Par Jacques Droz
Né le 28 juillet 1804 à Landshut, mort le 13 septembre 1872 à Rechenberg, près de Nuremberg ; philosophe matérialiste.
Fils d’un célèbre professeur de droit pénal, Ludwig Feuerbach étudia la théologie à Heidelberg, puis la philosophie à Berlin où il subit l’influence de Hegel. Privatdozent (maître de conférences) à l’Université d’Erlangen, son premier ouvrage publié de façon anonyme en 1830, Gedanken über den Tod und die Unsterblichkeit (Pensées sur la mort et l’immortalité), lui ferma toute possibilité d’être nommé professeur, bien qu’il eût été suivi de nombreux travaux de caractère scientifique, notamment sur Leibniz. Établi depuis 1837 dans la propriété de sa femme à Bruckberg en Bavière, il put se livrer à des travaux personnels, dans lesquels il rompit non seulement avec la foi chrétienne, mais avec l’idéalisme hégélien. Dans son œuvre capitale, L’Essence du christianisme (1841), qui fut une révélation pour toute sa génération, il montrait que l’homme, en créant à son image un Dieu qui n ’a pas d’existence particulière, extériorise et aliène en lui les plus hautes qualités de l’espèce humaine ; en ce faisant il s’appauvrit et devient un individu égoïste, isolé de la vie collective ; la libération ne peut venir pour lui que de la dissipation de l’illusion religieuse ; aussi doit-il se réapproprier son essence en niant Dieu, en se proclamant athée. De cette critique de la religion se dégageait une philosophie qui tendait à présenter l’amour collectif de l’humanité comme un impératif sociologique et qui abolissait, par une transformation radicale des rapports sociaux, l’opposition entre la réalité inhumaine de l’homme et sa véritable essence, thèse qui fut accusée encore par son ouvrage Principes de la philosophie de l’avenir (1843), qui faisait de l’altruisme le but suprême de l’activité. Bien que Feuerbach ne se soit pas mêlé aux luttes politiques du Vormärz et qu’il ait considéré la critique religieuse comme source unique d’émancipation sociale, ses doctrines eurent une influence certaine sur l’histoire du mouvement ouvrier, d’une part par l’utilisation qui fut faite de ses écrits par les « socialistes vrais », d’autre part pour la raison que Marx, qui avait beaucoup admiré Feuerbach, put compléter sa doctrine en montrant que l’aliénation ne pouvait être définitivement écartée que par la transformation de l’économie et de la société.
Son rôle dans la révolution de 1848 fut épisodique : participation au congrès démocratique de Francfort en septembre 1848, appui donné à la Fraternité de Born. Plus importantes furent des conférences sur la nature de la religion, prononcées à l’Université de Heidelberg. Bien que poursuivant une œuvre philosophique et théologique considérable, il dut quitter en 1860 sa demeure de Bruckberg, pour aller vivre dans une relative misère à Rechenberg, village des environs de Nuremberg. En 1870, il entra dans le parti d’Eisenach. Ses obsèques, en 1872, furent l’objet d’une démonstration de masse en faveur du parti de Bebel et de Liebknecht.
Par Jacques Droz
ŒUVRE : Gesammelte Werke, éd. par W. Schuffenhauer, 1967 et suiv. — Sämtliche Werke, éd. par W. Bolin et F. Jodl, 2e éd.t 1959-1986. — En français : L’Essence du christianisme, 1982. — La Religion : mort, immortalité, religion, 1987.
SOURCES : A. Levy, La philosophie de Feuerbach, Paris, 1904. — H. Arvon, Feuerbach, sa vie, son œuvre avec un exposé de sa philosophie, Paris, 1964. — M. Cherno, Ludwig Feuerbach and the intellectual basis of the 19th Century Radicalism, Diss. Stanford, 1955. — W. Schuffenhauer, Feuerbach und der junge Marx, 2e éd., Berlin-Est, 1972. — A. Schmidt, Emanzipatorische Sinnlichkeit Ludwig Feuerbachs anthropologischer Materialismus, Munich, 1973. — G. Biedermann, Ludwig Andreas Feuerbach, Leipzig, Iéna, Berlin-Est, 1986. — BLDG, op. cit.