NOSKE Gustav

Par Irène Petit

Né le 9 juillet 1868 à Brandebourg (Havel), mort le 30 novembre 1946 à Berlin ; homme d’État social-démocrate de droite, commissaire du Peuple en 1918, chargé des problèmes militaires, responsable de l’écrasement de l’insurrection berlinoise de janvier 1919.

Né d’un père tisserand, Gustav Noske fit un apprentissage de vannier de 1882 à 1886, puis entra comme ouvrier vannier dans une fabrique de berceaux et de voitures d’enfants à Brandebourg. En 1885, il adhéra au syndicat des vanniers et en 1886 au SPD. Autodidacte, il fut, dès le début des années 1890, membre de la commission de la Presse et rédacteur au journal socialiste Brandenburger Zeitung. À partir de 1897, il fut nommé rédacteur à la Tribune à Königsberg, puis en 1902 ré­dacteur en chef de la Volksstimme de Chemnitz où il resta jusqu’en 1918. Il fut pré­sident régional de l’Union syndicale des ouvriers du bois à Königsberg, puis à Chemnitz. En 1900, il fut élu député de la ville de Königsberg, puis de Chemnitz à partir de 1906. En 1895, 1903 et de 1906 à 1917, il fut délégué aux congrès du parti ainsi qu’aux congrès internationaux de 1907 et 1910. De 1906 à 1918, il fut député au Reichstag où il appartenait à l’aile droite du SPD et où il se spécialisa dans les questions coloniales, militaires et de la Marine. A partir de 1908, il entreprit des tournées d’information où il visitait les installations de la flotte, chose tout à fait nouvelle pour un député socialiste. En 1912, il fut élu par la commission du Budget corapporteur du budget de la Marine.
En 1907, lors de l’expédition allemande en Afrique, contre les Héréros, au grand scandale de la majorité du SPD qui s’affirmait hostile à toute politique colo­niale, Noske prit parti avec les révisionnistes pour une « politique coloniale posi­tive », approuvant le principe de la colonisation et préconisant simplement des aménagements de la politique officielle. En 1907 également, il prononça un dis­cours remarqué au Reichstag, dans lequel il déclarait que la classe ouvrière défen­drait unanimement le Reich en cas de conflit, discours qui lui valut de violentes cri­tiques au congrès d’Essen. Noske faisait partie de cette nouvelle génération de fonctionnaires du parti qui acceptait sans discussion les frontières territoriales du Reich dans leur intégralité, y compris les territoires d’outre-mer et préparait, consciemment ou non, un processus d’intégration nationale de la social-démocratie. En 1912, Noske vota avec Südekum les crédits destinés à l’envoi de troupes à Jiaozhou en Chine ; il approuva également la construction de chemins de fer dans les colonies africaines. En 1914, il publia Sozialdemokratie und Kolonialpolitik.
Favorable au vote des crédits de guerre en 1914, il écrivit dans la Volksstimme des articles enflammés contre la Russie et s’écria : « Voulons-nous la victoire ? No­tre réponse est : oui. » Il prit fait et cause pour la politique d’Union sacrée et devint correspondant de guerre. Dès 1914, il se rendit sur le front de l’Ouest, notamment en Belgique où il se garda de désapprouver la politique d’invasion de ce pays par le Reich. Il apprit à connaître beaucoup de soldats et d’officiers et se prit souvent à identifier armée et social-démocratie. Dans la dernière phase de la guerre, alors que les masses populaires réclamaient la paix, il se déclara en faveur d’une politique de jusqu’auboutisme, espérant que l’intégration du SPD dans l’effort national serait récompensé par une démocratisation de la vie politique et une participation des socialistes à un large gouvernement d’union. Dès les premiers jours de la révolution, en novembre 1918, la direction du parti socialiste majoritaire envoya Noske à Kiel afin qu’il y contrôlât la situation révolutionnaire créée par la mutinerie des marins. Très populaire parmi les matelots, il fut nommé gouverneur le 6 novembre, mais ne réussit pas à empêcher l’extension des conseils et la révolution gagna les autres ports et les grandes villes du Nord.
A Berlin, le nouveau cabinet de coalition gouvernemental comportait trois majoritaires et trois indépendants. Lors de la démission des indépendants le 29 décem­bre, à la suite de l’affaire de la « division de la Marine », Noske fut nommé commis­saire du Peuple chargé des questions militaires. En tant que tel, il contribua à mettre sur pied des corps francs destinés à maintenir l’ordre menacé par les « bolcheviks », responsables du « chaos » selon Noske. Le 4 janvier à Zossen, dans la banlieue ber­linoise, Ebert et Noske passèrent en revue le « corps de chasseurs volontaires » du général Maercker. Le 5 janvier, l’USPD, les Revolutionäre Obleute et le Parti communiste appelaient à manifester pour protester contre la mise à pied du préfet de Police indépendant de Berlin, Emil Eichhorn. Sur les quelques 100 000 mani­festants, quelques milliers de spartakistes occupèrent le siège de journaux majori­taires bourgeois (Vorwärts, Berliner Tageblatt). Les spartakistes créèrent un comité révolutionnaire. Le gouvernement chargea Noske de rétablir l’ordre, par la force s’il le fallait. Noske répondit : « Soit ! quelqu’un doit être le chien sanglant ; cette responsabilité ne m’effraie pas. » Nommé commandant en chef des troupes gou­vernementales, Noske donna l’ordre, le 10 janvier, de prendre d’assaut le bâtiment du Vorwärts. L’insurrection fut écrasée dans un bain de sang (environ cent-cin­quante spartakistes tués). Le 15 janvier, Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht furent arrêtés et abattus par un groupe d’officiers. Les auteurs de l’assassinat ne fu­rent condamnés par la justice militaire qu’à des peines très légères. La responsabi­lité politique de ces meurtres pesa lourdement sur les majoritaires, notamment sur Noske. Les événements sanglants de janvier 1919 constituèrent une « césure historique » dans l’histoire de la jeune République, marquant le début d’une hostilité permanente entre le SPD et le Parti communiste.
