MANN Heinrich

Par Jacques Droz

Né le 27 mars 1871 à Lübeck, mort le 12 mars 1950 à Santa Monica (États-Unis, Californie) ; romancier libéral, proche du socialisme dans la lutte contre le nazisme.

Fils d’un homme d’affaires et sénateur de Lübeck, Heinrich Mann commença sa carrière comme apprenti-libraire à Dresde. A l’âge de vingt ans, l’héritage pater­nel lui permit d’avoir une existence indépendante, d’abord comme peintre, puis comme écrivain et publiciste (Die Gesellschaft à Leipzig, Die Gegenwart à Berlin) et de voyager, notamment avec son frère Thomas en Italie. De 1899 à 1914, il alter­na ses séjours entre Munich, Berlin et la côte d’Azur, au cours desquels il commen­ça une brillante carrière littéraire. Pendant la Première Guerre mondiale, il entra en conflit avec son frère dont il ne partageait pas les sentiments à l’égard du Reich wilhelmien, condamné par lui dans son roman Der Untertan (1918). C’était l’époque où il entra au Conseil politique des travailleurs intellectuels. Sous la République de Weimar, il poursuivit une œuvre romanesque tournée vers la critique sociale et la dénonciation d’une bourgeoisie capitaliste, conservatrice et pro-fasciste, sans ce­pendant remporter le succès que lui avait valu sa première œuvre, Professor Unrat (1905). En 1926, il entra à l’Académie prussienne des beaux-arts dont il devint en 1931 président de la section littéraire. En février 1933, il dut abandonner ses charges d’académicien pour avoir contresigné un appel de l’Internationaler sozialistischer Kampfbund en faveur d’une alliance électorale du SPD et du KPD, ce qui ne l’empêcha pas d’assister encore à la réunion du groupe démocrate Das freie Wort, organisée par le communiste Willi Münzenberg et la Ligue des droits de l’homme. Ses livres furent brûlés lors de l’autodafé du 10 mai 1933. En 1936, il sera déchu de la nationalité allemande.
Émigré par la voie de la Tchécoslovaquie en France, sa seconde patrie, il s’é­tablit à Sanary-sur-Mer, puis à Nice. Disposant de moyens financiers assez consi­dérables et lié avec les milieux littéraires français dont il connaissait la langue, il participa avec efficacité et générosité à la vie de l’émigration allemande, assurant la présidence de la Freiheitsbibliothek, participant comme président de l’Union des écrivains allemands (SDS) aux congrès internationaux des écrivains pour la cul­ture, à Paris en 1935, en Espagne en 1937, combattant par sa plume l’idéologie na­zie, soit dans son roman historique Henri IV (où le fanatisme des Guise est assimilé à celui de Hitler), soit par des pamphlets de circonstance (Der Hass, Es kommt der Tag, Mut), soit par sa collaboration à des journaux allemands (Die Weltbühne, Pariser Tageblatt) ou français (Dépêche de Toulouse). Bien qu’il se fît des illusions sur la possibilité de renverser le régime hitlérien, il était conscient de la nécessité d’unir dans la même lutte les deux partis ouvrier allemands ; c’est à quoi il s’employa dans son effort pour créer un Front populaire allemand dont le « cercle de Lutetia » le nomma président d’honneur, le 2 février 1936 et dont l’organe Die deutschen Informationen fut dirigé par lui. Bien qu’il n’appartînt jamais à aucun parti et qu’il fût ignorant de la pensée marxiste, Mann s’était convaincu que le KPD était le soutien le plus efficace de la lutte antifasciste et qu’il appartenait à l’URSS de faire l’édu­cation du prolétariat. Le prestige qu’il avait acquis en France le faisait désigner comme « le président sans couronne du Quatrième Reich ». Mais, plus préoccupé du triomphe des valeurs morales que de l’analyse des antagonismes en présence, il dut reconnaître, devant la menace de dissolution du Front due au conflit entre Münzenberg et Ulbricht et le départ de nombreux sociaux-démocrates, la vanité de ses efforts. « Je ne puis m’assoir à la même table, écrivait-il en parlant d’Ulbricht, qu’un homme qui déclare que cette table, à laquelle nous sommes assis, est une mare aux canards et veut m’obliger à l’admettre. » Ses tentatives de conciliation qui l’amenèrent à discriminer le Bund freiheitlicher Sozialisten et qu’il poursuivit jus­qu’à la conférence de Munich (septembre 1938), furent sans résultat. l’Aktionsausschuss deutscher Oppositioneller qu’il mit en place en mars 1939, ne comprenait que des personnalités sans mandat politique.
Aux États-Unis où il parvint, non sans difficulté, par la voie de l’Espagne et du Portugal, il s’établit en Californie, vivant des secours que pouvait lui apporter son frère Thomas. Il fut élu, en 1943, président d’honneur du Comité de l’Amérique la­tine des émigrés allemands. Ses sympathies politiques allaient au Council for a Democratic Germany présidé par Paul Tillich et il collabora à l’Aurora Verlag que dirigeait à New York le communiste Max Herzfelde. Nommé après la guerre pré­sident de l’Académie des beaux-arts de Berlin-Est et docteur honoris causa de l’Université Humboldt, il allait rejoindre la RDA au moment de sa mort.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article216458, notice MANN Heinrich par Jacques Droz, version mise en ligne le 23 juin 2020, dernière modification le 23 avril 2020.

Par Jacques Droz

ŒUVRE : Gesammelte Werke in Einzelausgaben, 20 vol., Hambourg, 1958 et suiv. — En français : Le Sujet de l’empereur : roman, 1982. — Propos d’exil : articles publiés dans la Dé­pêche par les émigrés du IIIe Reich, 1983. — Professeur Unrat : l’Ange bleu, 1983. — Liliane et Paul, 1989. — Abdication et autres nouvelles, 1989.

SOURCES : A. Banuls, Heinrich Mann. Le poète et la politique, Paris, 1966. — W. Herden, Geist und Macht. Heinrich Manns Weg an die Seite der Arbeiterklasse, Berlin-Est, Weimar, 1971 ; Wege zur Volksfront. Schriftsteller im antifaschistischen Bündnis, Berlin-Est, 1978. — V. Ebersbach, H. Mann. Leben, Werk, Wirken, Francfort, 1978. — W. Jasper, Heinrich Mann und die Volksfrontdiskussion, Berne, Francfort, 1982. — Waltraud Berle, H. Mann und die Weimarer Republik, Bonn, 1983. — Brigitte Hocke, Heinrich Mann, Leipzig, 1983. — Klaus Mann (son fils), Le Tournant, Paris, 1984. — Marcel Reich-Ranicki, Thomas und die Seinen, Stutt­gart, 1988. — Langkau, Volksfront, op. cit. — Rœder et Strauss, op. cit. — Durzak, op. cit. — Benz et Graml, op. cit.

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