demandai si c’était intrépidité ou simple sottise de sa part. Le lendemain, quand elle m’affirma n’avoir rencontré aucun policier à aucun moment sur son chemin, je me rendis compte qu’elle était terriblement myope ! » Jean Jérôme était à coup sûr l’un des militants avec lesquels Mathilde Dardant assurait des liaisons pour le compte de Benoît Frachon. Et il est plus que probable qu’elle était cette « Odette », « dont la faiblesse de sa vue pouvait amener une catastrophe », comme l’avait expliqué « Raph » à Servin. Lorsqu’il lui fut annoncé qu’elle allait être mutée par mesure de sécurité et remplacée par une autre, eut-elle des réactions de « femme jalouse » qui la firent condamner à mort par les responsables de l’appareil de sécurité de la direction du PCF clandestin ? C’est ce qui ressort de l’étude du dossier Valmy de l’ancienne CCCP.

Finalement, le décès de Mathilde Dardant fut judiciairement déclaré par le tribunal de Bellac le 13 mars 1947 avec la mention « Morte pour la France ». Son nom est inscrit sur le monument aux Morts de la commune de Folles et sur le monument commémoratif 1939-1945 du Jardin d’Orsay à Limoges (Haute-Vienne).

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article21442, notice DARDANT Mathilde par Jean-Pierre Ravery, version mise en ligne le 25 octobre 2008, dernière modification le 17 février 2022.

Par Jean-Pierre Ravery

Mathilde Dardant, infirmière à l'hôpital Claude Bernard
Mathilde Dardant, infirmière à l’hôpital Claude Bernard
Cliché fourni par Pascale Dardant
Mathilde Dardant
Mathilde Dardant
Thérèse Dardant et les trois neveux de Mathilde
Thérèse Dardant et les trois neveux de Mathilde
Marguerite Dardant, soeur de Mathide
Marguerite Dardant, soeur de Mathide

SOURCES : Correspondance avec Aimé Dardant et avec Pascale Dardant. — Marguerite Montré-Dardant, 2 camps-31 prisons, UFF, 1945. — Jean Jérôme, Les Clandestins : 1940-1944, Acropole, 1986. — Europe-Amérique, n° 202 du 18 avril 1949. — Roland Gaucher, Histoire secrète du PCF, Albin Michel, 1974. — Dossier « Groupe Valmy » de l’ancienne CCCP consulté en 1991 par l’auteur. — Jean-Marc Berlière, Franck Liaigre, Liquider les traîtres, la face cachée du PCF : 1941-1943, Robert Laffont, 2007. — État civil de la commune de Folles. — Notes de Pascale Dardant. — MémorialGenWeb.

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