REUTER Ernst

Par Jacques Droz

Né le 29 juillet 1889 à Apenrade (Schleswig), mort le 29 septembre 1953 à Berlin ; homme d’État social-démocrate, maire de Berlin.

Fils d’un navigateur au long cours appartenant à un milieu luthérien et conser­vateur, Ernst Reuter fît de fortes études en philosophie et en économie à Marburg et Munich où il subit l’influence du néo-kantisme, ainsi que celle de l’économiste Lujo Brentano. Il adhéra en 1912 au SPD, ce qui lui interdit une carrière universitaire normale et le conduisit comme professeur privé à Bielefeld où il fréquenta les sociétés de défense de la nature et d’abstinence alcoolique. En 1914, il fit partie, aux côtés de Gerlach et de Quidde, de la société pacifiste Bund Neues Vaterland qui voulait une paix de compromis. Fait prisonnier sur le front russe, organisateur d’un comité de prisonniers révolutionnaires, il fut désigné par Lénine comme commissaire de la République allemande de la Volga, fonction qu’il remplit avec autorité et à la satisfaction de la population. Rentré en Allemagne avec Radek, sous le nom de Friesland, il occupa de hautes fonctions au KPD et devint membre de la Centrale en 1921, en même temps qu’il fut élu conseiller municipal de Berlin. Après avoir condamné la ligne de Levi et assisté à Moscou au IIIe congrès du Komintern, il fut promu secrétaire général du KPD. Mais il déplora aussitôt, comme l’avait fait Levi, la dépendance à l’égard de Moscou du KPD, qui l’exclut en janvier 1922 avec l’ensemble de la Kommunistische Arbeitsgemeinschaft. Après un court passage à l’USPD où il dirigea la revue Die Freiheit, il adhéra au SPD ; demeuré membre du conseil municipal, il se spécialisa dans la question des transports au sein de la Berliner Verkehrsgesellschaft, tout en collaborant au Vorwärts. Le SPD le fit nommer bourgmestre de Magdeburg en 1931 et l’envoya au Reichstag en 1932.
En 1933, après une double arrestation, il put passer en Hollande grâce à l’aide des Quaker, puis en Angleterre d’où l’économiste Fritz Baade, qui avait déjà émigré en Turquie, le fît appeler à Ankara ; pendant la période nazie, il y enseigna les questions d’administration communale et de transports à l’Académie des sciences. Il ne perdit cependant pas de vue les questions allemandes, soutenant les thèses de Neu Beginnen contre la SOPADE, poussant Thomas Mann à appeler les émigrés à la ré­sistance, s’efforçant d’unifier dans un Deutscher Freiheitsbund les appels radio­phoniques dirigés vers l’Allemagne, secourant les prisonniers allemands dans les camps d’Anatolie après l’entrée en guerre de la Turquie.
Autorisé en 1946 seulement à retourner en Allemagne, il fut réélu au conseil municipal de Berlin et, l’année suivante, par un vote unanime, premier bourgmestre de Berlin : poste qui lui fut refusé du fait du veto soviétique et qu’il ne put revêtir, à la suite de la partition de la ville, que pour les secteurs occidentaux dont il devint en 1950 le « bourgmestre régnant ». Son attitude au moment du blocus soviétique (1948) fit de lui le symbole de l’appartenance de Berlin au monde occidental et de la résistance efficace au communisme. Cependant, bien que réélu comme maire de Berlin en 1950 et en 1952, Reuter trouva en fait une opposition constante dans la direction du SPD. A Berlin même, il fut en conflit avec le secrétaire de la section berlinoise du parti, Franz Neumann, auquel il reprocha son indulgence à l’égard de la direction du parti, telle qu’elle fut assurée par Schumacher ; d’une part il pensait que le SPD devait s’ouvrir largement aux classes moyennes et devenir un « mou­vement populaire », d’autre part il était dans le domaine de la politique étrangère plus près d’Adenauer — que pourtant il n’aimait pas —# que de Schumacher sur la question de la réunification de l’Europe et l’attitude à adopter à l’égard des Alliés. Bien qu’il eût laissé à Willy Brandt un testament politique, sa mort survenue peu après l’insurrection de Berlin-Est, en septembre 1953, priva le SPD d’une intelli­gence de grande classe.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article216534, notice REUTER Ernst par Jacques Droz, version mise en ligne le 23 juin 2020, dernière modification le 2 novembre 2022.

Par Jacques Droz

ŒUVRE : Schriften, Reden, prés. par H.E. Hirschfeld et H. J. Reichhardt, 4 vol., 1972-1975.

SOURCES : W. Brandt, R. Löwenthal, Ernst Reuter. Ein Leben für die Freiheit, Munich, 1957. — H. Herzfeld, « Ernst Reuter und der Aufbau des freien Berlins von der Blockade bis zur Verfassungswirksamkeit 1948-1951 », in Berlin. Bd.3 : Ringen um Einheit und Wiederaufbau 1948-1951, Berlin, 1962. — H.J. Reichhardt, Ernst Reuter, Hanovre, 1965. — H.J. Altrichter, « Ernst Reuter », in Personlichkeit und Politik in der Bundesrepublik Deutschland, 2 vol., Göttingen, 1982. — H. Schwenger, E. Reuter ; ein Zivilist im kalten Krieg, Munich, Zurich, 1987. — F. Stern, « Ernst Reuter », in Rêves et illusions. Le drame de l’histoire allemande, Paris, 1989. — Osterroth, op. cit. —Rœder et Strauss, op. cit.

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