DASTÉ Jean, Gustave, Georges

Par Claude Liscia

Né le 18 septembre 1904 à Paris (Xe arr.), mort le 15 octobre 1994 à La Tour-en-Jarez (Loire) ; comédien, metteur en scène de théâtre, directeur de la Comédie de Saint-Étienne.

Bas-relief en l’honneur de  Jean Dasté à Saint-Étienne
Bas-relief en l’honneur de Jean Dasté à Saint-Étienne

Jean Dasté naquit dans le dépôt de fiacres à chevaux que son père dirigeait, boulevard de la Villette. Sa mère, qui aurait souhaité être actrice, lui faisait apprendre des poèmes patriotiques qu’il récitait lors de fêtes familiales ou scolaires. Adolescent, il tint de petits rôles au théâtre du Châtelet. À dix-huit ans, il rencontra Jacques Copeau qui l’accepta dans son école du Vieux-Colombier ; deux ans plus tard, il le suivit dans sa retraite bourguignonne, participant ainsi à l’une des premières expériences de décentralisation théâtrale.

Surnommée les Copiaus - jeu de mots autour de Copeau et des ceps de vigne, copias en patois -, la troupe répétait dans une cuve à vin et y donnait ses premières représentations devant un public de vignerons. Elle partait en tournées dans les villages, jouant dans les salles de bal des cafés, dans les hangars. Les comédiens n’étaient pas rémunérés, ils logeaient chez l’habitant. « À la fois joyeuse et douloureuse », confia Jean Dasté, l’aventure s’acheva en 1929. Car, traversant une crise mystique qui le mena à fuir Paris et à se convertir au catholicisme, Jacques Copeau imposa à son équipe une vie rigoureuse, disciplinée. Il s’efforça d’inventer un théâtre ancré dans la ruralité, austère : les tréteaux nus, le minimalisme du décor, le refus d’un jeu axé sur le vedettariat, un répertoire rénové soit par des textes contemporains, soit par un regard décapé sur les classiques. La réussite fut inégale. Néanmoins cette esthétique épurée, cette tentative d’ancrer une troupe quasi-polyvalente dans un milieu rural imprégneront les idéaux du théâtre populaire de l’après-guerre. Et Jean Dasté aura forgé là une vision éthique et politique qui fera de lui, dira un exégète de la décentralisation, « l’apôtre » du théâtre en province.

Auparavant, il fut engagé par un jeune réalisateur dont il ne pouvait soupçonner que l’œuvre passerait à la postérité. En effet, en 1933, il se trouvait sans travail lorsque Jean Vigo lui proposa le rôle du bon pion Huguet dans Zéro de conduite. Pamphlet cocasse dénonçant les internats scolaires, le film fut interdit en salles. Puis, aux côtés de Michel Simon, le comédien incarna le jeune marinier dans L’Atalante. Après la mort prématurée du réalisateur, Jean Dasté joua des rôles secondaires dans quelques films de Jean Renoir - il continuera tout au long de sa vie à être sollicité par le cinéma, dirigé par Alain Resnais, François Truffaut ou Bertrand Tavernier.

En 1937, il débuta sa carrière de metteur en scène en fondant le Théâtre des Quatre saisons avec le décorateur André Barsacq et le comédien Maurice Jacquemont, également issus de ces expériences de théâtre en milieu rural. Prônant l’implantation en province, leur projet rejoignait les aspirations du Front populaire, qui leur octroya une subvention. Ils conçurent un théâtre « volant » en toile légère, transportable en camion, utilisable par tous les temps. Jean Dasté monta plusieurs pièces de Molière dont Le médecin volant, présenté à Rambouillet au cours d’une fête des cheminots, à Honfleur lors d’une fête de la mer. André Barsacq créa à La Comédie des Champs-Elysées Le roi cerf de Carlo Gozzi, auteur de la Commedia dell’Arte. Le succès fut tel que le spectacle fut prolongé, les retenant dans la capitale. Et, après une tournée à New-York où Jean Dasté se lia à Antoine de Saint-Exupéry qui lui conseilla de monter Le baladin du monde occidental de l’auteur irlandais John Millington Synge, la troupe s’installa en Bourgogne et parcourut la région avec Le buveur émerveillé, une comédie de Ludvig Holberg, le fondateur du théâtre danois.

