MÜNZENBERG Willi

Par Jacques Droz

Né le 14 août 1889 à Erfurt (Allemagne), mort près de Saint-Marcellin (Isère) dans l’été 1940 en France ; militant et journaliste communiste, puis oppositionnel.

Voir aussi sa notice dans le dictionnaire biographique du Komintern.

Fils d’un forestier, Willi Münzenberg fit, après des études souvent interrom­pues, plusieurs métiers qui le mirent en contact avec des organisations de jeunesse, d’abord en Prusse, puis en Suisse, notamment à Zurich où il fut aide-apothicaire. Il y rédigea le journal Freie Jugend, entra en relation avec le leader anarchiste Fritz Brupbacher et assista au congrès de Bâle de la IIe Internationale. Lié avec l’émigra­tion bolchevique en Suisse et en particulier avec Lénine, il assista à la conférence de Kienthal (24-30 avril 1916) et appartint à la gauche zimmerwaldienne, vers la­quelle il dirigea la Sozialistische Jugendorganisation dont il assurait le secrétariat. Pacifiste et rallié à la révolution bolchevique, il organisa une grève générale à Zurich en novembre 1917, ce qui entraîna son internement puis, en novembre 1918, son extradition en Allemagne. Il y adhéra à la Ligue spartakiste, puis au KPD où, après le second congrès de ce parti (octobre 1919), il suivit une ligne intermédiaire entre celle de Paul Levi et de l’ultra-gauche avec Wolffheim et Lauffenberg. Mais surtout, il s’occupa à Berlin de la réorganisation de l’Internationale de la jeu­nesse, ce qui l’amena à assister à Moscou au IIIe congrès de l’Internationale communiste et au IIe congrès de l’Internationale communiste de la jeunesse (KJI) dont il ne put cependant obtenir l’indépendance à l’égard du Komintern. Lénine lui confia de lourdes responsabilités dans la lutte contre la famine en URSS et le secré­tariat de l’Aide internationale aux travailleurs (IAH).
Une ère nouvelle s’ouvrit à son activité quand il fut chargé par le Komintern d’organiser à Berlin un immense konzern qui, s’appuyant sur le Neuer Deutscher Verlag, la société de film Mezrabpom et l’Universum-Bibliothek, lui valut d’être surnommé « le millionnaire rouge » et d’exercer une influence considérable sur toutes les formes de la culture, même dans les milieux non-communistes. C’est ain­si que parurent de nouveaux journaux, Die Welt am Abend, Berlin am Morgen, Der Weg der Frau, surtout l’Arbeiter Illustrierte Zeitung, pour la publication desquels il manifesta un talent remarquable d’entreprise et un non moins grand talent d’écri­vain. Bien qu’au Comité central du parti auquel il appartenait depuis 1924, il fût orienté vers l’ultra-gauche (Neumann, Remmele), il jouissait d’une très grande indépendance à son égard, n’étant responsable que devant l’OMS (organisme de renseignements dirigé par Piatnitsky) à Moscou où il assista régulièrement aux congrès du Komintern. Très préoccupé par le rôle mondial du communisme, il par­ticipa en 1927 à la conférence de Bruxelles contre l’exploitation coloniale et l’im­périalisme, adhéra à la Ligue universelle contre l’impérialisme et à l’Union des amis de l’URSS.
Après avoir encore assisté au congrès Das freie Wort à Berlin, en février 1933, l’incendie du Reichstag le décida à émigrer, à travers la Sarre, à Paris où il trouva asile, grâce à H. Barbusse et G. Bergery et où le Komintern le chargea aussitôt d’organiser la propagande contre le national-socialisme. Par l’intermédiaire de Paul Nizan, il put acheter la librairie du Carrefour où il publia les œuvres principales de l’émigration allemande, les Livres bruns sur l’incendie du Reichstag et la terreur hitlérienne, ainsi que plusieurs journaux, comme Der Gegenangriff avec le communiste autrichien Bruno Frei. Il organisa à Londres le contre-procès pour sau­ver Dimitrov, qui lui valut d’illustres collaborations françaises et étrangères et fon­da à Paris le comité Thälmann, destiné à arracher celui-ci à la mort. Sur le plan culturel, il contribua à la fondation de la Bibliothèque de la liberté, destinée à rem­placer les livres brûlés par les nazis à Berlin et donna son appui à la Ligue défensive des écrivains allemands (Schutzverband deutscher Schriftsteller) ainsi qu’au pre­mier congrès pour la défense de la culture, où il siégea à côté de Malraux et Aragon. Étendant ses relations politiques bien au-delà du monde communiste — il ren­contra Barbusse et Vaillant-Couturier au Comité contre la guerre et le fascisme —, il se lia d’amitié avec Salomon Grumbach, qui s’était engagé en faveur d’un traité militaire entre l’URSS et la France et avec Pierre Comert, chef des services de presse au Quai d’Orsay, qu’il avait connu à Berlin et qui l’introduisit auprès des mi­lieux radicaux. Dans le même sens allèrent ses relations avec le Rassemblement universel pour la paix (RUP), destiné à orienter les milieux socialistes vers un appui moral à l’URSS. De son agence de la rue Mondétour où il associa à son travail sa compagne Babette Gross, ainsi que quelques amis, Otto Katz, Alfred Kantorowicz, Arthur Kœstler, il déploya une activité efficace qui inquiétait les services de renseignements allemands.
