Par Jacques Droz
Né le 29 mai 1842 à Brunswick, mort le 27 avril 1880 à Brunswick ; leader social-démocrate.
Né dans une famille aisée — son père dirigeait une maison de commerce de farine et de blé — , le jeune Wilhelm Bracke, malgré ses dispositions intellectuelles, dut entrer dans les affaires de famille, mais put suivre les cours de l’École technique supérieure de Brunswick où il subit l’influence du professeur Wilhelm Assmann qui avait fait partie, en 1848, du mouvement catholique allemand et qui l’intéressa au socialisme. A dix-huit ans, il dirigea une société de gymnastique qui arborait le drapeau noir-rouge-et-or. A vingt-trois ans, ayant déjà lu les œuvres de Lassalle, il participa à la fondation de la section de Brunswick de l’ADAV, dont il fut nommé président et qu’il contribua à faire entrer dans l’AIT. En 1867, à Berlin, au cours d’une assemblée générale de l’ADAV, il rapporta sur le travail des femmes, pour lesquelles il exigeait un salaire égal à celui des hommes.
Bien qu’il ait participé au « culte » de Lassalle, l’attitude dictatoriale de Schweitzer ne devait pas tarder à le jeter dans l’opposition. L’évolution fut précipitée par les relations personnelles qu’il entretenait avec Bebel et Liebknecht, ainsi que par la connaissance qu’il fit à travers Kugelmann de l’œuvre de Marx, dont il fut l’un des premiers lecteurs en Allemagne et sur laquelle il fit un rapport à l’assemblée générale de l’ADAV à Hambourg, en 1868. Ami également de Johann Jacoby, qui venait de lancer un appel pour une entente entre démocrates et socialistes, pour un programme de réformes et contre les menaces de guerre, Bracke, qui disposait déjà d’une large autorité en Allemagne du Nord, décida avec Samuel Spier, de Wolfenbüttel et Theodor Yorck, de Harburg, de faire connaître les raisons qui lui faisaient souhaiter la création d’un parti unique des travailleurs. Il refusa la confiance à Schweitzer lors du congrès de l’ADAV à Elberfeld-Barmen, en 1868 et, l’année suivante, participa au congrès d’Eisenach où fut constitué le Parti social-démocrate des travailleurs (Sozialdemokratische Arbeiterpartei) dont il devint membre du Comité directeur, installé à Brunswick.
Un désaccord s’éleva pourtant entre Bracke et les fondateurs de l’Arbeiterpartei lors de la guerre contre la France : alors que le comité de Brunswick, tout en déplorant l’exaltation des passions nationales, estimait que l’Allemagne menait une guerre défensive et incitait la classe ouvrière à accomplir son devoir patriotique, les leaders du parti s’abstinrent lors du vote des crédits militaires au Reichstag, condamnant à la fois Bismarck et Napoléon III. Les dissensions cependant n’eurent plus de sens après Sedan : un manifeste condamna la continuation de la lutte contre la République française, en septembre 1870. Bracke condamna formellement l’annexion de l’Alsace-Lorraine et prédit des conséquences désastreuses pour l’avenir des deux peuples. Arrêté, il fut placé, avec son collaborateur Leonhard von Bon- horst, en détention préventive à Lotzen et finalement condamné à une courte peine de prison.
En captivité, Bracke avait jeté les bases d’un journal socialiste à Brunswick, Der Braunschweiger Volksfreund, auquel collaborèrent plusieurs intellectuels du parti, dont Wilhelm Blos et Samuel Kokosky, ami de Jacoby, et d’une maison d’édition destinée à faire l’éducation du prolétariat ouvrier et paysan. Malgré les difficultés que lui faisait la police, élu au conseil municipal, il jeta les bases d’une politique municipale socialiste, qui visait aussi bien les problèmes hospitaliers (création d’un service de nuit pour les pauvres) que les problèmes scolaires (interdiction des châtiments corporels, limitation des effectifs des classes à l’école primaire à cinquante élèves, création de terrains de jeu pour les enfants).
Sur le plan national, Bracke se montra très réservé quant aux résultats du congrès de Gotha (1875), compromis entre eisenachiens et lassalliens, regrettant les concessions qui avaient été faites à ces derniers. Aussi souscrivit-il aux Randglossen par lesquelles Marx avait accompagné le texte élaboré. Engels, voulant le rassurer sur les conséquences des abandons consentis, lui écrivit : « Nous sommes totalement de votre avis, quand vous soutenez que Liebknecht a tout gâté dans sa hâte à vouloir obtenir l’unité à tout prix. Heureusement le programme a été accueilli plus favorablement qu’il ne le méritait. Ouvriers, bourgeois et petits-bourgeois y lisent ce qu’ils désirent y trouver, et non ce qui s’y trouve effectivement. Cela nous a permis, à Marx et à moi, de nous taire. »
Élu député en 1877, non à Brunswick où il lui manquaient quelques voix, mais dans la circonscription saxonne de Glauchau-Merane, Bracke fut aussitôt aux prises avec la loi d’exception contre les socialistes, qu’il accueillit au Reichstag par la célèbre apostrophe : « Wir pfeifen auf das ganze Gesetz. » (Nous nous moquons de la loi). En fait sa santé, ébranlée depuis longtemps, ne lui permit pas de jouer un rôle important. Il mourut dans sa ville natale en avril 1880 ; quarante mille personnes suivirent son cercueil, mais la police avait confisqué les articles nécrologiques, interdit l’hommage des fleurs et des couronnes ainsi que tout discours sur la tombe du défunt.
Par Jacques Droz
ŒUVRE : Der Braunschweiger Ausschuss der Soziaidemokratischen Partei in Lotzen vordem Gericht, 1872.
SOURCES : G. Eckert, Aus den Anfangen der Braunschweiger Arbeiterbewegung. Unveröffentlichte Bracke-Briefe, Brunswick, 1955. — G. Eckert, 100 Jahre Braunschweiger Sozialdemokratie, 1.1, Hanovre, 1965. — Jutta Seidel, Wilhelm Bracke. Vom Lassalleaner zum Marxisten, Berlin-Est, 1966. — Osterroth, op. cit. — BLDG, op. cit.