LAÎNÉ Maurice, Marcel, André

Par Jean-Paul Nicolas

Né le 28 février 1920 à Maintenon (Eure-et-Loir) ; mort le 19 février 1995 à Dreux ; instituteur à Chartres (Eure-et-Loir) ; exclu du PCF en 1951 ; militant anticolonialiste ; enseignant en poste dans le Maghreb à partir de 1960, participa dès l’indépendance de l’Algérie et jusqu’en 1968 à construire l’Éducation Nationale de ce pays.

Maurice Laîné, âgé de 70 ans en 1990.
Maurice Laîné, âgé de 70 ans en 1990.

Maurice Laîné, fils d’Edouard Laîné, poseur de voies et d’Eugénie Lefèvre garde-barrière fit partie de ces jeunes gens qui eurent vingt ans en 1940.
Après ses études secondaires près de Dreux il fut admis à l’école normale de Chartres en 1937-38 et obtint son CAP d’instituteur le 6 mars 1940. Il fut sitôt mobilisé dans l’aviation le 13 mars 1940. C’est donc, alors qu’il était sous les drapeaux dans les derniers jours de la « drôle de guerre » qu’il épousa le 4 mai 1940, à Oradour-sur-Glane Denise Adrienne Mondot, native et originaire de ce village de Haute-Vienne où vivaient ses parents et toute sa famille proche.
De ce mariage, naîtront quatre enfants : Jysette en 1942, décédée à Oradour lors du massacre du 10 juin 1944. Claudette, née en 1943. Chantal en 1945. Daniel en 1947.
Maurice Laîné fut démobilisé le 11 septembre 1940, après quoi il passa par sa phase de probation enseignante en 1941 et 1942. L’administration de l’Académie situe au premier décembre 1942, la date de son premier poste à Barmainville (Eure-et-Loir).
Le 19 juillet 1943, Maurice fut raflé par le Service du travail obligatoire (STO), arraché à son foyer qui comportait maintenant une deuxième petite fille, Claudette, il fut expédié en Haute-Silésie, à Teschen dans ce qu’il décrit dans une lettre comme une prison entourée de barbelés et qui ressemble au Stalag VIII-B de Teschen en dépit du fait qu’il n’était pas un prisonnier de guerre. Il décrira plus tard ses conditions de vie atroces dans cette période qui avait amené certains détenus à se nourrir de rats.
Les états de services à l’Éducation Nationale de Maurice Laîné mentionnent son retour de Teschen en Eure-et-Loir à la fin de l’année 1944. Les souffrances l’avaient rendu méconnaissable. A son retour, il apprit la mort de sa fille Jysette âgée de deux ans, à Oradour et de ses beaux- parents assassinés avec son enfant. Ils gardaient et prenaient soin de leur petite fille qu’on pensait en sûreté chez eux dans la campagne calme et reculée du Limousin. Denise, son épouse originaire d’Oradour y perdit dix-sept personnes de sa famille dans le massacre du 10 juin 1944.
Maurice Laîné reprit son poste à la rentrée scolaire 1944 à Toury, village de Beauce, poste qu’il occupa jusqu’à une nouvelle mobilisation d’une année, du 21 avril 1945 au 31 mai 1946, probablement pour compléter ses six mois de service sous les drapeaux en 1940. De 1946 à 1948 il enseigna à Bailleau-l’Evêque, village de la Beauce.
En1948 il quitta les écoles rurales pour enseigner durant 11 ans à Chartres Place Drouaise jusqu’en 1960.
Maurice Laîné militait activement au PCF vers 1950 dans la cellule de Luisant (banlieue de Chartres) aux côtés d’un ami nommé Roger Pelluau et probablement en contact avec Elie Michel, secrétaire de la fédération du PCF d’Eure-et-Loir qui avait été président du Comité Départemental de Libération (CDL) en 1944. Un article de L’Écho Républicain de 1951, fait le constat d’un nombre important d’exclusions récentes de membres du PC à Chartres : en premier lieu Élie Michel qu’on accuse de collusion avec les Gaullistes du RPF et de clémence à l’égard de collaborateurs, contre de l’argent, à l’époque des procès de l’épuration. Maurice Laîné (avec Roger Pelluau selon le journal local) fit partie du lot des exclus de 1951. Une cause possible de cette exclusion : Maurice, contrevenant aux règles du PCF dans ce temps fort de la guerre froide où tout rapport avec un policier était interdit aux militants, s’affichait en compagnie d’un ami d’enfance devenu policier à Chartres. C’était le futur commissaire Maurice Bouvier dont le nom a été associé plus tard à la lutte anti OAS en 1962, à l’affaire Ben Barka en 65, puis à l’affaire Mesrine.
Neuf années s’écoulèrent à Chartres, à l’école Drouaise, après cette exclusion et en 1960, en pleine guerre d’Algérie, Maurice Laîné, anticolonialiste attaché au droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, postula pour la coopération au Maroc. Cette mutation acceptée, la famille Laîné quitta l’Eure-et-Loir pour Oujda, ville située au nord-est du Maroc non loin de la frontière Algérienne. Là, il enseigna les mathématiques dans un lycée chérifien durant trois ans, le lycée Omar Ibn Abdelaziz.
À deux pas de l’Algérie, Oujda était une base arrière, un lieu de repli pour le FLN et un refuge pour un grand nombre de réfugiés algériens. Maurice s’investit clairement en faveur de la révolution Algérienne, il géra en tant que bénévole la Maison des Enfants Algériens à Oujda, (encore appelée Maison des enfants de Chouhadas) pour les orphelins de guerre. En langue arabe, Chouhadas signifie Martyrs. Dans cette maison et celles de ses responsables, se réunirent périodiquement plusieurs responsables du FLN dont certains futurs dirigeants de l’état Algérien. Par exemple Houari Boumedienne.
Une fois l’indépendance algérienne proclamée en juillet 1962, Maurice Laîné postula par conviction politique pour la coopération technique en Algérie. Une mutation en Algérie lui fut accordée à la mi-mai 1963. Son action dans la Maison des enfants de Chouhadas lui procura un très bon accueil dans l’Algérie fraîchement indépendante.
Une lettre de sa fille Claudette Laîné nous décrit la suite des évènements :

