BERNSTEIN Eduard

Par Claudie Weill

Né le 6 janvier 1850 à Berlin, mort le 18 décembre 1932 à Berlin ; théoricien social-démocrate. Théoricien du révisionnisme.

Fils d’une famille juive nombreuse et de milieu modeste — son père était cheminot — Eduard Bernstein fit des études secondaires qu’il interrompit pour devenir à seize ans employé de banque. Il se rapprocha de la social-démocratie lors du procès pour haute trahison intenté à Wilhelm Liebknecht et August Bebel et publia pour la première fois un article dans Der Volksstaat en 1872. C’est à l’Association ouvrière démocrate qu’il rencontra Ignaz Auer. Il participa à la campagne électorale de 1874 et Auer le fit élire à la commission de propagande. Il fit partie de la délégation à la pré-conférence de Gotha en février 1875 mais n’assista pas au congrès d’unification entre lassalliens et eisenachiens où il fut cependant élu à la direction du Parti ouvrier socialiste (SAPD). Il suivit les cours de Dühring, mais s’éloigna de lui dès qu’il lui sembla que celui-ci se rapprochait du courant antisémite. Avant que les lois d’exception contre les socialistes n’entrent en vigueur, Konrad Schramm lui demanda de rejoindre à Lugano Karl Höchberg dont il devint le secrétaire et avec qui il se rendit à Zurich où parut, en octobre 1879, le premier numéro de ce qui sera l’organe officiel en exil du SAPD, Der Sozialdemokrat, financé par Höchberg et dont le rédacteur fut alors Georg von Vollmar. Il entra en contact avec le Club ouvrier allemand et fit la connaissance de Karl Kautsky : ils s’installèrent dans des logements contigus. En 1880, au congrès de Wyden, il fut nommé rédacteur en chef du Sozialdemokrat, en remplacement de Vollmar. Il se rendit pour la première fois à Londres, avec Bebel et rencontra Marx et Engels auxquels il fit bonne impression, mais il voyagea aussi dans d’autres pays et participa aux tentatives pour recréer l’Internationale. En 1885, Auer lui demanda de se soumettre au groupe parlementaire — direction du parti pendant la période des lois d’exception — et il envisagea de donner sa démission, mais parvint à conserver son poste grâce au soutien de Bebel et de Kautsky. En août 1886, il épousa Regine Zadek. Il effectua alors plusieurs traductions et parfit sa formation théorique ; Kautsky lui demanda notamment de collaborer aux Doctrines économiques de Karl Marx. Sans être révolutionnaire, il contribua à la victoire du radicalisme sur l’opportunisme. En avril 1888, la rédaction du Sozialdemokrat fut expulsée de Suisse : il se rendit alors à Londres où se resserrèrent ses liens avec Engels et où il continua à publier Der Sozialdemokrat jusqu’à la fin des lois d’exception, en 1890. Menacé d’arrestation s’il retournait en Allemagne, il demeura à Londres où il fréquenta les Fabiens et devint correspondant du nouvel organe central du SPD, Vorwärts et Die Neue Zeit. En 1891, alors que Kautsky rédigea la partie théorique du programme du SPD, le programme d’Erfurt, il en écrivit la partie « pratique ». Au cours de son séjour à Londres s’amorça un changement dans ses positions qui semblait trouver son fondement dans la reprise de l’expansion économique : les domaines d’intervention de la classe ouvrière pouvaient à son sens augmenter avec la chute des lois d’exception. Mais plus que l’influence de F.A. Lange, qu’il étudia tardivement et qui vint plutôt corroborer ses thèses, il subit celle de Cobden. À la mort d’Engels, il fut l’un des exécuteurs testamentaires des pères fondateurs. Il entreprit alors de mettre en cause la théorie de l’effondrement et publia à partir de 1896, dans Die Neue Zeit, la série d’articles intitulée « Problèmes du socialisme » qui sera réunie en 1901 dans un recueil : Zur Geschichte und Theorie des Sozialismus. Mais à la différence des réformistes et des pragmatiques, c’était bien le marxisme qu’il entendait réviser, d’où l’appellation de révisionnisme appliquée à sa démarche que résume la formule : « le but final n’est rien, le mouvement est tout ». Son intervention ouvrit ce qu’on désigne sous le terme de « crise du marxisme ». Ce furent des sociaux-démocrates originaires de l’empire russe qui l’attaquèrent les premiers : Parvus, Rosa Luxemburg, Plekhanov, pour défendre l’« orthodoxie marxiste ». Sommé d’intervenir, Karl Kautsky conseilla à Eduard Bernstein d’écrire un ouvrage pour préciser ses positions : Die Voraussetzungen des Sozialismus und die Aufgaben der Sozialdemokratie parut en 1899. Selon lui, le capitalisme faisant preuve d’une belle vitalité, le socialisme ne pouvait être instauré par la voie révolutionnaire, le passage se ferait progressivement, en préparant la classe ouvrière à la liberté par l’apprentissage de la démocratie. Il fut aussi favorable à la colonisation au nom du progrès de la civilisation. Hostile à la dialectique, il critiqua l’hégélianisme dans les théories de Marx et Engels, alors qu’en économie, il se rapprocha de plus en plus des thèses marginalistes. Défenseur du libéralisme, il déplorait de ne pas trouver en Allemagne la bourgeoisie de progrès avec laquelle la classe ouvrière pourrait s’allier.
Rentré en Allemagne en février 1901, il s’installa à Berlin et fut député au Reichstag de 1902 à 1907, puis de 1912 à 1918 et enfin de 1920 à 1928. Mais les réformistes dont il voulait se faire le porte-parole lui reprochèrent, même s’ils le soutenaient, son « excès de conscience morale ». S’il collaborait aux Sozialistische Monatshefte, ses relations avec le rédacteur en chef, Joseph Bloch, ne furent jamais intimes pas plus qu’il ne devint le chef de file d’une tendance. À l’automne de 1901, il créa son propre organe, Dokumente des Sozialismus qui, pour des raisons financières, cessa de paraître à la fin de 1905. En 1906, il fut nommé professeur à l’école des syndicats. Mais il était pour la grève de masse politique pour conquérir le suffrage universel en Prusse et ce ne fut pas son seul désaccord avec la droite du parti : s’il était patriote et hostile à la Russie tsariste, s’il approuva donc les crédits de guerre le 4 août 1914, il passa vite dans le camp pacifiste, s’allia aux pacifistes bourgeois et entra en conflit avec la plupart de ses partisans. Depuis 1912, en effet, il s’était rapproché de Kautsky avec qui il renoua des liens d’amitié. Il cessa de collaborer aux Sozialistische Monatshefte et adhéra à l’USPD. Enthousiasmé par la proclamation de la République en novembre 1918, il fut sous-secrétaire d’État au ministère des Finances jusqu’au 14 février 1919. Il rejoignit le SPD où la direction ne lui pardonna toutefois pas ses attaques pendant la guerre. Hostile à toute révolution violente, il condamna le bolchevisme mais aussi les spartakistes, même s’il rendit hommage à Karl Liebknecht et Rosa Luxemburg lorsqu’ils furent assassinés. Il restait proche de Kautsky et de son programme de socialisation. Ayant plaidé en faveur de la signature du traité de Versailles, il était isolé dans le parti. Il participa toutefois à la rédaction du programme de Görlitz, en 1921 puis du programme de Heidelberg, en 1925. Pendant la guerre, il avait pris position sur la question juive et condamné le sionisme : malgré cette divergence supplémentaire avec Joseph Bloch, il reprit sa collaboration aux Sozialistische Monatshefte. Député de Potsdam, il refusa de se représenter en 1928. Lorsque le Vorwärts et Die Gesellschaft cessèrent de publier ses articles, il fut tenté par le suicide en raison de son isolement politique. Il n’a pas vécu la prise de pouvoir par les nazis dont l’ascension l’avait effrayé.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article215960, notice BERNSTEIN Eduard par Claudie Weill, version mise en ligne le 23 juin 2020, dernière modification le 24 novembre 2022.