Revenu du VIIe congrès de l’Internationale à Moscou avec des instructions précises de Dimitrov en vue de la constitution d’un Front populaire « par le haut », confirmé dans ses intentions par sa réélection, lors du congrès « de Bruxelles », dans le Comité directeur du KPD, Münzenberg qui disposait d’un capital de confiance dans les milieux politiques et littéraires de l’émigration, travailla paral­lèlement avec une commission (provisoire) pour la préparation d’un Front popu­laire allemand dont faisaient partie plusieurs personnalités libérales, socialistes ou sans parti, dont Heinrich Mann. C’est dans ces conditions que Münzenberg put réunir à l’hôtel Lutetia, le 26 septembre 1935, une réunion de soixante membres. La signature en commun, par les socialistes et les communistes, d’un manifeste de pro­testation contre l’exécution de Rudolf Claus, rédacteur de la Rote Hilfe, accéléra le mouvement d’entente et la création à l’hôtel Lutetia, dans la séance du 2 février 1936, d’une commission pour la préparation d’un Front populaire allemand, dont Heinrich Mann assura la présidence d’honneur et qui disposait d’un journal, Die deutschen Informationen, sous la direction du socialiste sarrois Max Braun et du communiste Bruno Frei. Y participaient, outre des communistes (Münzenberg, Dahlem) et des sociaux-démocrates (Breitscheid, Hertz), des représentants des divers groupes socialistes et de nombreuses personnalités indépendantes.
L’échec de la « ligne Münzenberg » fut lié à l’évolution de la politique du Komintern qui substitua à l’influence de Münzenberg celle d’Ulbricht, partisan d’un « Front populaire par le bas » et organisateur de comités d’« amis du Front populaire » destinés à noyauter les organisations social-démocrates. Parti à Moscou en octobre 1936, pour se justifier devant la commission internationale de contrôle, Münzenberg y arriva en plein procès de Radek, craignit non sans raison d’être ar­rêté et ne put s’enfuir que grâce à un laisser-passer que lui fournit Togliatti. Depuis lors, plusieurs fois rappelé à Moscou pour se justifier d’une accusation de « trotskysme », il avait imaginé de bonnes excuses pour n’en rien faire. En avril 1937, le Komintern lui substitua Ulbricht comme membre de la Commission du Front po­pulaire. Cette décision correspondait à la crise que suscitaient au sein du comité Lu­tetia d’une part les procès de Moscou, qui provoquèrent le retrait des membres so­cialistes et libéraux, d’autre part les événements de la guerre d’Espagne, auxquels Münzenberg s’était intéressé (collaboration avec l’ambassadeur Fernando de Los Rios pour la protection des enfants réfugiés, création, avec Otto Katz, d’une agence d’Espagne à Paris, envoi d’Arthur Kœstler pour enquêter en Espagne) et qui provoquèrent chez certains groupes du Front populaire, comme la SAP qui était proche du POUM, des réactions hostiles aux communistes. La dernière réunion du Front populaire allemand se tint en novembre 1937. Quant à Münzenberg, à la suite de la parution de son livre Propaganda als Waffe (1937), qui opposait les succès de propagande de Gœbbels à la faiblesse des publications soviétiques, il fut l’objet de violentes attaques de la part de l’orthodoxe Deutsche Volkszeitung, du fait de son amitié pour Neumann et ses activités « trotskystes », et exclu du Comité central du KPD. Sans attendre son exclusion du parti, il fît savoir en mars 1939 les raisons de sa rupture avec le KPD qui n’avait jamais voulu reconnaître sa défaite ni renier ses positions antidémocratiques. Bien qu’il ait fait savoir à ses amis politiques, quel­ques mois auparavant, sa décision de rompre « avec une organisation qui rend im­possible tout travail politique », il évitait encore à cette date de mettre en cause Sta­line et l’Union soviétique.
Depuis longtemps, Münzenberg cherchait à jeter les bases d’un nouveau Front populaire, cette fois sans les communistes. Dans l’été 1938, il soutint la formation du Comité Thomas Mann et, ayant constitué une Société des amis de l’unité socia­liste allemande, participa à la Communauté de travail des socialistes allemands (Arbeitsgemeinschaft für sozialistische Inlandsarbeit), constituée par les groupes de gauche hostiles à la SOPADE. Mais surtout il adhéra au Parti de la liberté (Deutsche Freiheitspartei, DFP) que venait de créer Cari Spieker, ancien directeur de la presse sous Brüning, au service duquel il mit les éditions Brant qu’il venait d’acheter à Strasbourg et le journal Die Zukunft qui, dirigé par Kœstler puis par le catholique Walter Thormann, reçut la collaboration des personnalités les plus considérables de l’antifascisme européen. Münzenberg s’efforçait d’y démontrer que, une fois Hitler vaincu, l’Allemagne appartiendrait au monde occidental et qu’il serait possible d’y faire collaborer une bourgeoisie transformée par l’esprit de résistance au fascisme et un parti ouvrier unique, libéré de l’emprise des deux Internationales, dans le cadre d’une démocratie socialiste. C’est pour appuyer ce mouvement qu’il créa en 1939 l’Union franco-allemande, à laquelle il intéressa Herriot, Paul Boncour et Giraudoux.
Préoccupé par la misère des combattants républicains espagnols, il créa pour eux un comité de secours « Hommes en détresse ». Bien qu’il se fût montré sévère pour la politique soviétique en Espagne ; ce n’est qu’après le pacte germano-sovié­tique qu’il critiqua ouvertement Staline. Il travailla quelque temps à la radio dans les services de Giraudoux, mais fut interné au moment de la débâcle à Colombes, puis à Chambarran près de Lyon. A l’approche des troupes allemandes, il tenta de s’enfuir vers la Suisse. Son corps fut retrouvé plusieurs mois plus tard : s’agissait-il, comme on l’a pensé longtemps, d’un suicide ? Ne s’agissait-il pas plutôt, comme le croyait sa compagne Babette Gross, d’un assassinat politique par des agents de Sta­line ?

