Par Alain Ruiz
Né le 3 novembre 1768 à Sugenheim (Franconïe), mort le 16 septembre 1824 à Wiesbaden ; publiciste préoccupé par la question sociale.
Georg Friedrich Rebmann doit être considéré comme l’un des publicistes révolutionnaires allemands les plus importants dans la période qui va de la Révolution française à 1848. Fils d’un fonctionnaire seigneurial, il fit des études de droit à l’Université d’Erlangen (1785-1787), puis à Iéna jusqu’en 1789 et revint à Erlangen où sa forte tête lui valut de sérieux démêlés avec les autorités académiques. D’abord sans emploi, il devint en 1790 « procurateur » et avocat d’un canton de la Chevalerie d’empire et se lança bientôt comme écrivain libre. Vivement impressionné par les débuts de la Révolution française, « le plus grand événement de notre époque et, l’on peut dire, le plus grand événement de tous les siècles », il déploya à Dresde où il s’était établi, une intense activité littéraire et journalistique dans l’esprit des principes nouveaux. Ses critiques contre les institutions surannées du Saint-Empire, ses sympathies trop voyantes pour la Révolution et en particulier sa traduction d’un discours de Robespierre, en 1794, le rendirent suspect de jacobinisme aux yeux du gouvernement saxon. Menacé d’arrestation, il s’enfuit de Dresde et chercha refuge d’abord à Dessau, puis à Erfurt, enfin à Altona d’où il émigra vers Paris. Durant toutes ces péripéties mouvementées qu’il narra dans son Histoire complète de mes persécutions et mes souffrances (1796), Rebmann ne cessa de publier des romans satiriques et récits de voyages truffés d’attaques directes ou voilées contre l’ordre politique et social en Allemagne, une importante revue aussi, le Nouveau monstre gris (1795-1796), dans laquelle, entre autres, il prit la défense des jacobins mayençais persécutés, s’insurgea contre le partage de la Pologne et s’en prenait — son combat de toujours — à l’« obscurantisme » que cléricaux et réactionnaires faisaient régner outre-Rhin. A Paris où il vécut de 1796 à 1798, Rebmann continua inlassablement, dans des revues, brochures et autres écrits, à lutter dans le même sens en soumettant aussi les réalités françaises vues de près à une observation très critique. En 1798, il obtint du Directoire un poste déjugé à Mayence. C’était le début d’une carrière qui, du Consulat à l’Empire et la Restauration, le hissa jusqu’aux plus hautes dignités de la hiérarchie judiciaire, mais qui n’entama pas sa fidélité à l’essentiel des principes révolutionnaires pour lesquels il s’était battu.
Parmi les jacobins allemands, Rebmann fut pour ainsi dire le seul à avoir accordé une attention constante à la question sociale. Ému parle sort des victimes de l’exploitation féodale, il se soucia dès 1791 de combattre « tyrannies locales et injustices » contre les pauvres et proposa la création d’une « Société de juristes allemands », destinée à soutenir financièrement dans les procès les petites gens trop démunies pour suivre « la marche d’escargot habituelle de la justice allemande ». Dans le même Essai où il s’interrogeait sur le droit d’un seigneur de « démettre de ses services et de renvoyer [.,.] un fonctionnaire sans raison », Rebmann préconisait aussi de fonder un journal pour rendre publics et, par là, pour combattre les actes des « oppresseurs ». Les pittoresques Lettres sur Erlangen qui suivirent en 1792 ne sont pas seulement un pamphlet contre la médiocrité d’une petite ville universitaire allemande. Elles contiennent aussi un tableau saisissant de la misère des non-possédants, une analyse de ses causes et la proposition d’une solution « socialiste » : que le souverain — en l’occurrence le margrave d’Ansbach-Bayreuth — achetât à leurs égoïstes propriétaires les métiers à tisser trop rares dans la ville, qu’il en augmentât le nombre en fonction de celui des pauvres sans travail et un terme serait mis à leur détresse. Des préoccupations sociales analogues apparurent également dans plus d’une page des Promenades cosmopolites à travers une partie de l’Allemagne (1793), où Rebmann s’indignait en particulier du contraste opposant à Berlin les « quartiers paradisiaques » des riches dans leurs « palais » au tableau offert par les faubourgs peuplés de misérables entassés dans de « pitoyables masures » et échappant à peine à l’inanition « par un travail assis ininterrompu » devant leurs métiers à tisser. Même remarque pour les Pérégrinations et croisades à travers une partie de l’Allemagne (1795) : Rebmann y soumettait avant tout l’état social de la Saxe à une critique acerbe.
Cette sensibilité toute particulière aux injustices sociales fut aiguisée encore plus en France par l’immoralité publique étalée sans vergogne dans les classes dirigeantes de l’époque directoriale. A ce monde des profiteurs, Rebmann opposait celui des ouvriers restés, selon lui, les dépositaires des vraies vertus républicaines après avoir été la force motrice de la Révolution. Cette vision dichotomique domine très largement la masse considérable d’écrits que ce démocrate convaincu produisit à Paris. Pourtant, il resta fermé aux théories sociales égalitaires développées alors par Babeuf. Restant encore trop attaché au principe bourgeois de la propriété privée, il avait une vue des choses avant tout moraliste et basée sur la distinction somme toute sommaire entre « riches » et « pauvres ». Aussi serait-ce trop dire qu’au-delà de sa critique féroce de la féodalité se dessinait déjà également celle du capitalisme moderne, générateur de la misère du prolétariat. Il n’empêche qu’au spectacle des iniquités inhérentes aux réalités préindustrielles de son temps affleurèrent chez ce jacobin allemand les germes d’une pensée orientée dans le sens de ce qu’on appellera plus tard le socialisme.
Par Alain Ruiz
SOURCES : R, Kawa, Georg Friedrich Rebmann (1768-1824). Studien zu Leben und Werk eines deutschen Jakobiners, Bonn, 1980 (avec un répertoire exhaustif des œuvres de Rebmann et une importante bibliographie sur sa vie et son œuvre). — BLDG, op. cit.