JOGICHES Leo, dit Jan Tyszka

Par Pierre Broué

Né le 18 avril 1867 à Vilna (Lituanie), exécuté le 10 mars 1919 à Berlin ; révolutionnaire professionnel ; fondateur du parti Social-démocratie du royaume de Pologne et de Lituanie ; membre du groupe Spartakus.

Léo Jogiches appartenait à une riche famille juive de Vilna : son grand-père était un grand talmudiste, mais la famille était déjà russifiée. Il fut actif très jeune, militant dès le lycée, qu’il abandonna pour se consacrer à un groupe clandestin d’inspiration populiste, proche de Narodnaja Volja, où se trouvèrent aussi Ch. Rappoport, Julius Martov, le frère de Lénine, le futur maréchal Pilsudski et plusieurs des fu­turs fondateurs du Bund. L’autorité de Léo Jogiches et ses talents de conspirateur l’imposèrent très vite. C’est lui qui organisa en 1887 le « passage » en émigration de la plupart de ses camarades et lui-même évolua alors vers le socialisme marxiste avec le reste du groupe. Arrêté une première fois quelques jours en 1888, il fit six mois de prison préventive après une seconde arrestation en 1889, avant d’être condamné à quatre mois de prison et un an de surveillance policière. Devant la perspective d’être envoyé par représailles faire son service militaire au Turkestan, il décida d’émigrer, traversa la frontière puis l’Europe, atteignit Genève en 1890 et se fixa à Zurich.
Riche, puisqu’il disposait de l’héritage paternel, actif et ambitieux, il commença par s’associer avec Plekhanov pour un plan de publication de brochures, livres et surtout d’une revue marxiste. Mais Plekhanov qui ne supportait pas son « arrogance » — son désir de traiter d’égal à égal —, rompit assez rapidement. Jogiches fut donc l’unique créateur de la Bibliothèque social-démocrate. Il rencontra Rosa Luxemburg à la fin de 1890 ou au début de 1891 : couple dans la vie, ils formèrent pendant des années une étroite association de militants politiques. Ce fut d’abord en direction de la Pologne qu’ils concentrèrent leur attention, créant en 1893 le parti Social-démocratie du royaume de Pologne (SDKP), qui allait devenir le parti Social-démocratie du royaume de Pologne et de Lituanie (SDKPiL), bête noire des « social-chauvins » du PPS. Rosa Luxemburg en fut la figure de proue, mais Jogiches exerça sur elle une réelle influence. Ils furent quelque temps séparés quand elle s’é­tablit en Allemagne en 1898 ; il la rejoignit en 1900. Tandis qu’elle s’imposa dans la social-démocratie allemande, Jogiches consacra plus de temps aux affaires polonaises, s’efforçant en particulier de préserver l’autonomie de son parti face au parti russe. Il avait la réputation d’un homme à poigne, ne s’embarrassant pas, dans la direction de son parti, de scrupules démocratiques. En 1905, dès les premières semaines de la révolution russe, il partit pour Cracovie d’où il dirigea le Czerwony Sztandar (Le Drapeau rouge). Rosa Luxemburg le rejoignit et, passés en Pologne sous domination russe, ils furent tous deux arrêtés le 5 mars 1906 à Varsovie. En dé­cembre de la même année, il fut condamné à huit ans de travaux forcés, mais réussit à s’évader en avril 1907 et revint en Allemagne. Ce fut à son retour que la rupture fut consommée dans leur couple. Il vécut dès lors alternativement à Cracovie (Au­triche-Hongrie) et à Berlin, participant notamment au congrès de Londres du POSDR où son appui à Lénine fut décisif pour ce dernier en 1907.
Dès les premiers jours de la guerre et de l’état de siège, Jogiches mit en place les premiers éléments de l’organisation qui allait devenir le groupe Internationale, puis Spartakus et en fit un réseau à l’échelle du pays entier, recrutant, investissant, menant l’agitation systématiquement dans les usines et l’armée. À la suite de la grève de janvier 1918, dans laquelle les spartakistes jouèrent une rôle non négligea­ble, il fut finalement arrêté en liaison avec l’agitation dans l’armée. Libéré par la révolution de Novembre, il reprit l’organisation en mains, mais dans des conditions très nouvelles. Il semble qu’il fut épouvanté des tendances sectaires et gauchistes manifestées par le jeune Parti communiste d’Allemagne (KPD) à sa fondation et envisagea sérieusement la possibilité d’avoir commis une erreur majeure en contribuant à une création prématurée. Il partagea les inquiétudes de Rosa Luxemburg sur le caractère « aventuriste » des initiatives de Liebknecht pendant les journées de Janvier et s’efforça vainement de la persuader de quitter Berlin pour mieux se cacher. Après le double assassinat de Liebknecht et Rosa Luxemburg, il mena clandestinement l’enquête et fît en quel­ques semaines toute la lumière sur l’affaire, retrouvant notamment une photo des assassins en train de festoyer. Ce fut probablement la raison pour laquelle, le jour même de son arrestation, le 10 mars 1919, il fut abattu par l’officier de police Tamschik à l’intérieur de la prison de Moabit, sous le prétexte d’une « tentative de fuite ».

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article216359, notice JOGICHES Leo, dit Jan Tyszka par Pierre Broué, version mise en ligne le 23 juin 2020, dernière modification le 15 septembre 2021.

Par Pierre Broué

SOURCES : J. P. Nettl, La vie et l’œuvre de Rosa Luxemburg, Paris, 1972. — G. Badia, Rosa Luxemburg, Thèse, Paris, 1975. — G. Badia, Le Spartakisme, Paris, 1967. — R. Luxemburg, Lettres à Léo Jogiches (près, par V. Fay), 2 vol., Paris, 1971. — Notice de F. Tych dans Siownik Biograficzny Dzialaczy Polskiego Ruchu Robotniczego, tome 2, Ksiazka i Wiedza-Warszawa, 1987. — Broué, Révolution, op. cit.

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