Un mouvement de protestation contre la répression sanglante à Berlin s’éleva dans toute l’Allemagne. On a pu parler d’une seconde vague révolutionnaire à Brême, dans la Ruhr, en Bavière.
Noske, devenu ministre de l’Armée après les élections à l’Assemblée nationale du 19 janvier, fit chaque fois intervenir les troupes pour réprimer ces mouvements.
A Brême, les conseils d’ouvriers et de soldats qui étaient à la tête de la nouvelle République socialiste proclamée le 10 janvier, furent massacrés au début de février.
A Berlin surgirent de nouveaux troubles ; le 3 mars, l’extrême-gauche appela à la grève générale. Noske décréta l’état de siège. Les combats de rue firent rage. Le général von Lüttwitz entra dans Berlin avec trente mille hommes. Mille deux cents Berlinois trouvèrent la mort. L’insurrection fut écrasée et l’on appela Noske le « bourreau de la révolution ». Il disait obéir à la raison d’État, couvrant les brutalités et les « bavures » des officiers. On lui prêta ce mot : « Ici ce ne sont pas les paragraphes [de la loi] qui comptent, c’est exclusivement le succès, et celui-ci était de mon côté. »
Un peu plus tard, le 23 avril, Noske envoya des troupes nombreuses, rassem­blées en un grand « corps franc bavarois » sous le commandement de Lüttwitz, pour écraser la nouvelle République communiste des conseils de Bavière. Ici en­core l’« ordre » fut rétabli. Début mai, la République des conseils avait vécu, en Bavière comme ailleurs.
La politique militaire et notamment la politique du maintien de l’ordre par l’ar­mée prônée par Noske (Noske-Politik) suscita dès 1919 de violentes polémiques, même dans les rangs des majoritaires. En janvier 1919, au moyen des « décrets sur le commandement et les conseils de soldats », il retirait le commandement aux conseils de soldats et le confiait aux anciens officiers du Reich. Il n’était plus ques­tion de la création d’une milice populaire, décidée en décembre 1918.
Critiqué au sein de son propre parti, il ne fut plus, à partir de 1920, désigné par la circonscription de Chemnitz comme candidat au Reichstag. De même, il fut ex­clu de l’Union syndicale des travailleurs du bois.
A la suite du traité de Versailles qui stipulait que l’armée allemande devait être réduite à cent mille hommes, les Alliés exigèrent en 1920 la dissolution des corps francs du Baltikum et des brigades de Marine Ehrhardt et Lœwenfeld. L’agitation nationaliste se propageait, alimentée par la légende du « coup de poignard dans le dos » inventée par Hindenburg et la crainte de beaucoup d’officiers de corps francs d’être licenciés. Kapp, haut fonctionnaire prussien, prit contact avec Lüttwitz et avec Ehrhardt, Dans la nuit du 13 mai, on apprit que la brigade Ehrhardt marchait sur Berlin. Le général von Seeckt, consulté sur l’attitude de la Reichswehr, répon­dit : « La troupe ne tire pas sur la troupe. » Le 13 au matin, le gouvernement s’enfuit à Dresde, puis à Stuttgart. Berlin fut occupé par la brigade Ehrhardt. La grève gé­nérale fut proclamée le 13 mars par la direction du MSPD et parle gouvernement. De leur côté les indépendants et les communistes appelèrent à la grève, les syndi­cats également, grève qui eut un succès éclatant. La dictature militaire de Kapp et de Lüttwitz ne dura que cinq jours. Le Reichstag, réuni à Stuttgart le 18 mars, blâma Noske pour sa politique militaire et l’incita à démissionner. Ce fut la fin de la car­rière politique de Noske, qui fut nommé en juillet Oberpräsident de la province de Hanovre, poste qu’il occupa jusqu’à l’arrivée de Hitler au pouvoir. Il fut arrêté en 1939 puis de nouveau après le 20 juillet 1944, après quoi il fut interné dans diverses prisons et dans des camps de concentration.
Noske fut l’une des figures les plus controversées de la social-démocratie alle­mande. Homme d’État efficace et pragmatique pour les uns, qui appréciaient son sens de l’État, de l’ordre et sa volonté de mettre fin au « chaos » provoqué par ceux qui, selon lui, menaçaient l’existence de la République en poursuivant le mouve­ment révolutionnaire, il fut regardé parles autres — de beaucoup les plus nombreux aujourd’hui — comme le « bourreau de la révolution », celui qui s’appuya, pour écraser les spartakistes, non sur une milice républicaine mais sur la fraction la plus nationaliste et revancharde de l’ancienne armée impériale.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article216501, notice NOSKE Gustav par Irène Petit, version mise en ligne le 23 juin 2020, dernière modification le 28 novembre 2022.

Par Irène Petit

ŒUVRE : Kolonialpolitik und Sozialdemokratie, 1914. — Noske (autobiographie), 1919. — Von Kiel bis Kapp. Zur Geschichte der deutschen Revolution, 1920. — Erlebtes aus Aufstieg und Niedergang einer Demokratie, 1947.

SOURCES : H.C. Schröder, Gustav Noske und die Kolonialpolitik des deutscken Kaiserreiches, Berlin, Bonn, 1979. — W. Wette, Gustav Noske, eine politische Biographie, Düssel­dorf, 1987.

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