DAYVE René, Henri

Par Justinien Raymond

Né le 13 août 1908 à Saint-Gervais-les-Bains (Haute-Savoie), mort le 20 novembre 1971 à Saint-Gervais-les-Bains ; instituteur ; militant socialiste ; maire et conseiller général.

René Dayve naquit dans une famille paysanne de petits propriétaires exploitants aux solides traditions républicaines. Son grand-père, maire de Saint-Gervais fut révoqué lors du coup de force du 16 mai 1877. Son père fut longtemps conseiller municipal et adjoint au maire. Après ses études élémentaires, René Dayve fréquenta l’école primaire supérieure de La Roche-sur-Foron où l’enseignement et la direction d’Édouard Mallinjoud* durent ajouter à l’influence familiale pour faire de lui un instituteur et un militant. Entré à l’école normale d’instituteurs de Bonneville en 1925, il alla à sa sortie, en 1928, enseigner quelques mois dans la commune de Contamines-Montjoie. Appelé au service militaire à Saint-Maixent, il le termina comme sous-lieutenant au 13e bataillon de chasseurs alpins à Chambéry (Savoie). Libéré, René Dayve occupa le poste du Fayet en octobre 1930 ; un an plus tard, il passa à l’école des Plagnes et, en octobre 1934, à celle de l’Abbaye, ces deux dernières localités étant des hameaux de la commune de Passy. Entre-temps, René Dayve, en 1933, avait épousé une collègue, Marie-Louise Perrier, qui sera la mère de ses trois enfants, celle sans laquelle il n’aurait sans doute pu mener à bien la révolution pédagogique poursuivie pendant vingt ans à l’Abbaye.
René Dayve fut d’abord un instituteur, le « régent » comme on dit toujours en Savoie. Dévoué à son métier, il y apportait en outre, d’exceptionnelles qualités pédagogiques. Il fut aussi un instituteur « enraciné ». Il accomplit toute sa carrière sans quitter le canton de Saint-Gervais et l’essentiel s’en déroula dans ce hameau de la commune de Passy, l’Abbaye. Il connaissait toute la population du canton et forma les fils après avoir instruit les pères. Il était connu de tous et on l’appelait par son prénom. À cette familiarité à l’égard d’un enfant du pays se mêlaient une profonde sympathie, une confiance absolue pour le maître d’école et pour l’homme qu’il était. On frappait à sa porte, à toute heure, pendant les vacances comme au cours de l’année scolaire, car il ne s’éloignait jamais longtemps. On le consultait sur tout, questions scolaires et problèmes d’orientation, mais aussi soucis personnels et affaires familiales ; on s’en remettait à son jugement sûr et désintéressé, à sa discrétion. Combien d’anciens élèves, parvenus aujourd’hui à de flatteuses situations lui doivent une solide formation de base, gage de leur succès, et le choix judicieux d’une carrière.
La sollicitude de R. Dayve pour la jeunesse qui lui était confiée ne s’arrêtait pas aux portes de l’école. Il lui consacrait aussi beaucoup de ses loisirs dans les œuvres post-scolaires et péri-scolaires. Retenons parmi ces activités, le développement du ski à l’école depuis 1936, avec la constitution du premier « ski-club des petits » sous le patronage de Madame Léo Lagrange dans l’élan de la politique des loisirs du Front populaire. Jusqu’en 1959, il organisa chaque année, avec la collaboration de collègues, comme Roger Revilliod, « le trophée scolaire du Mont-Blanc » qu’ont couru maints futurs champions tels Bonlieu, Bozon, Lucienne Couttet et bien d’autres.
Si l’on peut trouver bien des émules à l’instituteur que fut René Dayve, la « révolution pédagogique » qu’il mena à bien est à coup sûr unique en son espèce. Tout commença en 1937, lorsque le ministre de l’éducation nationale Jean Zay créa la scolarité prolongée. R. Dayve ouvrit une classe qui accueillit des élèves de la contrée munis du Certificat d’études primaires. En 1938 et en 1939, après avoir fait donner à ces élèves des cours d’initiation d’anglais, il les présenta dans les classes de 5e des collèges de Bonneville et de La Roche-sur-Foron, où ils se comportèrent fort bien. La guerre que René Dayve fit comme lieutenant de chasseurs alpins interrompit cette expérience encourageante, le gouvernement de Vichy ayant supprimé la scolarité prolongée. L’idée en fut reprise et élargie dès 1944. R. Dayve voulut créer à l’Abbaye un établissement qui donnerait aux enfants de Passy et des communes voisines la possibilité de poursuivre sur place leurs études au-delà de la scolarité obligatoire. Il n’envisageait rien moins que de créer un établissement polyvalent, c’est-à-dire un « monstre » dans l’organisation universitaire du temps, et de le créer, non pas dans une ville, dans un bourg, mais dans un village qui n’est même pas le chef-lieu d’une commune. Et le pari fut tenu.
