Par Claudie Weill
Né le 25 mars 1873 à Mayence, mort le 11 septembre 1958 à Crompound (États-Unis) ; propagandiste, dirigeant anarchiste, théoricien de l’anarcho-syndicalisme.
Orphelin à treize ans, Rudolf Rocker fut d’abord mousse pendant six mois avant d’entreprendre un apprentissage de relieur. Élevé dans l’atmosphère républicaine de Mayence, il devint social-démocrate sous l’influence de son parrain. En mai 1890, il fonda à Mayence avec des amis le club de lecture Freiheit. Il fut exclu du parti après le congrès de Halle, en septembre de la même année, pour ses prises de position en faveur des Jeunes. En août 1891, à l’issue de son apprentissage, son tour de compagnon l’amena à Bruxelles où il assista au congrès socialiste international et fit la connaissance d’anarchistes allemands dont Karl Höfer. En 1892, il publia son premier article dans Autonomie, revue anarchiste de Londres. Devant être arrêté à l’issue d’un meeting de chômeurs qu’il avait organisé à Mayence, il s’enfuit à Paris où il adhéra au groupe des Socialistes indépendants. En 1895, il arriva à Londres où il rencontra des Jeunes de Berlin en exil et où il fit la connaissance de Milly Witkop, sa compagne, qui l’introduisit dans les milieux anarchistes juifs, terrain principal de son activité jusqu’à la guerre. Son champ d’action fut international : avant de s’y installer en 1934, il effectua trois tournées aux États-Unis, en 1913 ; en 1927-1928 et en 1929-1930. Il assista au congrès de la IIe Internationale à Londres et donc au congrès anarchiste parallèle et participa, en 1907, au congrès de l’Internationale anarchiste dont il fut alors élu secrétaire avec Schapiro et Malatesta. A la déclaration de guerre, il s’opposa à son ami Kropotkine, favorable aux Alliés, et prit position contre la guerre : il restera un antimilitariste militant sur le plan international dans l’entre-deux-guerres. En décembre 1914, il fut arrêté comme « étranger dangereux » et échangé en mars 1918. Après un séjour en Hollande, il se rendit à Berlin à l’invitation de Fritz Kater et adhéra à la Freie Vereinigung deutscher Gewerkschaften syndicaliste révolutionnaire, qui devint sous son influence anarcho-syndicaliste. C’est lui qui rédigea le programme et la déclaration de principes de la FAUD (Freie Arbeiterunion Deutschlands), créée en septembre-décembre 1919. Il fut aussi par intermittence rédacteur de son organe Der Syndikalist ainsi que la cheville ouvrière des éditions du même nom au programme ambitieux : œuvres et biographies des pères fondateurs de l’anarchisme, série sur l’éducation sexuelle, poèmes, notamment de Mühsam dont il était l’ami dans les années vingt. Il organisa en outre une guilde du livre sur le modèle de celle de la social-démocratie. En février 1920, il fut emprisonné pendant trois semaines avec Fritz Kater, sur ordre de Noske, pour incitation à la grève.
Très vite déçu par la révolution bolchevique, il s’efforça de soustraire les anarcho-syndicalistes au contrôle de Moscou, surtout après la création du Profintern. En revanche, dans le prolongement de ses engagements d’avant-guerre, il fut l’un des organisateurs du congrès anarchiste international à Berlin (décembre 1921-janvier 1922) qui l’élut secrétaire général du Bureau international pour la préparation de l’AIT, créée un an plus tard : il en fut nommé secrétaire avec Schapiro et Augustin Souchy et le restait jusqu’au milieu des années trente.
Dès la fin des années vingt, il combattit vigoureusement le nazisme et plus particulièrement les sympathies des anarcho-syndicalistes pour sa branche populiste autour de Gregor Strasser. Mais cette lucidité ne l’incita pas pour autant à préparer sa propre émigration : il prit la fuite dans la nuit de l’incendie du Reichstag, passa parla Suisse, Saint-Tropez, Paris et l’Angleterre. Arrivé aux États-Unis, il effectua des tournées de conférences, rédigea ses ouvrages les plus importants dont Nationalism and Culture ou son introduction populaire à l’anarcho-syndicalisme, initialement confiée à Emma Goldman. Il collabora aussi au syndicat de l’Habillement féminin. Mais c’est en Amérique latine que son rayonnement fut le plus important. Lors du déclenchement de la Seconde Guerre mondiale, il fut, cette fois, favorable à l’entrée en guerre des États-Unis, attitude dictée par sa sensibilité à la question juive et par les informations dont il disposait sur les camps.
Après 1946, il fut l’inspirateur du mouvement anarchiste, réorganisé à partir de Darmstadt et Munich et publia régulièrement des articles dans son organe Die Freie Gesellschaft, même si la priorité qu’il accordait à la démocratie par rapport à la révolution le fît taxer de révisionniste. En 1937, il s’était installé à la colonie de Mohigan : c’est là qu’il mourut, quatre ans après Milly Witkop.
Par Claudie Weill
ŒUVRE : Johann Most. Das Leben eines Rebellen, 1924. — The Tragedy of Spain, 1937. — Nationalism and Culture, 1937. — Anarcho-syndicalism, 1938. — La segunda guerra mundial, 1943. — La influencia de las ideas absolutistas en elsocialismo, 1943. — Pioneers of American Freedom. Origin of liberal and radical thought in America, 1949. — En français : Les Anarchistes russes, les soviets et l’organisation (textes), 1973. — Anarchisme et organisation, 1985. — Les soviets trahis par les bolcheviks, 1998.
SOURCES ; R. Rocker, Aus den Memoiren eines deutschen Anarchisten, Francfort, 1974. — Biographisches Handbuch der deutschsprachigen Emigration nach 1933, Munich, New York, Paris, 1980. — P. Wienand, Der « geborene » Rebell. Rudolf Rocker. Leben und Werk, Berlin, 1981. — « Rudolf Rocker », in Itinéraires, no. 4, 1988. — Rœder et Strauss, op. cit.