BEBEL Ferdinand, August

Par Irène Petit

Né le 22 février 1840 à Deutz (Cologne), mort le 17 juillet 1913 à Zurich (Suisse) ; tourneur ; adhérent de l’AIT ; cofondateur du Parti ouvrier socialiste d’Allemagne ; président du SPD.

Portrait de Ferdinand August Bebel par Jan Veth, copyright Kunstmuseum Den Haag, The Hague.

Né d’un père sous-officier prussien, August Bebel eut une enfance très pauvre ; il fut orphelin de père à six ans, de mère à quatorze ans. Il fréquenta l’école dite « des pauvres » puis l’école communale à Wetzlar et dut abandonner ses études à quatorze ans pour apprendre le métier de tourneur. Après un apprentissage de trois ans de 1854 à 1857, il accomplit, entre 1857 et 1860, son tour de compagnon qui le mena en Allemagne du Sud et à Salzbourg, pour s’installer enfin à Leipzig en mai 1860 ; à partir de 1864, passé maître, il s’établit à son compte.
Dès 1861, Bebel « entra dans le mouvement ouvrier et la vie publique » en adhérant à une association pour l’éducation ouvrière (Gewerblicher Bildungsverein, appelé plus tard Arbeiterbildungsverein), nouvellement créée par la bourgeoisie libérale et démocrate, et il accepta d’abord les principes du libéralisme qui présidaient à la conception de l’éducation ouvrière. En 1862, il fut élu directeur adjoint et en 1865 directeur de l’association. En 1863 il s’opposa à la création d’un parti ouvrier autonome par Lassalle. La même année, il fut envoyé comme délégué au premier congrès de l’Union des associations ouvrières allemandes. En 1864, il fut élu au Comité permanent des associations ouvrières.
Or les associations ouvrières, notamment celle de Saxe, se politisaient et Bebel évoluait vers une conception démocrate-radicale.
En 1865, il fit la connaissance de Wilhelm Liebknecht avec qui il se lia d’amitié et qui précipita son évolution vers le socialisme. Grâce à lui, Bebel lut les œuvres de Marx et d’Engels. En 1866, il adhéra à l’Association internationale des travailleurs (AIT). Lors de la guerre de la Prusse contre l’Autriche en 1866, Bebel et Liebknecht réclamèrent l’unification et la démocratisation de l’Allemagne par une révolution populaire et fondèrent la Sächsische Volkspartei. En 1867, président du Verband Deutscher Arbeitervereine, Bebel en prépara la séparation politique et idéologique d’avec la bourgeoisie libérale.
En tant que représentant de la Sächsische Volkspartei, Bebel fut élu au Parlement d’Allemagne du Nord en 1867, premier représentant élu de la classe ouvrière. En 1868, il participa au congrès de l’Union des associations ouvrières à Nuremberg et en obtint l’adhésion au programme et aux principes de l’internationale. À la suite de ce congrès, Bebel et Liebknecht préparèrent les statuts, jetant les bases du premier grand mouvement syndical ouvrier en Allemagne, et collaborèrent également à la constitution d’une Internationale syndicale.
Bebel travaillait à la politisation de l’Union des associations ouvrières allemandes qu’il voulut transformer en parti révolutionnaire et il essaya, en isolant J.B. von Schweitzer, le successeur de Lassalle, de convaincre les membres de l’ADAV (Association générale des ouvriers allemands) de la nécessité de créer un grand parti ouvrier unifié ; il y échoua partiellement. Il fut le cofondateur, avec Liebknecht, du Parti ouvrier socialiste d’Allemagne (SDAP) créé à Eisenach en 1869 ; il en élabora le programme et les statuts sur des bases marxistes. Lors de son incarcération en 1869, il étudia le Capital. Dans son écrit intitulé Unsere Ziele, paru en 1870, il traçait définitivement une démarcation entre la démocratie petite-bourgeoise de la Volkspartei et le SDAP. En 1870, quand éclata la guerre, Bebel s’abstint, comme Liebknecht, de voter les crédits ; il prit position au Reichstag en faveur d’une paix honorable avec la France, contre l’annexion de l’Alsace-Lorraine et, après la proclamation de la République en France, il refusa de voter le budget et se déclara solidaire de la Commune de Paris. À la suite de ses prises de position, il fut condamné en 1872, lors du procès de Leipzig, à deux ans de forteresse pour haute trahison plus neuf mois pour « outrage à l’Empereur ».
Pendant les années de détention, il étudia les œuvres de Marx et d’Engels et s’intéressa notamment à l’économie et à l’histoire. En prison, il écrivit de nombreux essais et brochures, dont Christentum und Sozialismus et fit des recherches préparatoires à son célèbre ouvrage Die Frau und der Sozialismus.
En 1875 eut enfin lieu l’unification du mouvement ouvrier allemand dans ses deux composantes : les lassalliens et les eisenachiens, c’est-à-dire les marxistes. Bebel prit connaissance du projet de programme en prison et, estimant que c’était une capitulation devant les lassalliens, il rédigea un contre-projet auquel il dut renoncer pour ne pas compromettre l’unification. Il participa au congrès d’unification de Gotha où fut créé le Parti socialiste d’Allemagne (SPD) et il y fut élu président de la commission de contrôle. Quand furent promulguées les lois d’exception en 1878, il travailla à la réorganisation et à la réorientation du parti sur la base de la clandestinité et il fonda à Leipzig le Comité central de soutien en 1879 ; il contrôlait également les finances du parti. Les parlementaires étant, pendant toute la période des lois anti-socialistes, les seuls habilités à représenter légalement le SPD, Bebel fit partie, dès 1880 (congrès de Wyden), de la « direction restreinte du parti », Il fit personnellement connaissance de Marx et d’Engels. En 1879 parut illégalement son livre le plus populaire, Die Frau und der Sozialismus (La Femme et le socialisme) qui fut réédité une cinquantaine de fois et traduit dans de nombreuses langues.
Bebel publia une centaine d’articles dans Die Neue Zeit entre 1883 et 1907. Il participa activement aux discussions au Reichstag à propos du projet de subvention gouvernementale aux lignes maritimes destinées à desservir les colonies (1884-1885). Il travailla à l’élaboration des projets de loi pour la protection sociale. Il fut expulsé de Leipzig et, en 1886, lors du procès de Freiberg sur les associations secrètes, il fut condamné à neuf mois de prison. En tout, il passa cinquante-sept mois de sa vie en prison.
Après l’abolition des lois d’exception en 1890, Bebel, qui avait acquis une énorme popularité grâce à sa combativité et à son exceptionnel talent d’orateur, devint le leader incontesté de la social-démocratie, désormais le plus grand parti de masse en Allemagne (un million et demi de voix aux élections en 1890). En 1890 et 1891, il mena la lutte à la fois contre les réformistes du type Vollmar et contre les tendances anarchistes des Jeunes. Il contribua à l’élaboration du nouveau programme sur des bases marxistes, adopté à Erfurt en 1891. En 1892, il fut élu coprésident du parti et le resta jusqu’à sa mort. Il fut élu membre du Bureau socialiste international en 1900 et il fut délégué à tous les congrès de la IIe Internationale, sauf en 1900 et 1910.
Aux côtés de Karl Kautsky, il mena la lutte contre le révisionnisme au sein du SPD, notamment au congrès de Dresde en 1903.
Il se fit dès 1900 le champion de la lutte contre l’impérialisme et le militarisme, condamnant au Reichstag l’intervention allemande en Chine (1900), la campagne contre les Héréros au Maroc (1906 et 1911). Il s’attaqua dans ses discours à la politique militariste d’armement à outrance, aux brimades infligées aux soldats, etc. Il préconisa dans les congrès internationaux (Stuttgart, 1907 ; Bâle, 1912) une politique commune des organisations ouvrières internationales contre la menace de guerre et à Bâle, en 1912, il se prononça pour l’entente franco-allemande.
Aux côtés de Kautsky, mais de manière moins exclusivement théorique, il fut le champion de l’orthodoxie marxiste contre le révisionnisme. Saluant la révolution russe de 1905-1906, il n’accepta cependant le principe de la grève de masses politique que dans des cas d’extrême nécessité. Soucieux de préserver l’unité du parti dans les dernières années de sa vie, il tenta de garder un équilibre entre la droite et l’extrême-gauche sans toutefois jamais perdre sa combativité contre l’État wilhelminien et sa foi dans une nouvelle société socialiste.
Dans les dernières années de sa vie, Bebel, malade, vécut surtout en Suisse. Il mourut le 17 août 1913 à Zurich. Des dizaines de milliers d’ouvriers et de personnalités du mouvement ouvrier international assistèrent à ses obsèques. Sa mort annonçait la fin de la grande époque du socialisme de la IIe Internationale.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article215951, notice BEBEL Ferdinand, August par Irène Petit, version mise en ligne le 23 juin 2020, dernière modification le 2 novembre 2022.