Par Claudie Weill

ŒUVRE : Die Voraussetzungen des Sozialismus und die Aufgaben der Sozialdemokratie, 1899 (trad. franç., 1900 et 1974). — Ferdinand Lassalle und seine Bedeutung für die Arbeiterklasse, 1904 (Ferdinand Lassalle. Le Réformateur social, 1913). — Zur Theorie und Geschichte des Sozialismus. Gesammelte Abhandlungen, 3 vol., 1904. — Von der Sekte zur Partei. Die deutsche Sozialdemokratie einst und jetzt, 1911. — Die Internationale der Arbeiterklasse und der europäische Krieg, 1915. — Die Aufgaben der Juden im Weltkrieg, Berlin, 1917. — Aus den Jahren meines Exils, 1918. — Völkerbund oder Staatenbund, 1918. — Sozialdemokratische Lehrjahre, 1928. — Entwicklungsgang eines Sozialisten, 1930. — Autres ouvrages en français : Socialisme théorique et social-démocratie pratique, 1900. — Socialisme et science, 1902.

SOURCES : P. Gay, The Dilemna of Democratic Socialism. Bernstein’s Challenge to Marx, New York, 1952. — P. Angel, Edouard Bernstein et l’évolution du socialisme allemand, Paris, 1961 ; État et société bourgeoise dans la pensée de Bernstein, Paris, 1976.—B. Gustafsson, Bernstein und der Revisionismus Debatte, Francfort, 1972 ; « Capitalisme et socialisme dans la pensée de Bernstein », in Histoire du marxisme contemporain, I, Paris, 1976. — P. Strutynski, Die Auseinandersetzungen zwischen Marxisten und Revisionisten in der deutschen Arbeiterbewegung um die Jahrhundertwende, Cologne, 1976. — H. Heimann (éd.), Bernstein. Texte zur Revisionismus, Bonn, 1976. —V.L. Lidtke, Eduard Bernstein et les prémisses théoriques du socialisme, Paris, 1976. — T. Meyer, Bernsteins konstruktiver Sozialismus. Eduard Bernsteins Beitrag zur Theorie des Sozialismus, Berlin, Bonn, 1977. — Helga Grebing, Der Revisionismus. Von Bernstein bis zum « Prager Frühling », Munich, 1977. — BLDG, op. cit. — Lexikon, op. eit. — Benz et Graml, op. cit.

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