Le lieu était bien choisi malgré les apparences puisque situé au débouché de trois vallées, à proximité de quatre stations touristiques, Chamonix, Saint-Gervais, Les Contamines et Sallanches, et au milieu d’une région en pleine expansion démographique et industrielle. L’idée répondait à l’intérêt d’une contrée située à plus de 30 kilomètres de l’établissement secondaire le plus proche, le collège de Bonneville. Aussi R. Dayve sut-il convaincre les trois municipalités de Passy, de Saint-Gervais et des Contamines de s’associer pour construire le Cours complémentaire intercommunal, mis en chantier en 1947, inauguré en 1949. Mais ce Cours complémentaire, R. Dayve l’a imposé en créant des classes de 6e, de 5e, de 4e, presque clandestinement, mais avec la compréhension d’un Inspecteur d’Académie courageux, M. Le Gall. R. Dayve y enseignait les mathématiques. Le succès vint d’emblée. En 1948, le Cours complémentaire qui comptait 58 élèves subit victorieusement sa première épreuve : tous ses candidats furent admis au BEPC. En 1956-1957, il rassemblera 442 élèves. La croissance se fit par bourgeonnement. Dès 1950, R. Dayve créa une section classique, d’abord simplement tolérée puis reconnue et rattachée au lycée d’Annecy, une section technique et professionnelle qui officialisait des cours pratiques organisés avec le concours de la SNCF. Un établissement polyvalent était né à l’Abbaye. En haut lieu, on fronçait parfois le sourcil. Un jour de 1956, un Inspecteur général arriva à l’improviste, visita l’internat créé parallèlement, et inspecta toutes les classes. Conquis par l’expérience et par l’allant de son animateur, il lui donna désormais tout son appui. En 1957, la section du second degré était érigée en Collège d’enseignement classique, moderne, mixte, auquel fut jumelé, par arrêté du 8 juin, un Collège technique mixte, industriel et commercial, né de la transformation de la section technique du Cours complémentaire. En 1958, de la section professionnelle du Cours complémentaire naquit un Centre d’apprentissage. En 1963, en application de la réforme de l’enseignement, ces collèges jumelés devinrent lycée, le « Lycée du Mont-Blanc ». Jusqu’à sa retraite en 1970, R. Dayve dirigea cet établissement qui allait bientôt compter près de 2 000 élèves et mobiliser une centaine de professeurs.
Si elle fut poursuivie avec l’opiniâtreté d’un montagnard de Savoie, l’œuvre scolaire d’avant-garde de René Dayve se rattache à une conception de la vie de la cité. Peu après sa sortie de l’école normale René Dayve adhéra au Parti socialiste SFIO, créa sa section locale dont il fut toujours l’animateur. En juin 1954, il fut élu conseiller général du canton de Saint-Gervais qui lui restera fidèle. Entré au conseil municipal de Passy en 1952, il en devint le maire en 1971. La mort le surprit brutalement au retour d’une matinée de travail à la mairie.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article21632, notice DAYVE René, Henri par Justinien Raymond, version mise en ligne le 25 octobre 2008, dernière modification le 25 octobre 2008.

Par Justinien Raymond

SOURCES : Le Dauphiné libéré, 26 novembre 1967. — Requête en forme d’historique, du maire de Passy au ministre de l’Éducation nationale pour obtenir la Légion d’honneur en faveur de R. Dayve, 20 janvier 1966 (l’intéressé demanda que cette promotion fut repoussée à la date d’inauguration du nouvel établissement ; il devait mourir avant). — Enquête auprès de Madame René Dayve. — Souvenirs personnels.

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