DARROY Jean, Bernard

Par Paul Berger

Né le 30 juillet 1924 à Toulouse (Haute-Garonne), mort le 24 août 1997 à Metz (Moselle) ; instituteur ; syndicaliste du SNI ; militant associatif en Moselle ; trésorier national de la Ligue de l’enseignement.

Photographie de Jean Darroy
Photographie de Jean Darroy

La carrière de son père, ingénieur à sa naissance, puis officier amena Jean Darroy en Moselle, où il passa une partie de son enfance. Il fréquenta l’école primaire du Ban Saint-Martin. Elève de l’école primaire supérieure de Metz, il entra à l’Ecole normale d’instituteurs d’Alsace-Lorraine repliée à Périgueux en 1940, dans une promotion de jeunes mosellans « repliés à l’Intérieur » à Poitiers (Vienne) ou, comme lui, à Périgueux (Dordogne). En 1943, après une descente de la police allemande venue de Strasbourg, l’école étant menacée, les élèves se dispersèrent dans la zone Sud. Il regagna le foyer de ses parents à Massiac (Cantal), puis rejoignit le maquis d’Auvergne et prit part à la lutte (combats du Mont Mouchet et du viaduc de Garabit) contre les troupes allemandes qui remontaient, lors du débarquement, vers la Normandie.

Rentré en Moselle en 1945, Jean Darroy se mit au service des camarades de sa promotion menacée de faire une année supplémentaire « d’intégration » alors que tous avaient fait leurs études dans le reste de la France, sans enseignement catholique obligatoire comme il l’était en Moselle. Membre du Syndicat national des instituteurs en 1945, nommé instituteur à Metz-Queuleu puis à Hayange et à Maizières-lès-Metz , marié en juillet 1951 à Moulins-les-Metz avec Jeanne, Marthe Aeschlimann, passionné de pédagogie, il s’investit dans les oeuvres péri et post scolaires et fut détaché en 1953 auprès de la Fédération des œuvres laïques, difficilement créée en 1949, rue au Blé. Face à des oppositions partisanes tenaces, il installa en 1954 la FOL, 3 rue Gambetta, où elle connut, sous sa direction, une expansion considérable. Entre autres, la FOL de Moselle, soutenue par des subventions diverses, réalisa des investissements pour 750 lits dans les Vosges et dans l’Hérault. Il en fut élu secrétaire général en 1963. Au siège, il installa peu à peu aux côtés de la FOL, le SNI, la FEN, le SNES, la FCPE, la LDH, l’APEP. Membre du comité de l’Education permanente de la Ligue de l’Enseignement, il fut, avec son ami André Prochasson, membre actif du groupe des Eclaireurs et Eclaireuses de Metz.

Etienne Camy-Peyret le découvrit en 1952 et l’incita à militer activement dans le mouvement syndical. A partir de 1954, il devint l’un des piliers du SNI et de la FEN.
Il entra au bureau départemental de la FEN où il resta jusqu’à sa retraite en 1980 en occupant différentes responsabilités. Après le succès, unique en France, de l’action pour la suppression des zones de salaires des communes minières en Moselle en 1952 et 1964, par exemple, il anima l’action de solidarité des enseignants lors de la grande grève des mineurs de fer et de charbon de mars 1963. Il aida le mouvement des parents d’élèves avec la création de la FCPE. Il fut un des animateurs principaux du Cartel départemental d’action laïque qui lutta contre la sous-scolarisation aiguë en Moselle tout en tissant des liens avec le mouvement laïque d’Alsace. Le collectif très large en Moselle, regroupant toutes les forces de gauches syndicales et politiques, mena une action persévérante en faveur du respect de la liberté de conscience des parents en Alsace-Moselle. Cette impulsion aboutit à la création massive des collèges à partir de 1965 puis des lycées les années suivantes, au développement de l’université de Metz à la fin des années 1960. Lors de la lutte contre la loi Debré, il déposa les 35 000 signatures mosellanes à la tribune de la manifestation de Vincennes du 20 juin 1960.

