LEVI Paul, dit Paul Hartstein, Paul Hartlaub

Par Pierre Broué

Né le 11 mars 1883 à Hechingen, mort le 9 février 1930 à Berlin ; socialiste et communiste oppositionnel.

Quatrième enfant d’un industriel juif qui possédait une affaire de tissage, Paul Levi fit ses études primaires à Hechingen, ses études secondaires à Stuttgart, étudia le droit à Berlin puis Grenoble, soutint sa thèse à Heidelberg en 1905 et s’installa comme avocat à Francfort en 1908. Socialiste depuis le lycée, membre du SPD en 1906, il avait été délégué à un congrès et candidat du SPD aux élections de 1912, quand il eut à assurer la défense de Rosa Luxemburg devant le tribunal de Francfort, le 20 février 1914 — une rencontre qui devait être décisive pour lui, non à cause de leur brève liaison amoureuse, mais parce qu’elle le fit entrer directement dans le cercle des proches de la grande révolutionnaire.
Mobilisé en 1914, il se serait, selon la légende, pratiquement laissé mourir de faim et fut réformé en 1916. Il se fixa en Suisse, y fit partie de la gauche de Zimmerwald, se lia à Radek qu’il visita fréquemment au sanatorium de Davos et à Lénine qui le tenait, dès cette époque, pour un bolchevik. En 1917, contrairement à Rosa Luxemburg et à la majorité des spartakistes, il était pour la scission organique entre les révolutionnaires d’un côté, les « majoritaires social-chauvins » et « centristes » pacifistes de l’autre. Il fut, sous le nom de Hartstein, l’un des signataires socialistes qui cautionnèrent le voyage d’exilés russes (dont Lénine) à travers l’Allemagne pour revenir en Rus­sie. De nouveau mobilisé, puis définitivement réformé, il prit avec Ernst Meyer la direction du groupe Spartakus après l’arrestation de Leo Jogiches en 1918 et fut l’un des membres du noyau dirigeant à partir de la révolution de Novembre. Au congrès de fondation du Parti communiste d’Allemagne (KPD), il présenta le rapport en faveur de la participation aux élec­tions qui fut repoussé par la majorité des délégués. Il voyait beaucoup Radek et tous deux réagirent de la même façon, en janvier 1919, aux initiatives imprudentes de Karl Liebknecht : c’est lui qui, le 9 janvier 1919, apporta à Rosa Luxemburg la let­tre dans laquelle Radek critiquait cette politique et préconisait la retraite. Après la mort de Rosa Luxemburg, il mena l’enquête sur l’assassinat et découvrit avec Leo Jogiches l’identité des assassins et des documents irréfutables. Après l’assassinat de Leo Jogiches en prison, il devint à son corps défendant le dirigeant du KPD dont il considérait la majorité « putschiste » comme étrangère au communisme. En contact avec Radek à partir de juillet, il se laissa convaincre, non sans mal, de de­meurer à la tête du parti et de combattre pour la participation des communistes aux syndicats. Mais il ne tint pas compte de la mise en garde de Radek à propos de son projet d’organiser la scission du parti et le mena à bien lors du IIe congrès à Heidel­berg, en octobre, où il réussit à mettre en dehors du parti la majorité « gauchiste », une initiative vivement critiquée tant par Radek que par Lénine.
Il purgeait une peine de prison quand eut lieu, en mars 1920, le putsch contre-révolutionnaire de Kapp et von Lüttwitz, face auquel la direction du parti préconisa l’abstention : il envoya immédiatement une lettre de protestation dont l’Internatio­nale décida la publication. Comme Radek, il était persuadé que le parti communiste de masse en Allemagne passerait par la conquête des militants ouvriers de la gauche du parti « indépendant ». Il avait la confiance de ses dirigeants qui exigèrent sa pré­sence à la tête du parti unifié à partir de la fin de 1920. Il semble qu’à cette époque, ses relations avec Radek s’étaient détériorées et que celui-ci lui reprochait une po­litique de quiétisme et de refus de l’action.
