Par Irène Petit
Né le 24 mars 1897 à Dobzau (Galicie), mort le 3 novembre 1957 à Lewisburg (États-Unis) ; médecin et psychanalyste viennois, fondateur du freudo-marxisme, membre de la social-démocratie autrichienne, du SPD, puis du KPD dont il fut exclu.
Né d’une famille de paysans aisés de Galicie, Wilhelm Reich grandit en Bukovine (Ukraine). Mobilisé à dix-huit ans, il termina la guerre avec le grade de lieutenant dans l’armée autrichienne. Après la guerre, il s’inscrivit à la faculté de médecine de l’Université de Vienne. Fin 1919, il rendit visite à Freud et en 1920, il devint membre de la Société viennoise de psychanalyse. En 1924, il fut nommé vice-directeur du séminaire de technique analytique de la Polyclinique de psychanalyse, fondée à Vienne par Freud et dirigée par Edward Hitschmann. De 1924 à 1930, il y dirigea le séminaire de technique psychanalytique. Reich y poursuivit une double voie : celle de la psychanalyse et celle de la psychiatrie classique. Se déclarant partisan de l’orthodoxie freudienne, il était tout acquis à la théorie de l’étiologie sexuelle des névroses, affirmant cependant, contrairement à Freud, le primat de la génitalité. En outre son expérience thérapeutique l’obligea à souligner les conditions sociales de la Prophylaxie des névroses. La conférence qui portait ce titre et que Reich prononça en 1926, fut reçue par les psychanalystes comme une provocation. Pour Reich la société, la morale, le système capitaliste étaient en grande partie responsables des troubles névrotiques des jeunes et notamment des jeunes ouvriers. Contrairement à Freud, qui affirma dans Malaise dans la civilisation (1931) que la répression de la libido par la société et la sublimation étaient nécessaires à toute civilisation, Reich estimait que la satisfaction sexuelle était indispensable à l’épanouissement de l’individu et à sa capacité créatrice (cf. Die Funktion des Orgasmus. Psychopathologie des Geschlechtslebens, 1925).
Plusieurs événements contribuèrent à radicaliser sa pensée. D’abord les graves incidents qui eurent lieu à Schattendorf, puis à Vienne en 1927 où Reich participa à des manifestations ouvrières réprimées dans le sang et après lesquelles, déçu par la mollesse des sociaux-démocrates, il adhéra au Secours ouvrier communiste et, un peu plus tard, au Parti communiste autrichien (pour plus de détails sur l’activité politique de Reich en Autriche, voir sa biographie dans le Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier autrichien). Il se mit à étudier Marx, Engels (surtout L’Origine de la famille dont il vit aussitôt les implications actuelles en ce qui concernait la famille patriarcale autoritaire). Il milita activement et organisa dans la banlieue rouge de Vienne des dispensaires psychanalytiques gratuits. Il s’attaqua à plusieurs aspects de la misère sexuelle (avortement, contraception, éducation etc.), espérant agir sur la prophylaxie des névroses. En 1928, avec le concours de médecins socialistes, il mit sur pied à Vienne plusieurs centres d’hygiène sexuelle. Dès 1929, les marxistes orthodoxes le traitèrent de « freudo-marxiste ». Du reste, Reich publia en 1929 un essai, Dialektischer Materialismus und Psychoanalyse où il tentait une synthèse entre le marxisme et la psychanalyse.
Déçu par le Parti communiste autrichien et sa faiblesse numérique (4 000 membres) ainsi que parla froideur croissante des milieux freudiens, il décida, après un voyage en URSS, de s’installer à Berlin en 1930. Il y tenta de poursuivre son expérience auprès des ouvriers et des jeunes de manière plus radicale encore. Après avoir participé, en 1929-1930, aux réunions de l’Association socialiste pour l’aide et la recherche sexuelle, Reich proposa la fondation d’une organisation de masse de politique sexuelle, fondée sur une base communiste et regroupant les associations qui militaient pour la légalisation de l’avortement. Il élabora une plate-forme qui fut approuvée par le Parti communiste allemand et en 1931, à l’issue du congrès de Düsseldorf, huit associations regroupant vingt mille membres adhérèrent au programme. Le mouvement SEXPOL était né. Reich milita surtout par les Jeunesses communistes, organisant meetings et conférences dans les usines des grandes villes. Le succès de SEXPOL fut tel qu’il inquiéta la police.
