Par Jacques Droz
Née le 19 novembre 1900 à Mayence, morte le 1er juin 1983 à Berlin-Est ; militante communiste, romancière antifasciste.
La jeune Netty Reiling, fille d’un juif orthodoxe auquel avait été confiée la conservation des œuvres d’art de la cathédrale de Mayence, vécut dans un milieu cultivé, libéral et antiprussien dont elle subit fortement l’influence. Elle fit des études de sinologie et d’histoire de l’art à Cologne et Heidelberg qu’elle abandonna après son mariage, en 1925, avec Lazlo Radvanyi pour pouvoir écrire. Elle publia à Berlin dans l’esprit de la « nouvelle objectivité » La Révolte des pêcheurs de Santa Barbara (1928) et la même année entra au Parti communiste auquel elle restera fidèle toute sa vie, ainsi qu’à l’Association des écrivains prolétariens-révolutionnaires dont elle retint les directives qui faisaient de la littérature une arme de propagande au service de la lutte des classes. Si elle subit l’influence de certaines littératures étrangères, ce qui explique la sévérité de la critique communiste à son égard, elle célébra dans les « âmes simples » les héros anonymes qui résistaient au fascisme.
Dans son exil en France où elle resta de 1933 à 1941, elle participa à la fondation du Schutzbund deutscher Schriftsteller (Ligue de défense des écrivains allemands, SDS) et à l’organisation de la Freiheitsbibliothek destinée à réunir les ouvrages détruits par l’autodafé à Berlin. Elle participa en 1935 au congrès pour la défense de la culture au cours duquel, dans une conférence sur la Vaterlandsliebe (l’amour de la patrie), elle se demanda si les écrivains progressistes n’avaient pas eu tort de faire fi du sentiment national. En 1937, elle se rendit à Madrid au second congrès pour la défense de la culture pour magnifier l’héroïsme des combattants républicains, orientation que l’on retrouve dans la seule œuvre théâtrale qu’elle ait écrite, La Passion de Jeanne d’Arc. Dans l’ensemble des ouvrages qu’elle consacra en France à l’antifascisme revint la question : comment le national-socialisme avait-il pu arriver au pouvoir dans un pays où la classe ouvrière était aussi mûre et aussi organisée ? C’est dans cet esprit qu’elle retraça la montée du nazisme dans Der Kopflohn (1933) où elle décrivit son ascendant dans un village allemand à la fin de 1932, dans Der Weg durch den Februar (1935) qui retraça la lutte contre Dollfuss, dans Die Rettung (1937), description du caractère délétère de la crise économique chez les mineurs du Borinage, dans Das siebte Kreuz (commencé en 1938) où l’allusion au vide de cette croix, après la répression des nazis, montrait que ceux- ci n’étaient pas tout-puissants et que leur système d’exploitation n’était pas sans faille. Collaboratrice à de nombreux journaux, Neue Deutsche Blätter, Internationale Literatur et Das Wort, elle intervint dans le débat sur le réalisme dans la littérature, reprochant à Lukacz sa conception trop étroite de l’œuvre d’art et revendiquant pour sa génération le droit à la subjectivité engagée : elle se démarqua ainsi de la littérature prolétarienne conçue comme propagande et agitation politique.
Une fois Paris tombé aux mains des Allemands, Anna Seghers se réfugia dans le midi de la France et après de nombreuses épreuves dont elle rendra compte dans son roman Transit — témoignage capital sur l’existence des émigrés allemands écrit en 1944—, elle put quitter Marseille en mai 1941 pour gagner par les Antilles Mexico où elle prit la présidence du club Heinrich Heine, puis du mouvement Freies Deutschland ainsi que de la maison d’édition El Libre libro. Malgré l’épreuve qu’elle subit pendant ce séjour — sa mère mourut à Auschwitz —, elle commença la rédaction de son roman Die Toten bleiben Jung, qui relatait l’évolution de l’Allemagne entre 1918 et 1945 à travers de nombreux personnages représentant toutes les couches sociales et manières de penser, et auquel l’on reprocha plus tard en RDA d’avoir fait une place trop belle aux « contre-révolutionnaires ».
Revenue en Allemagne, elle s’établit à Berlin en avril 1947, non sans avoir mesuré les inconvénients que présentait ce séjour pour son œuvre littéraire. Bien qu’elle fût affectée par la difficulté de s’exprimer pour l’ensemble des Allemands — elle eut l’occasion de le dire au congrès des écrivains allemands qui se tint en 1947, le dernier qui comptait des représentants des deux Allemagnes —, elle s’établit en zone soviétique et fit partie de la première délégation qui se rendit en URSS en 1948. Membre du SED, présidente depuis 1952 du congrès des écrivains, elle resta fidèle à ses convictions même après le soulèvement ouvrier du 17 juin 1953, dont elle justifia la répression dans son roman Das Vertrauen (1968), et après la construction du mur de Berlin. Bien que hostile au stalinisme et à tout dogmatisme en matière littéraire, ayant manifesté des réserves à l’égard du « réalisme socialiste » et qu’elle n’ait jamais présenté comme idyllique la vie en RDA, elle ne voulut jamais passer pour contestataire : elle se refusa à intervenir lors de la « conférence annuelle » des écrivains allemands en 1966 ; elle évita de prendre position pour Christa Wolf lorsque celle-ci fut menacée en 1969 et en 1976, elle lit acte d’obéissance dans l’affaire Biermann. Les compromissions auxquelles elle se prêta, contribuèrent aux yeux de beaucoup à ternir son image dans les dernières années de sa vie.
Par Jacques Droz
ŒUVRE : Gesammelte Werke in Einzelausgaben, 8 vol., 1951-1953 (édition de la RD A). — Über Kunstwerk und Wirklichkeit, 1970-1979. — Erzahlungen, 4 vol., 1981. — W. Herzfelde, Anna Seghers, Gewöhnliches und gefahrliches Leben. Correspondance 1939-1946, 1986. — En français : Ce bleu, exactement, 1977. — Les morts restent jeunes : roman, 1977. — Œuvres, 1977.— La Septième Croix, 1985.— Transit, 1986.
SOURCES : K. Batt, Anna Seghers. Versuch über Entwicklung und Werke, Francfort, 1973. — H. Neugebauer, Anna Seghers. Leben und Werk, Berlin, 1979.— Régula Maag, Den Faschismus überwinden : Darstellung und Deutung des Faschismus in Anna Seghers’ Romanen, Zurich, 1984. — Th. Aron, L’inscription de l‘histoire : à propos de « L’Excursion des jeunes Filles qui ne sont plus » d’Anna Seghers, Paris, 1984. — Rœder et Strauss, op. cit. — Durzak, op. cit. — Benz et Graml, op. cit. — C. Kolb, « Le grand écrivain communiste Anna Seghers 1900-1983. De la fidélité critique au silence », in Allemagne d’aujourd’hui, oct.-déc. 1983.