En total désaccord avec la politique de l’IC lors de la scission à Livourne du Parti socialiste italien et de la rupture avec les « maximalistes » de Serrati, il eut un violent incident à Berlin avec un de ses plénipotentiaires, le Hongrois Rakosi, et dé­missionna de la présidence du parti. Il était parti pour un voyage en Orient quand il apprit le déclenchement de l’action semi-insurrectionnelle de mars 1921. Il revint aussitôt à Berlin, écrivit à Lénine pour lui demander son appui, puis publia une dé­nonciation de l’action de mars et du « putschisme ». Exclu, il réitéra son geste d’in­discipline en publiant une deuxième brochure dans laquelle il se faisait le défenseur d’une conception allemande, occidentale, du communisme contre les « gens du Turkestan » comme Bêla Kun qui y avait été exilé par Lénine pour ses excès dans le cours de la lutte contre Wrangel. Il mit à la fois en cause la forme « putschiste » de l’action et le fait qu’elle avait été organisée et imposée par Moscou.
Lénine tenta en vain, dans des conversations qu’il eut avec Clara Zetkin en présence de Trotsky et par correspondance, de trouver un terrain d’accord pour ré­intégrer Levi dans des responsabilités politiques dont ce dernier ne voulait plus. Au­cun accord ne fut possible. Levi fonda la Kommunistische Arbeitsgemeinschaft (KAG) qui fut réintégrée en 1922 dans l’USPD, ce dernier rejoignant bientôt le SPD.
Levi qui, dans le cours de sa polémique contre l’Internationale communiste, avait publié les notes de Rosa Luxemburg sur la révolution russe, n’avait renoncé ni à ses idées ni à l’action politique. A l’été 1923, il créa au sein du SPD une nouvelle opposition de gauche dont le bastion était en Saxe avec le gouvernement du Dr. Zeigner et qui se prononça pour l’unité d’action avec le KPD. Cette opposition de gauche social-démocrate tenta en Thuringe et en Saxe la malheureuse expérience des « gouvernements ouvriers », à l’automne 1923. Paul Levi continua à diriger cette opposition à travers son bulletin, la Levi-Korrespondenz, puis la revue Der Klassenkampf. Il poursuivit son activité au barreau. L’un de ses derniers succès devant une cour de justice fut la condamnation du juge Joms qu’il accusa d’avoir protégé les assassins de Rosa Luxemburg et assuré leur immunité. Il mourut en se jetant par la fenêtre de son appartement au cours d’une crise de fièvre. Cet homme qui ma­nifesta d’éclatantes qualités de militant et exécrait cette activité, ce Don Juan fémi­niste qui collectionnait les jades, ce grand bourgeois acquis à la cause du prolétariat constituait sans doute l’une des « occasions manquées » des premières années du communisme en Occident.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article216447, notice LEVI Paul, dit Paul Hartstein, Paul Hartlaub par Pierre Broué, version mise en ligne le 23 juin 2020, dernière modification le 7 mars 2021.

Par Pierre Broué

ŒUVRE : Unser Weg. Wider den Putschismus, 1921. — Was ist das Verbrechen ? Die Marzaktion oder die Kritik daran ?, 1921. — Zwischen Spartakus und Sozialdemokratie, 1968.

SOURCES : H. Gruber, « Paul Levi and the Comintern », in Survey, no. 4, 1964. — R. Löwenthal, « The Bolshevization of the Spartacus League », in St.-Antony ’s Papers, no. 9, 1967. — Char­lotte Beradt, Paul Levi. Ein demokratischer Sozialist in der Weimarer Republik, 1969. — Sybille Quack, Geistig fret und niemandes Knecht. Paul Levi-Rosa Luxemburg. Politische Arbeit und persönliche Beziehung et « Rosa Luxemburg an Paul Levi. Ein Nachtrag », in IWK, no. 2, 1987. — Benz et Graml, op. cit. — Broué, Révolution, op. cit.

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