Homme de conviction, Darroy n’avait jamais voulu adhérer à un parti afin de protéger le caractère unitaire de son action. Il jouait, parmi les forces de gauche, un rôle de coordination reconnu et apprécié, entre autres, dans la lutte contre la guerre d’Algérie, en mai 1958 lors du putsch d’Alger et lors de l’élection présidentielle de 1965. Il était considéré comme l’apôtre inlassable de l’unité des forces de progrès. Au plan syndical, il s’efforça de préserver la cohésion du mouvement en favorisant la cohabitation et le dialogue constructif entre les courants de pensée tout en s’abstenant d’adhérer à l’un d’eux. Cette unité, « spécificité mosellane » qui lui était chère, se traduisit par une activité et une audience exceptionnelles. Il contribua puissamment à ce que le SNI, qui ne représentait que 33 % des instituteurs à la Libération devienne nettement majoritaire en Moselle à partir des années 1960. Devant ses succès, les directions « autonomes » du SNI et de la FEN acceptèrent la cohabitation des tendances et le maintien en Moselle de la formule du Cartel d’action laïque aboli dans tous les autres départements. Le CDAL se réunissait tous les mois jusqu’en 1975, constituant un lieu de rencontre de tous les partis et syndicats de la gauche mosellane. Il était membre des conseils d’administration des sections départementales de la Mutuelle générale de l’Education nationale, de la Mutuelle accidents élèves et de l’Autonome de Solidarité.

A partir de 1968, Jean Darroy se consacra plus exclusivement au mouvement associatif. Simultanément il travailla à son expansion en Moselle, à son organisation en Lorraine. Après avoir passé le relais en 1982 en Moselle et contribué à l’installation d’une nouvelle et solide équipe, il consacra une partie du temps de sa retraite à ses responsabilités régionales et nationales Il fut élu président de l’Union régionale des FOL de Lorraine tout en assumant, durant huit années, la charge délicate de trésorier général national de la Ligue de l’Enseignement. Alors que durant plusieurs décennies la Ligue souffrait de la précarité de ses finances, il réalisa un assainissement difficile. Aussi l’assemblée générale nationale de la Ligue de l’Enseignement en avril 1997 au Mans, lui rendit-elle hommage.

Dans son action pour la consolidation du mouvement associatif, Jean Darroy luttait pour défendre le mouvement fédératif (avec ses coordinations nationales responsables) menacé par les tendances politiques intéressées au développement des associations purement locales émiettées et à la merci des pressions extérieures. En 1976, il recréa le Cercle Jean Macé, premier du réseau national des Cercles Condorcet. Sous son impulsion, la FOL donna un développement considérable à la communication et à la culture. A ce titre, l’une des réalisations majeures fut le Festival national du Film Arabe créé par la Cité sociale de Fameck, dont la progression constante lui tenait à cœur.

Avec son ami Émile Reiland, Jean Darroy s’investit dans la défense des Droits de l’Homme. Il recréa la Fédération de Moselle de la Ligue des droits de l’Homme en 1963. Il assurait la présidence départementale. Comme délégué régional pour la Lorraine, il siégea au Comité central de la LDH. En Moselle, il s’employait à entretenir la mémoire de la Résistance, tout en organisant la lutte contre le racisme et les idées d’exclusion. Renforcer la culture de la citoyenneté, y compris la citoyenneté sociale, fut l’une de ses préoccupations principales. Informer véritablement et objectivement, organiser des débats d’idées très pluralistes figurait parmi les constantes de sa démarche. Avec la FEN et la LDH de Moselle il participa à une rencontre avec l’évêque, Mgr Schmitt pour tenter une avancée au sujet de la question de l’enseignement religieux dans les écoles publiques.

Jean Darroy développa les relations internationales avec les organisations luxembourgeoises et les associations sarroises. Il préparait sur son lit d’hôpital, un colloque transfrontalier, pour le cinquantenaire de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme de 1948. Parfait connaisseur de l’histoire mosellane, il voulait faire du prochain congrès national de la Ligue de l’Enseignement à Nancy une grande manifestation en faveur de la laïcité et des droits de l’homme.

Jean Darroy bénéficia de l’aide constante de son épouse Janine et de sa famille. Fédérateur des forces de progrès, promoteur d’une laïcité exigeante, non sectaire, d’un esprit d’ouverture et de dialogue, il savait apaiser les conflits, dénouer les situations inextricables, négocier les solutions. Intraitable sur la rigueur de la gestion, il était aussi respecté pour son intégrité vigilante. Il a sacrifié sa carrière et, parfois, sa vie de famille elle-même pour se dévouer à son militantisme social. Il reçut les Palmes académiques en 1974, en devint officier et fut décoré de la Légion d’Honneur en 1992.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article21489, notice DARROY Jean, Bernard par Paul Berger, version mise en ligne le 25 octobre 2008, dernière modification le 10 août 2021.

Par Paul Berger

Photographie de Jean Darroy
Photographie de Jean Darroy

SOURCES : École de France, bulletin du SNI-Moselle. — Bulletins nationaux de la Ligue de l’enseignement. — Témoignages de Roland Rouzeau, ancien secrétaire de la FEN Moselle. — Hommage de Jean Chesneaux, « Jean Darroy : un citoyen-historien », 6 octobre 1997. — Souvenirs personnels. — Notes de René Bastien.

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