Par Irène Petit

Portrait de Ferdinand August Bebel par Jan Veth, copyright Kunstmuseum Den Haag, The Hague.

ŒUVRE : Outre les ouvrages cités dans le texte : Ausgewählte Reden and Schriften 1863-1890, 2 vol., 1970-1978. — La Femme dans le passé, le présent et l’avenir, prés. par Anne-Marie Sohn, 1979. — Schriften 1862-1913, éd. par Cora Stephan, 1981. — Aus meinem Leben, 3 tomes, 1910-1914, réimpr. avec une introd. de Brigitte Brandt, 1986 (trad. en français : Souvenirs de ma vie, Les Bons caractères, 2022).

SOURCES : H. Bartel (éd.), August Bebel. Eine Biographie, Berlin-Est, 1963. — E. Schraepler, August Bebel. Sozialdemokrat im Kaiserreich, Göttingen, 1966. — H. Gemkow, August Bebel, Leipzig, 1969. — H. Hirsch, August Bebel, mit Selbstzeugnissen und Bilddokumenten, Reinbek, 1973. — H. Bley, Bebel und die Strategie der Kriegsoerhütung, 1904-1913, Göttingen, 1975. — W.H. Maehl, August Bebel. Shadow Emperor of the German Workers, Philadelphie, 1980. — W. Jung, August Bebel. Deutscher Patriot und internationaler Sozialist, Pfaffenheimer, 1988. — Brigitte Seebacher-Brandt, Bebel, Künder und Kärrner im Kaiserreich, Berlin, Bonn, 1988. — Lexikon, op. cit. — BLD G, op. cit. — Anne Lopes et Gary Roth, Men’s Feminism : August Bebel and the German Socialist Movement, New York, Humanity Books, 2000.

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