À la déclaration de guerre, la compagnie revint sur Paris où, durant l’Occupation, le public affluait dans les salles ; elle s’installa au théâtre de l’Atelier. En 1941, Jean Dasté créa Le Théâtre ambulant de la saison nouvelle destiné à se produire dans les villages de la zone occupée. La première saison, il exhuma du répertoire classique des textes peu montés, Les fâcheux de Molière, Arlequin poli par l’amour de Marivaux. Il reçut une subvention de Jeune France. Suscitée par le régime de Vichy à la fin des années quarante dans le but populiste de servir « la révolution nationale » prônée par le maréchal Pétain, cette association regroupa de nombreux artistes ; en particulier les forces vives du théâtre expérimentèrent là un début de décentralisation. Soupçonnée par le gouvernement d’être détournée de sa mission initiale, Jeune France fut dissoute en mars 1942.

Et c’est dans l’immédiat après-guerre que, devenant un exemple pour les générations suivantes, Jean Dasté accomplira la décentralisation théâtrale impulsée par l’État. En effet le gouvernement d’union entre socialistes, communistes et Mouvement républicain populaire renoua avec le Front populaire de 1936 en nationalisant les services publics. Or sur le plan de la culture, avait surgi dans l’entre-deux-guerres une prise de conscience autour de l’extrême sous-développement de la province qui mena à appliquer au théâtre la notion de service public. Dès la Libération, des résistants du Vercors fondèrent à Grenoble la première Maison de la Culture en France. Jean Dasté accepta d’y constituer une troupe permanente au statut de société coopérative ouvrière. En dépit du succès de Sept couleurs, son spectacle de farces, poèmes et danses, la municipalité de Grenoble renâcla à apporter sa contribution financière. Aussi, en juillet 1947, six mois après la création du premier centre dramatique national, Jeanne Laurent, sous-directrice des Spectacles et de la Musique au ministère de l’Éducation, fonda le second, La Comédie de Saint-Étienne, nommant Jean Dasté à sa direction.

La ville de Saint-Étienne ne disposant pas de théâtre, la troupe s’installa provisoirement dans des locaux appartenant à l’École des Mines ; et les représentations se déroulèrent au cinéma L’Eden jusqu’en 1962 lorsque la salle des Mutilés du travail, dotée de 900 places, fut convertie en théâtre. Pour ce public stéphanois qui n’héritait pas d’une tradition ancienne de culture, Jean Dasté choisit durant les premières saisons des comédies de Molière, Labiche, Musset et Marivaux tout en insérant quelques spectacles plus audacieux, pièces de Synge, adaptations de No japonais. Son esthétique contribuait à inculquer le goût du théâtre en créant un univers plus poétique que réaliste, empreint de merveilleux. Il se plut à recourir aux masques, à insérer des intermèdes chantés et à imposer un style de jeu très physique. Pour les décors, qui devaient être pratiques, légers, il fit appel à des peintres tels Jean Bazaine, Jean Le Moal...

