Par Jacques Droz
Né le 15 avril 1908 à Berlin, mort le 9 août 1991 à Berlin ; politologue social-démocrate.
D’une famille de commerçants israélites de Berlin, Richard Lowenthal étudia la sociologie et l’économie politique à Berlin et Heidelberg, avec Max Weber et Karl Mannheim et publia sa thèse sous le titre : Théorie marxiste des crises cycliques. Membre du Parti communiste, il quitta celui-ci en 1929 pour n’avoir pas donné son accord à la thé orie du « social-fascisme » et adhéra au KPO pour lequel il rédigea la revue Die Gesellschaft, pour participer ensuite à l’action du groupe Neu Beginnen où, sous le nom de Paul Sering, il travailla à constituer des cadres révolutionnaires d’élite. Ne pouvant s’entendre avec Löwenheim contre lequel il défendit — avec Werner Peuke —la thèse que le mouvement, malgré les pertes humaines, devait se poursuivre en Allemagne même, il rompit avec lui en 1935, gardant la direction du mouvement à Berlin jusqu’au jour où l’action de la Gestapo lui interdit tout moyen d’action. En 1935 également, il avait publié dans la Zeitschrift für Sozialismus que Hilferding éditait à Karlsbad, un article où il prit position contre l’exploitation communiste du fascisme et s’orienta dans les voies de l’austro-marxisme, émigrant avec son compagnon de lutte Karl Frank à Prague, fin 1935 et collaborant avec lui à l’ouvrage collectif Der kommende Weltkrieg. Aufgaben und Ziele des deutschen Sozialismus (1939) où étaient définies les positions de la gauche socialiste à l’égard du danger de guerre.
Après Prague et Paris, Löwenthal émigra dans l’été 1939 à Londres où, pendant la Seconde Guerre mondiale, il défendit, notamment dans ses Klare Fronten, le maintien d’une Allemagne démocratique et socialiste dans le cadre des frontières de Weimar, ce qui lui valut, de même qu’à Frank, d’être traité de « pangermaniste » par Vansittart. Son attitude favorable à l’URSS, qu’il voulait associer à la reconstruction d’une Europe libérée de l’exploitation capitaliste, se modifia cependant en 1943 devant la politique suivie par l’URSS à l’égard de la Pologne et il se rapprocha des positions occidentales. Löwenthal adhéra alors à la Fabian Society et participa à la reconstruction de la IIe Internationale. Établi à Londres comme libre journaliste politique, il travailla pour l’Agence Reuter puis, après la guerre, pour le journal Observer. En 1945, il s’inscrivit au SPD et écrivit son traité Jenseits des Kapitalismus, bible du socialisme démocratique qu’il entrevoyait comme une « troisième voie » entre le capitalisme et le bolchevisme et qui exigeait selon lui une planification par l’État, mais contrôlée par les syndicats, les conseils d’entreprise et les organisations de consommateurs. Il s’y montrait très préoccupé du danger que pouvaient encore constituer les groupes réactionnaires et fascistes contre lesquels il jugeait bon de mobiliser les masses ouvrières, le bulletin de vote n’y suffisant pas. Il collabora aux activités du Congrès pour la liberté de la culture fondé en juin 1950 à Berlin. Bien que fort préoccupé du sort de l’Allemagne, Löwenthal resta en Angleterre jusqu’en 1961, où il fut assistant au St.-Antony’s College à Oxford, et fut invité par les universités allemandes et américaines.
Établi depuis 1961 à Berlin où il enseigna la science politique et l’histoire des relations extérieures à l’Institut Suhr de la Freie Universität, il fut plusieurs fois appelé à l’étranger, notamment au Ail Souls College à Oxford, aux Universités de Colombia, de Stanford et de Berkeley aux États-Unis. De plus en plus impliqué dans les affaires politiques de son temps, il fit partie, en 1962, de la commission des vingt-neuf professeurs qui mirent en cause le gouvernement dans l’affaire du Spiegel. Son œuvre de politologue et d’historien porta au cours des années soixante et soixante-dix sur le développement de la politique soviétique, sur la République de Bonn, surtout sur les rapports du socialisme et de la démocratie. Ses positions politiques le situaient alors à la droite du SPD. Préoccupé de protéger les universités allemandes du courant « gauchiste » parmi les étudiants, il s’opposa en 196S aux tendances qui prévalaient dans le SDS et fut l’un des initiateurs du conservateur Bund Freiheit der Wissenschaft. Adversaire de la politique d’intégration poursuivie par Brandt, il ne cessa pas de donner pour mission à la social-démocratie la consolidation des structures sociales existantes. Il rédigea en 1982, sous forme de six thèses, une publication qui mettait en garde contre l’ouverture du parti en direction de milieux rejetant le développement industriel et la politique démocratiquement institutionnalisée. Vice-président de la Commission du SPD pour les valeurs fondamentales, qui était chargée de préciser le programme de Godesberg, il soutint les positions conservatrices de Helmut Schmidt contre certaines tentations de Brandt, qu’il jugeait démagogiques (1984).
Par Jacques Droz
ŒUVRE : What is folksociatism ?, 1937. — Der kommende Weltkrieg. Aufgaben und Zieledes deutschen Sozialismus, 1939. — Jenseits des Kapitalismus, 1946. — (avec W. Brandt), Ernst Reuter. Ein Leben fur die Freiheit, 1957. — Plusieurs articles dans Preuves et un supplément au no. 122 (avril 1961) intitulé : « Diplomatie et révolution, dialectique de la querelle sino-soviétique ». — Chruschtschow und der Weltkommunismus, 1963 (trad. franç. : K. et la désagrégation du bloc communiste, 1964). — The totalitarian revolutions of our time, 1965. — Romantischer Rückfall, 1970. — Hochschule für die Demokratie. Grundlinien einersinnvollen Hochschulreform, 1971. — Sozialismus und aktive Demokratie, 1974. — Vom Kalten Kriegzur Ostpolitik, 1974. — Model of Ally ? The Communist powers and the developing countries, 1977. — Demokratischer Sozialismus in den achtzigern Jahren, 1979. — Paul Sering, Faschismus und Monopolkapitalismus, 1979. — Geselischaftswandel und Kulturkrise : Zukunftsprobleme der westlichen Demokratien, 1979. — Die Widerstandsgrupp die « Neu Beginnen », 1982. — Weltpolitische Betrachtungen : Essays aus zwei Jahrzehnten, 1983. — Zur Zukunft der Sozialdemokratie, 1987.
SOURCES : Hannelore Horn et alii : Sozialismus in Theorie und Praxis. Festschrift für R. Löwenthal zum 70. Geburtstag, Berlin, New York, 1978. — A. Grosser, L’Allemagne en Occident. La République fédérale 40 ans après, Paris, 1985. — Rœder et Strauss, op. cit.