Par Jacques Droz
Né le 28 mai 1818 à Coblence, mort le 31 décembre 1892 à Berlin ; théoricien catholique de la question sociale.
Fils d’un juriste rhénan, lui-même magistrat, Peter Reichensperger eut comme frère August qui joua un rôle considérable dans le cadre du mouvement romantique, ainsi que dans la défense des monuments religieux rhénans. L’un et l’autre furent profondément touchés par l’affaire de Cologne et prirent, après l’internement de l’évêque von Droste-Vischering, une attitude fondamentalement hostile à la Prusse ; c’est alors qu’ils fournirent au Français Gustave De Failly les arguments qui lui inspirèrent son pamphlet De la Prusse. Cependant, après l’avènement de Frédéric-Guillaume IV, l’état d’esprit des deux frères évolua. Peter Reichensperger, constatant que la collaboration avec l’État prussien était devenue nécessaire, publia en 1847 Die Agrarfrage (le titre était inspiré par le souci de défendre le régime de la propriété paysanne rhénane contre le droit d’aînesse prussien), dans lequel il s’efforçait d’établir des compromis entre le conservatisme et le libéralisme, mais aussi entre le libéralisme et le socialisme, qu’il connaissait sous sa forme française. Tout en récusant le socialisme qu’il considérait comme inhumain et irreligieux, il ne pouvait admettre que le travail de l’homme soit considéré comme une monnaie d’échange et non comme une valeur morale. Dans un État « corporatif-représentatif » fortement décentralisé, il jugeait nécessaire de rechristianiser le travail, lui rendre sa dignité, et cela à ses yeux ne pouvait être accompli que par l’État qui devrait assurer la réglementation des heures de travail dans les usines, faire participer les ouvriers aux bénéfices, multiplier les machines, ce qui ne serait possible que dans un régime protectionniste.
Reprises dans la Rhein- und Moseheitung dans un esprit d’hostilité à l’égard du libéralisme bourgeois et de la séparation de l’Église et de l’État, les thèses de Reichensperger ne furent pas sans influence, même dans les milieux populaires des grandes villes, et en particulier à Cologne si l’on en croit les résultats du premier tour des élections au Parlement de Francfort, qui donnèrent une grande majorité aux élus catholiques.
Membre influent de l’Assemblée nationale prussienne en 1848, Peter Reichensperger, s’il ne perdit pas de vue la question sociale, se préoccupa dès lors surtout de la situation des catholiques dans l’État prussien. Membre du Reichstag depuis 1867, il contribua à la fondation du Zentrum et joua un rôle considérable dans le Kulturkampf.
Par Jacques Droz
SOURCES : A. Wegener, Die vorparlamentarische Zeit Reichenspergers 1810-1847, Cologne, 1930. — J. Droz, Le libéralisme rhénan 1815-1848, Thèse, Paris, 1940. — K. Repgen, Märzbewegung und Maiwahlen des Revolutionsjahres 1848 im Rheinland, Bonn, 1955. — T. Rühl, Gesellschaft und Recht bei Peter Reichensperger, Bonn, 1960. — P. Ayçoberry, Cologne entre Napoléon et Bismarck, Thèse, Paris, 1981. — R. Morsey, J. Aretz, A. Rauscher (éd.), Zeitgeschichte in Lebensbildern : aus dem deutschen Katholizismus des 19. und 20. Jahrhunderts, vol. 5, Mayence, 1982.