En outre la mission de service public s’étendait à la région. Désireux de constituer un public, l’éduquer, le fidéliser, Jean Dasté choisit de représenter régulièrement dans quelques villes. La plupart ne possédant pas de théâtre, les représentations - à prix modique - avaient lieu dans un cinéma, une salle de fêtes, sous un chapiteau. Parfois à la belle saison, elles se déroulaient en plein air sur une place où, derrière les barrières, se pressaient les spectateurs sans billet. Et fut privilégiée la communication orale : annonces par haut-parleurs, conférences... Si au début les salles étaient aux trois-quarts vides, elles finirent par afficher complet. Peu à peu les tournées s’étendirent aux petites localités ouvrières, aux villages. En 1958, pour Le songe d’une nuit d’été de Shakespeare, la troupe s’associa à un cirque, jouant sous son chapiteau pour attirer un public différent. Une deuxième troupe plus légère, Les Tréteaux, fut fondée en 1956-1957 pour couvrir les besoins scolaires. Comme les autres directeurs de centres dramatiques, Jean Dasté s’appuya sur les mouvements nés à la Libération dans le but de propager la culture populaire : Peuple et culture, Tourisme et travail, Culture et jeunesse... Il suscita un réseau de correspondants, des enseignants, des médecins, épris de théâtre, convaincus du rôle éducatif de la culture. Néanmoins le public issu du monde ouvrier demeura comme ailleurs peu élevé.

En 1971, Jean Dasté démissionna de son poste : il ne parvenait plus à maintenir la cohésion d’une troupe d’acteurs de plus en plus attirés par la capitale, vivier de rôles à la télévision, au cinéma, dans les théâtres ; sa créativité s’usait ; l’idéalisme de l’après-guerre s’était un peu partout tari au profit d’une société de consommation qui entachait l’esprit originel du théâtre public. Comme Jean Vilar, Jean Dasté en était conscient et mit en garde Pierre Vial, son successeur, contre une inflation dispendieuse nuisible à la création. De même, quelques années plus tard, dénoncera-t-il « le risque de re-centralisation » autour des capitales de région, au détriment des petites localités, désormais abandonnées. Cependant lui-même n’avait-il pas décidé au bout d’une quinzaine d’années d’interrompre les tournées en milieu rural ?

Jean Dasté demeura fidèle à la région. Durant une vingtaine d’années, il présenta dans de petites salles des récitals solitaires autour de textes d’Homère, Dostoïevski, Tchékhov, Saint-Exupéry, Dario-Fo, ou sur des poèmes de François Villon, Joachim du Bellay, Jean de La Fontaine, René Char, Vissotsky et de déportés dans les camps nazis... En 1993, il reçut le prix Molière de la décentralisation. Il mourut l’année suivante à La Tour-en-Jarez.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article21509, notice DASTÉ Jean, Gustave, Georges par Claude Liscia, version mise en ligne le 25 octobre 2008, dernière modification le 8 avril 2016.

Par Claude Liscia

Bas-relief en l'honneur de Jean Dasté à Saint-Étienne
Bas-relief en l’honneur de Jean Dasté à Saint-Étienne

ŒUVRE : Jean Dasté, Qui êtes-vous ? Lyon, La Manufacture, 1987. - Jean Dasté, Le Théâtre et le risque, Le Chambon-sur-Lignon, Cheyne, 1993.

SOURCES : Arch. Dép. Loire, fonds Jean Dasté. — Paul-Louis Mignon, Jean Dasté, Presses littéraires de France, 1953. — Denis Gontard, La Décentralisation théâtrale en France, Sedes, 1973. — Véronique Chabrol, Jeune France, une expérience de recherche et de décentralisation culturelle, novembre 1940-mars 1942, thèse de doctorat présentée à la Faculté des lettres et des sciences humaines de Paris sous la direction de Bernard Dort, 1974. — Revue Théâtre/Public, État des lieux, numéro spécial mars-avril 1988. — Sous la direction de Robert Abirached, La Décentralisation théâtrale, Actes Sud papiers, Cahiers 5, 6, 8, Arles 1992. — Raymond Dedieu, La Comédie de Saint-Étienne. Souvenirs d’un compagnon de Jean Dasté, Marseille, 1999. — Interviews de Catherine Dasté, fille de Jean Dasté et petite fille de Jacques Copeau ; de Catherine de Seyne, comédienne ; de Paul-Louis Mignon.

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