RUGE Arnold

Par Jacques Droz

Né le 13 septembre 1802 à Bergen (Rügen), mort le 31 décembre 1888 à Brighton (Grande-Bretagne) ; théoricien de l’hégélianisme de gauche.

Fils d’un fermier, Arnold Ruge fît ses études secondaires au gymnase de Stralsund et ses études supérieures aux Universités de Halle, Iéna et Heidelberg. Mem­bre de la Burschenschaft et des organisations de jeunesse de Follen, il fut arrêté en 1824 et, après un an de détention pour enquête, fut condamné à quinze ans de for­teresse dont il en fit cinq à Kolberg. Professeur de lycée après sa libération, puis Privatdozent à l’Université de Halle, il se lia avec les milieux jeune-hégéliens et publia avec son ami Theodor Echtermeyer (1805-1844) les Hallische Jahrbücher fur Wissenschaft und Kunst (Annales de Halle pour la science et l’art), auxquels collaborèrent Strauss, Feuerbach et Bruno Bauer, mais dont le libéralisme radical ména­geait encore l’État prussien, incarnation de la Réforme et de la Raison et dont il at­tendait l’appui contre les principes du romantisme conservateur. Obligé de quitter Halle et installé à Dresde, il donna à sa revue, devenue les Hallische Jahrbücher de­puis 1841, un tour plus agressif, aboutissant de ce fait à l’athéisme et au républica­nisme, dont la synthèse lui paraissait réaliser l’humanisme de son maître Feuer­bach ; l’État prussien cessait d’y être ménagé. Dans les Anecdota qu’il publia en Suisse en 1843, il tenta, en renforçant la lutte contre la censure, de préserver et continuer la lutte que la Rheinische Zeitung avait menée contre les institutions ab­solutistes.
Devant les difficultés que lui faisait la censure, Ruge partit pour Paris où, dis­posant de l’appui de Fröbel, il mit sur pied avec Marx, dont il habitait rue Yaneau la même maison, les Deutsch-französische Jahrbücher (Annales franco-alle­mandes), élément d’une « alliance franco-allemande » qui, libérant la France de l’oppression religieuse et l’Allemagne de l’oppression politique, devait contribuer à l’émancipation totale de l’homme. Mais très rapidement apparut l’antagonisme qui séparait les deux hommes sur le plan social : alors que Ruge était demeuré, au contact de Moses Hess et des artisans allemands de Paris, fondamentalement hos­tile au socialisme et qu’il avait même écrit dans le Vorwärts que l’insurrection des tisserands de Silésie était un événement sporadique sans portée et qu’il ne fallait pas attendre de transformation sociale en Allemagne, de remède au paupérisme, tant que ce pays demeurait apolitique, Marx lui avait rétorqué que le prolétariat alle­mand avait montré à cette occasion une maturité remarquable. La revue n’avait pas résisté à la divergence et Ruge, après un séjour en Suisse, avait pu rejoindre Leipzig du fait de la modération de ses positions politiques.
Député au Parlement de Francfort, reprenant ses thèmes sur le rapprochement de l’Allemagne et de la France, il prit position pour la création d’une Société des na­tions européennes, pour le désarmement général, pour le rétablissement territorial de la Pologne et contre la guerre du Schleswig, destinée à ses yeux à rétablir la puis­sance militaire de la Prusse et l’écrasement de la révolution. Dans le journal Die Reform, qui parut à Berlin après avril 1848, il demeurait hostile aux idéologies so­cialistes à la mode : « Gêner l’industrie privée, créer des ateliers nationaux, cela si­gnifie opprimer la liberté de l’individu, négliger son initiative. » Marx, Proudhon et Hess demeuraient à ses yeux des « supports à la tyrannie ». La révolution était selon lui avant tout intellectuelle et religieuse : il s’agissait de libérer les esprits, avant de donner satisfaction aux aspirations matérielles : « Le primat des questions reli­gieuses est, écrivit-il, le propre de la révolution allemande. » Aussi voyait-il dans Berlin la ville où se trouvaient les éléments les plus éclairés, qui devait devenir le foyer de l’action révolutionnaire : thèse qu’il définit au cours du congrès démocra­tique d’octobre 1848 dont il fut la cheville ouvrière. Obligé par l’interdiction de Die Reform de quitter Berlin en septembre, il agit de Leipzig pour secourir Dresde en révolte contre l’autorité saxonne.
Réfugié à Londres après la révolution, il prit contact avec Mazzini pour la créa­tion d’un Comité démocratique européen. Établi à Brighton en 1850, il s’éloigna de la politique, consacrant son temps à la composition de ses mémoires, pour se rallier en fin de compte à l’Empire bismarckien, ce qui lui valut en 1877 « une pension d’honneur ».

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article216548, notice RUGE Arnold par Jacques Droz, version mise en ligne le 23 juin 2020, dernière modification le 14 mai 2020.

Par Jacques Droz

ŒUVRE : Gesammelte Schriften, 10 vol., 1846-1848. — Briefwechsel und Tagebuchblätter aus den Jahren 1825-1880, 2 vol., 1886. — Arnold Ruge. Aktenstücke zur Censur, Philosophie und Publicistik aus dem Jahre 1842, Teil I-III, éd. par A. Ruge, 1983.

SOURCES : A. Cornu, Karl Marx et Friedrich Engels. Leur vie et leur œuvre, 4 vol., Paris, 1955- 1970. — W. Neher, Arnold Ruge als Politiker und politlscher Schriftsteller. Ein Beitrag zur deutschen Geschichte des 19. Jahrhunderts, Heidelberg, 1933. — G. Mayer, Radikalismus, Sozialismus und Bürgerliche Demokratie, préf. de H.U. Wehler, Francfort, 1969. — H. Mah, The End of philosophy, the origin of « ideology » : Karl Marx and the Crisis of the Young Hegelians, Berke­ley, Londres, 1987. — G.B. Vaccaro, Il Concetto di democrazia in Arnold Ruge, Milan, 1987. — BLDG, op. cit.

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