BORN Stephan, né Simon BUTTERMILCH

Par Jacques Droz

Né le 28 septembre 1824 à Lissa (Posnanie), mort le 4 mai 1898 à Bâte ; leader ouvrier socialiste en 1848.

D’origine israélite, fils d’un couturier, Stephan Born s’était installé à Berlin depuis 1840 comme ouvrier imprimeur, manifestant dès son très jeune âge la volonté de se cultiver, pour pouvoir agir sur ses contemporains, les éclairer sur la question sociale et organiser le monde ouvrier en vue de ses intérêts de classe. Converti par des « communistes » weitlingiens, le tailleur Mentel et le cordonnier Hätzel, il était déjà en 1845 l’âme du Handwerkerverein berlinois. Ses voyages le mirent en contact, à Paris, avec Friedrich Engels* et le Bund der Kommunisten, qui l’envoya faire des tournées de propagande à Lyon et en Suisse. C’est à Berne qu’il publia Der Heinzesche Staat (1847), dans lequel, contre le programme insurrectionnel du parti républicain allemand, il préconisait l’organisation préalable du prolétariat en vue de la prise du pouvoir. Introduit dans l’entourage de Marx à Bruxelles, il collabora à la Deutsche-Briüsseler-Zeitung dont il était le compositeur.
Après un bref séjour à Paris, Born regagna Berlin en pleine tourmente révolutionnaire. Il fonda en avril 1848, sur la base de l’autonomie à l’égard des formations politiques, un Comité central des travailleurs, dont il fut nommé président aux côtés de l’orfèvre Bisky (1817-1863) et dont l’organe Das Volk était censé représenter les intérêts spécifiques de la classe ouvrière : thèse qu’il fit prévaloir contre le réformiste Wilhelm Lette, partisan d’une association « mixte » des patrons et des ouvriers démocrates et au nom de laquelle il organisa plusieurs grèves à Berlin et dans d’autres villes allemandes. De son contact avec Marx, il retenait que le devoir de la classe ouvrière était d’abord d’aider la bourgeoisie à se libérer des forces monarchiques et féodales et, comme lui, il ne croyait pas à un retour à l’âge d’or de l’économie précapitaliste. Mais il ne pensait pas que l’idéologie de la lutte de classes pût être comprise dans un milieu proche encore des traditions artisanales et petites- bourgeoises et jugeait suffisant que, grâce au droit à l’instruction et au travail, aux associations professionnelles, aux banques populaires de crédit créées avec l’aide de l’État et à la pratique de l’aide coopérative (en quoi il annonçait Lassalle), les travailleurs puissent prendre en mains leur destinée. Loin de suggérer la dépossession des classes fortunées, il insistait sur le maintien nécessaire d’un front révolutionnaire uni.
Suscité par le comité berlinois, un « Parlement des travailleurs » se réunit à Berlin du 23 août au 3 septembre, dont le résultat essentiel fut la constitution d’une Fraternité ouvrière (Arbeiterverbrüderung) englobant la quasi-totalité des associations ouvrières, soit près de vingt mille cotisants dont certains avaient milité dans la Ligue des communistes, dont le siège fut établi à Leipzig et dont Born fut nommé président. Il disposait d’un journal, Die Verbrüderung et commandait à toute une série d’organisations provinciales et locales, particulièrement denses en Saxe et en Prusse, mais aussi en Franconie et en Wurtemberg, qui elles-mêmes disposaient d’organes de propagande et tenaient des congrès. Die Verbrüderung réclamait le suffrage universel, l’impôt progressif, la séparation de l’Église et de l’État, la création d’un enseignement professionnel et, avec Louise Otto, l’amélioration de la condition féminine. Born voulait appeler le prolétariat à gérer lui-même son avenir, tenant à maintenir chez les travailleurs le sens de leur dignité professionnelle et la fierté de leur état. La formule : « Un pour tous, tous pour un », reprise plus tard par les syndicats, témoigne de l’importance qu’il attachait à la notion de solidarité. Tant qu’il n’y avait pas de masse révolutionnaire, il fallait, pensait-il, maintenir l’unité du mouvement démocratique et envisager les moyens d’améliorer, dans le cadre des institutions existantes, le niveau de vie des travailleurs : « trade-unionisme » qui lui valut les critiques de Marx, auquel il rendit pourtant visite à Cologne pendant l’hiver 1849.
Bien que, préoccupé surtout d’organisation, Born ait été hostile à toute action révolutionnaire prématurée, il saisit parfaitement le lien entre la question sociale et l’avènement de la démocratie politique et prit position pour la défense de la Constitution du Reich, appela à la vigilance la classe ouvrière et monta lui-même sur les barricades de Dresde. Après avoir combattu également en Bade, il émigra en Suisse où, ayant abandonné toute action militante, il devint directeur des Basler Nachrichten et enseigna plusieurs années à l’Université de Bâle les littératures allemande et française dans leurs relations avec la question sociale. La disparition de Born de la scène politique allemande ne mit pas fin à l’existence de Die Verbrüderung dont son meilleur disciple, Franz Schwenniger, prit la direction jusqu’au jour où les autorités fédérales l’interdirent dans l’ensemble des États allemands (1854).

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article215974, notice BORN Stephan, né Simon BUTTERMILCH par Jacques Droz, version mise en ligne le 23 juin 2020, dernière modification le 12 février 2020.

Par Jacques Droz

ŒUVRE : Erinnerungen eines Achtundvierzigers, 1898.

SOURCES : M. Quarck, Die erste deutsche Arbeiterbewegung, Leipzig, 1924. — K. Obermann, Die deutschen Arbeiter in der Revolution von 1848, 2e éd., Berlin-Est, 1953. — H. Schlechte, Die Allgemeine deutsche Arbeiterverbrüderung 1848-1850, Weimar, 1979. — K. Wernicke, « Ludwig Bisky. Ein Berliner Arbeiterführer », in Männer der Révolution von 1848, II, Berlin-Est, 1987. — Frolinde Baiser, Sozialdemokratie 1848/49-1863. Die erste deutsche Arbeiterorganisation "Allgemeine deutsche Arbeiterverbrüderung" nach der Révolution, 2 vol., Stuttgart, 1965. — E. Schraepler, Handwerkerbünde und Arbeitervereine 1850-1853, Berlin, 1972. — W. Friedensburg, S. Born und die Organisationsbestrebungen der Berliner Arbeiterschaft bis zum Berliner Arbeiter-Kongress (1840-September 1848). Introduction à la ré-édition de Das Volk, Glashütten/Ts., 1973. — Franziska Rogger, Wirhelfen uns selbst ! Die kollektive Selbsthilfe der Arbeiterverbrüderung 1848-49 und die individuelle Selbsthilfe Stephan Borns : Borns Leben, seine Entwicklung und seine Rezeption der zeitgenössischen Lehren, Erlangen, 1986. — BLDG, op. cit. — Lexikon, op. cit.

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