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article216488, notice MÜNZENBERG Willi par Jacques Droz, version mise en ligne le 23 juin 2020, dernière modification le 2 novembre 2022.

Par Jacques Droz

ŒUVRE : T. Schulz (éd.), Willi Münzenberg. Propaganda als Waffe. Ausgewählte Schriften 1919-1940, 1972.

SOURCES : A. Kœstler, Hiéroglyphes, Paris, 1955 (rééd., 1978). — J. Schleimann, « The Life and theworkof Willi Münzenberg », in Survey, no. 55, avril 1965. — Babette Gross, Willi Mün­zenberg. Eine politische Biographie, Stuttgart, 1967. — Beatrix Bouvier, Die Deutsche Frei­heitspartei. Ein Beitrag zur Geschichte der Opposition gegen den Nationalsozialismus, Diss. Francfort, 1972. — R. Surmann, Die Münzenberg-Legende. Zur Publizistik der revolutionären deutschen Arbeiterbewegung 1921-1933, Cologne, 1983. — J. Droz, Histoire de l’antifascisme en Europe 1923-1939, Paris, 1985. — Weber, Wandlung, op. cit. — Rœder et Strauss, op. cit. — Durzak, op. cit. —Benz et Graml, op. cit. — Duhnke, KPD, op. cit. — Langkau, Volksfront, op. cit.

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