Par Serge Cosseron
Né le 23 mai 1889 à Trebnitz (Silésie), mort le 23 mai 1967 à Berlin ; publiciste social-démocrate, puis national-bolchevique.
Fils d’un ouvrier qui se mit à son compte et s’installa en Bavière, Ernst Niekisch entra dans la vie active en 1910, après un service militaire volontaire d’un an, en devenant instituteur. Engagé volontaire en 1914, il n’alla toutefois pas au front ; souffrant d’une grave maladie aux yeux, il fut affecté à la formation de recrues à Augsbourg. Ce fut là, en 1915, qu’il s’intéressa au marxisme, mais ce fut à l’annonce de la révolution russe qu’il s’engagea dans la social-démocratie. En 1918, il collabora à la Schwäbische Volkszeitung et se porta à la tête du conseil d’ouvriers et de soldats d’Augsbourg. Nommé président du Conseil central des conseils d’ouvriers et de soldats de Bavière en février-mars 1919, il adopta une attitude modérée pendant la Commune de Munich, tentant d’éviter, avec Landauer, la rupture entre sociaux-démocrates et anarchistes. Arrêté le 5 mai, il fut condamné le 23 juin à deux ans de forteresse ; écœuré par l’attitude de son parti pendant l’affaire munichoise, il adhéra à l’USPD. Libéré en 1921, il devint le chef de la fraction indépendante au Landtag de Bavière. Menacé de mort par l’extrême-droite, il décida d’aller à Berlin et de devenir fonctionnaire dans le syndicat du Textile. Collaborateur de nombreuses revues social-démocrates (il avait rejoint le SPD lors du retour de l’USPD à l’organisation-mère), il publia une série d’articles en 1925, qui lui valurent les foudres d’Eduard Bernstein. En effet, dans Der Weg der deutschen Arbeiterschaft zum Staat (La voie de la classe ouvrière vers l’État), il reprochait à la social-démocratie de privilégier le consensus au conflit, qui seul aurait permis de lier les intérêts de classe à ceux de l’État et de ne suivre ni Lassalle (pour la place qu’il attribuait à la classe ouvrière dans la construction de l’État), ni Marx (pour la prépondérance qu’il donnait à la lutte de classe). Niekisch était en effet imprégné de l’idéologie du groupe de Hofgeismar.
Remettant en cause l’ensemble de la politique étrangère de la social-démocratie, Niekisch prôna l’alliance avec l’URSS pour s’opposer à la « francisation » de l’Europe centrale. Exclu du SPD, il rejoignit une scission saxonne de la social-démocratie, l’ASP (Alte Sozialdemokratische Partei) et devint le rédacteur en chef de leur organe Der Volksstaat. En 1928, après la disparition de cette organisation lors des élections, il se rapprocha des éléments de la Révolution conservatrice. Auparavant il avait fondé avec des amis de Hofgeismar, comme Benedikt Obermayer, le groupe Widerstand (Résistance) auquel il réussit à agréger les membres du groupe paramilitaire Oberland. Il chercha à concurrencer la montée du national-socialisme, en tentant à plusieurs reprises de construire un regroupement nationaliste et révolutionnaire à partir, successivement, de mouvements de jeunesse paramilitaires, Aktion der Jugend, du mouvement des paysans révolutionnaires du Schleswig-Holstein de Claus Heim et du Parti communiste. Ses échecs répétés le laissèrent dans une situation très marginale. En 1932, dans Hitler, ein deutsches Verhängnis (Hitler, une fatalité allemande), il qualifiait le mouvement nazi de petit-bourgeois, profondément marqué par une mentalité « romantico-religieuse ». Son journal Die Entscheidung (La décision) fut interdit en 1934 ; il n’en eut pas moins la latitude de pouvoir voyager à l’étranger, sans toutefois choisir l’exil. Arrêté parla Gestapo en 1937, il fut condamné à la prison à perpétuité pour haute trahison. Libéré de la prison de Brandebourg en 1945, presque paralysé et à moitié aveugle, il s’installa à Berlin dans la zone soviétique et resta en RDA, tout en adoptant une attitude critique, par exemple lors de la révolte ouvrière de 1953. Il se décida à cette date à rejoindre la RFA.
Par Serge Cosseron
ŒUVRE : Das Reich der niederen Dämonen, 1957. — Gewagtes Leben. Begegnungen und Begebnisse, 1958. — Ost und West. Unsystematische Betrachtungen, 1963. — Politische Schriften, 1965. — Die Legende von der Weimarer Republik, 1968.
SOURCES : J.E. Drexel, Der Fall Niekisch, eine Dokumentation, Cologne, 1964. — F.J. Raddatz, Erfolg oder Wirkung. Schicksale politischer Publizisten in Deutschland, Munich, 1972. — F. Kabermann, Widerstand und Entscheidung eines deutschen Revolutionärs. Leben und Denken von Ernst Niekisch, Cologne, 1973. — J. J. Ward, Between Left and Right Ernst Niekisch and National Bolshevism in Weimar Germany, Thèse, New York, 1973. — L. Dupeux, National-bolchevisme, stratégie communiste et dynamique conservatrice, Paris, 1979. — J.E. Drexel, Voyage à Mauthausen : le Cercle de la Résistance de Nuremberg (trad. de l’all.), Paris, 1981. — Benz et Graml, op. cit.