1955, la santé menacée des employées des PTT
Depuis le 6 mai 2019, le procès des ex-dirigeants de France Télécom se déroule devant le tribunal correctionnel de Paris.
En 2008-2009, l’entreprise est frappée par une vague de suicides qui, selon l’Inspection du Travail et les juges d’instruction, seraient imputables à divers mécanismes : « incitations répétées au départ », mobilités « forcées », missions « dévalorisantes », « isolement », « une politique d’entreprise visant à déstabiliser les salariés » et « à créer un climat professionnel anxiogène », comme l’indiquait la revue Santé et Travail en juin 2018.
Au fil du Maitron, on constate que la question de la santé psychique des travailleurs est une préoccupation ancienne, déjà traitée au milieu des années 1950 par le professeur Henri Desoille par exemple. Surtout, le secteur des Postes et Télécommunications se trouve dès cette époque au cœur des préoccupations, à travers les travaux de l’équipe du psychiatre Louis Le Guillant.
Un article de Bruno Manhouche sur les femmes employées aux PTT dans la Nouvelle revue du travail [1] retrace ainsi la genèse des recherches conduites par l’équipe de Le Guillant sur la « névrose des téléphonistes », recherches réalisées en étroite collaboration avec des militants de la CGT.
Les résultats de cette étude furent largement diffusés auprès des salarié-e-s et en 1960, lors d’un important mouvement de grève du secteur, la question des conditions de travail et de la « fatigue nerveuse » fut mise au premier plan des revendications et relayée par Madeleine Colin, elle-même téléphoniste et responsable du secteur féminin de la CGT depuis 1955, par Georges Frischmann, secrétaire général de la Fédération des PTT, et par Benoît Franchon, secrétaire général de la CGT.
L’écho de ces thématiques touchait aussi d’autres organisations ou courants militants. Ainsi, en décembre 1955, Le Libertaire (à consulter en ligne ici), journal animé par Georges Fontenis, soutint la démarche entreprise par Le Guillant, sous la plume de "Jeannine", elle-même téléphoniste, qui rendait compte de ses conditions de travail et concluait :
« C’est à nous, téléphonistes, qu’il appartient d’avertir le public, de protester auprès de l’Administration, d’aider le Dr Le Guillant et son assistant qui travaillent en collaboration avec la C.G.T., en répondant à leur appel (volontaires pour subir des questionnaires-types) et en renforçant notre syndicat C.G.T. Donc, pour des conditions de travail meilleures, pour une vie plus saine et plus normale, en avant ! »
L’étude des conditions de travail des téléphonistes est une étape majeure dans la prise en compte des risques psychiques et des atteintes sur la santé mentale des travailleurs, dans le secteur des PTT et plus largement. Mais, la lutte pour de meilleures condition du travail est aussi illustrées par de nombreuses autres biographies, notamment parmi les employées. Paulette Dayan, future secrétaire de la Fédération CGT des PTT et téléphoniste dans les années 1950, se disait particulièrement révoltée par un travail « moche » et par la discipline stricte des standards. Un combat entamé dès les débuts du XXe siècle, lorsque Mademoiselle J. Thomas, animait l’Association Générale des agents des PTT avant d’être révoquée lors des grèves postales de 1909, avec de nombreuses autres salariées.
[1] B. Mahouche, "Femmes téléphonistes et employées des chèques postaux aux PTT : une stratégie syndicale de mise en visibilité des atteintes à la santé au travail (1950-1960)", Nouvelle revue du travail, 4-2014