Nous sommes donc tous arrivés à Alger (mes parents, ma sœur et mon frère) en juillet 1963, un an après l’indépendance. Après le départ des Français, c’était le chaos dans les administrations. Officiellement, mon père avait un poste dans un collège d’Alger, mais en fait, il était détaché au ministère de l’Éducation Nationale et avait comme chef de service un inspecteur de l’éducation nationale de sa connaissance qui était un ancien réfugié à Oujda pendant la guerre : Monsieur Chabane Belahcène, originaire de Grande Kabylie. Pour mon père, il s’agissait notamment d’élaborer des manuels scolaires pour l’Algérie indépendante.
C’est à cette période qu’il a fait connaissance avec le cinéaste René Vautier qui était directeur du Centre Audiovisuel National à Alger. René tournait des documentaires pour promouvoir l’Algérie et constituait les bases d’une cinémathèque nationale. Une amitié naquit.
Pendant les grandes vacances, mon père ne revenait pas régulièrement en France : il donnait des cours de mathématiques dans des chantiers d’été ; il s’agissait de mettre à niveau des jeunes afin qu’ils puissent remplacer les instituteurs français partis pour la plupart en 1962. Cette activité dans le ministère à Alger, au service d’une éducation nationale nouvelle n’a duré que deux ans.
Quand Boumedienne fit son coup d’état en 1965, mon père, étant favorable à Ben Bella, servait de boîte aux lettres pour les Benbellistes, ce qui représentait un danger pour lui. Un de ses amis fut d’ailleurs arrêté et emprisonné à Tebessa. Et c’est son chef de service, M.Belahcène, qui a voulu le mettre "au vert" et lui a trouvé un poste de directeur de collège en Grande Kabylie à Bordj Ménaïel (département de Tizi Ouzou) . Il occupa ce poste jusqu’en 1968, date à laquelle il fut victime d’un accident de voiture à Tizi-Ouzou, opéré à Ménerville et rapatrié sanitaire en janvier 1969.

Maurice Laîné retrouva son département d’Eure-et-Loir en 1969. Il fut nommé professeur de Mathématiques dans un collège à Dreux puis directeur d’un collège à Voves. Il prit sa retraite en 1975.
En 1975, Claudette Salhi Laîné était institutrice en poste à Lillebonne (Seine-Maritime). Elle apprit que René Vautier viendrait présenter ses films lors d’un week-end cinéma organisé par la MJC de Notre-Dame-de-Gravenchon, proche de Lillebonne. Elle fit venir son père Maurice pour une rencontre surprise avec René Vautier, dans les locaux de la MJC. Les deux hommes se tombèrent dans les bras l’un de l’autre et évoquèrent les souvenirs de cette Algérie indépendante si chère à leur cœur, au service de laquelle ils avaient œuvré chacun à leur manière.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article214676, notice LAÎNÉ Maurice, Marcel, André par Jean-Paul Nicolas, version mise en ligne le 21 avril 2019, dernière modification le 21 mai 2021.

Par Jean-Paul Nicolas

Maurice Laîné, âgé de 70 ans en 1990.
Maurice Laîné, âgé de 70 ans en 1990.
Elèves Maîtres à l'école normale de Chartres vers 1940. Maurice Laîné à droite.
Elèves Maîtres à l’école normale de Chartres vers 1940. Maurice Laîné à droite.
Maurice Laîné sonne une fin de récréation.
Maurice Laîné sonne une fin de récréation.

SOURCES : Entretiens avec Claudette Salhi Laîné, fille de Maurice Laîné, Jean-Paul Nicolas (2019).— Académie d’Orléans : Etat des services Education Nationale de Maurice Marcel Laîné au 20 septembre 1968.—Acte de mariage de Denise Mondol et Maurice Laîné le 4 mai 1940 commune d’Oradour-sur-Glane.— Article de l’Echo Républicain à la veille des élections législatives du 17 juin 1951 : Les exclusions dans le PCF à Luisant - Chartres.

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