A l’intention de la jeunesse ouvrière, Reich écrivit une brochure intitulée Der sexuelle Kampf der Jugend, qui parut en 1932 dans une version expurgée par la direction communiste et dans une maison d’édition fondée par Reich lui-même : le Sexpolverlag. Il y invitait les jeunes ouvriers à se défaire de l’aliénation de la morale bourgeoise et à revendiquer le droit à une sexualité libre. Cette volonté de « politiser la question sexuelle en tant que revendication au bonheur » allait bientôt inquiéter les cadres du Parti communiste. On reprochait à Reich la trop grande influence qu’il exerçait sur les Jeunesses communistes. Alors même qu’il était un militant infatigable, distribuant tracts et journaux, participant à des groupes d’autodéfense communistes contre les SA, il heurtait les officiels du parti par sa dénonciation de la structure familiale répressive et choquait un certain puritanisme ouvrier. En outre, il souhaitait l’union des sociaux-démocrates et des communistes pour lutter contre la montée du nazisme, ce qui allait à l’encontre des directives du Komintern. En décembre 1932, les journaux du parti attaquèrent Reich et la diffusion de ses écrits à l’intérieur des organisations communistes fut interdite. Peu de temps après, il fut exclu du parti.
Lorsqu’en août 1933, il publia son ouvrage intitulé Massenpsychologie des Faschismus, qui fut peut-être son livre le plus célèbre, le premier chapitre s’ouvrait par cette phrase : « La classe ouvrière allemande a subi une grave défaite » ; cette phrase, ainsi que l’analyse démystifiant le prolétariat allemand, refusant de faire de lui systématiquement le porteur de la conscience révolutionnaire, mais le montrant rendu sensible, par le poids d’influences réactionnaires modelant le psychisme, à la séduction d’une idéologie totalitaire et nationaliste, consommèrent la rupture avec Parti communiste allemand. Les thèses de Reich ne pouvaient que heurter l’orthodoxie stalinienne.
A peu près à la même époque fut consommée la rupture avec l’orthodoxie psychanalytique. Dès la fin de la période viennoise, des désaccords entre Freud et Reich s’étaient exprimés ouvertement, notamment à propos de la critique par Reich de la fameuse théorie freudienne de l’instinct de mort. Reich se voyait reprocher par presque tous les analystes viennois et plus tard allemands des positions marxistes et son engagement révolutionnaire. Dès 1934 il fut officiellement exclu de la Société internationale de psychanalyse.
Dès l’arrivée de Hitler au pouvoir en 1933, il fut contraint à l’exil ; il s’enfuit à Vienne d’abord, puis à Copenhague, ensuite à Oslo. Moralement très abattu par les deux exclusions et par l’exil, il se mit, à partir de 1935, à élaborer des systèmes philosophiques et pseudo-scientifiques souvent extravagants. En 1939, il s’installa aux États-Unis où il poursuivit des recherches sur l’énergie sexuelle, qu’il prétendait avoir matériellement isolée. Ayant fait breveter un « accumulateur d’orgones » destiné à soigner, outre les névroses, toutes sortes de maladies dont le cancer, il fut condamné par la justice américaine pour la commercialisation de cet appareil. Emprisonné en 1956, il mourut en 1957 au pénitencier de Lewisburg.
Par Irène Petit
ŒUVRE : Une bibliographie assez complète est donnée par C. Sinelnikoff dans son ouvrage : L’œuvre de Wilhelm Reich, Paris, 1970. — Die Entdeckung des Orgons (trad. de l’amér.), 1973. — Record of a Friendship : the correspondence between W. Reich and A. S. Neill, 1936-1957, éd. par B.R. Placzek, 1981. — Äther, Gott und Teufel (trad. de l’angl.), 1983 (trad. franç., 1980). — En français : La Crise sexuelle, suivi de Matérialisme dialectique, Freudisme et Psychanalyse, 1937. — La psychologie de masse du fascisme, 1974. — La Biopathie du cancer (trad : de l’ail), 1975. — Premiers écrits, 1976. — L’Analyse caractérielle (trad. de la 3e éd, ali), 1976. — Les Hommes dans l’État (trad. de Tall), 1978. — La Génitalité dans la théorie et la thérapie des névroses, 1982. — La Révolution sexuelle, 1982.
SOURCES : L. De Marchi, Wilhelm Reich. Biographie d’une idée, Paris, 1973 (trad. de l’italien). — J.M. Palmier, Wilhelm Reich. Essai sur la naissance du freudo-marxisme, Paris, 1969. — B. Ollman, Social and sexual revolution : essays on Marx and Reich, Montréal, 1978. — P. Ayçoberry, La question nazie. Les interprétations du national-socialisme 1922-1975, Paris, 1979. — Ola Raknes, Wilhelm Reich et l’orgonomie (trad. de l’angl.), Toulouse, 1988.