LAFOND Antonia, Marcelle, épouse BEAU puis GLEICHERT

Par Jean-Michel Steiner

Née le 29 juin 1914 à Saint-Étienne (Loire), morte le 25 août 2006 à La Tour-en-Jarez (Loire) ; institutrice dans la Loire ; résistante ; militante du SNI ; militante de la IVe Internationale et de la Libre Pensée

Antonia Lafond au milieu d’un contingent du groupe Ange.
Antonia Lafond au milieu d’un contingent du groupe Ange.

Fille de Pierre Lafond, 27 ans, employé des chemins de fer, et de Marie Peronnet, 27 ans, ménagère, avec son frère Antoine, né en 1912, et sa sœur, Gilberte, née en 1916, Antonia Lafond habitait alors 74 rue Neyron, dans le quartier de la gare et fréquentait l’école maternelle de la rue Ferdinand. À la fin de la guerre, la famille s’installa dans la plaine du Forez, d’où venaient les deux parents, à Savigneux puis à Moingt. Elle suivit les cours de l’école publique de Montbrison (octobre 1926-juillet 1931). Encouragée par sa mère à poursuivre ses études, elle réussit au brevet élémentaire le 26 juillet 1930 et intégra l’École normale d’institutrices de Saint-Étienne le 1er octobre 1931. Classée 25e à l’entrée, elle en sortit au 10e rang, ayant obtenu le brevet supérieur, le 7 juillet 1934.

Elle débuta sa carrière dans la commune montagnarde de Lérigneux (1er octobre 1934 - 30 septembre 1935) où elle obtint son certificat d’aptitude pédagogique (30 novembre 1934). Elle fut dénoncée en chaire par le curé de la paroisse pour avoir refusé de contribuer au denier du culte. Ce qui était un honneur selon elle. Mutée dans la commune rurale de Grézieux-le-Fromental (1er octobre 1935 – 30 septembre 1942), elle fut chargée d’une école à classe unique avec 46 élèves. Les inspections effectuées avant la guerre notèrent son engagement pédagogique.

À l’École normale, elle adhéra à la Libre Pensée et devint une militante laïque. "Laïque ! Antonia l’était par toutes ses fibres. C’était pour elle une chose qui allait de soi. Comment être institutrice si l’on n’est pas laïque ? Comment transmettre des connaissances, former la réflexion, jeter les bases de l’esprit critique, sans exercer ledit métier dans la situation d’indépendance que seule peut garantir la séparation des Églises et de l’État ?" (Pierre Roy).

Elle s’intéressa au mouvement coopératif, adhéra à la SFIO à la fin de 1935 pour la quitter très vite, déçue par la politique de non-intervention en Espagne. Elle s’engagea aussi syndicalement, prenant part à la grève du 30 novembre 1938, ce qui lui valut une suppression de 8 jours de traitement. En octobre 1941, le maire de Grézieux-le-Formental se déplaça jusqu’à Saint-Étienne pour exposer devant le secrétaire de l’Inspection Académique une série de "griefs" à l’encontre d’Antonia Lafond : "d’avoir eu une tenue déplacée pendant les discours du maire et du curé le 1er mai, d’être communiste et d’avoir un père communiste, d’avoir tenu aux enfants des propos tendant à établir que si le gouvernement de M Blum avait été maintenu le travail serait allégé et les loisirs augmentés, de n’être pas aimée de la population". À tout le moins, Antonia Lafond était lectrice des philosophes matérialistes, échangeant à ce propos avec l’Inspecteur d’Académie. Lorsqu’elle perquisitionna chez elle, la police découvrit un ouvrage de Plekhanov.

À la fin de l’année 1941, elle fut contactée par Louis Fouilleron, créateur dans la Loire du réseau du Coq Enchaîné lié à Buckmaster et à l’Intelligence Service. En internationaliste convaincue, radicalement hostile au régime nazi, elle entra dans la Résistance. Elle sollicita certaines mères de ses élèves pour choisir des zones de parachutages puis participa à diverses actions dans la plaine du Forez, dont en 1942 la réception de matériel parachuté par des avions britanniques à Mornand, près de Grézieux – le - Fromental. L’opération mal engagée tourna au fiasco et plusieurs membres du mouvement furent arrêtés. Emprisonnée, sur dénonciation, après le démantèlement du mouvement, Antonia Lafond fut radiée par l’administration de Vichy et mise en résidence surveillée, à ses frais, dans un hôtel de Pélussin, du 1er octobre 1942 au 10 avril 1943. Le tribunal militaire de Clermont-Ferrand qui instruisit son affaire ayant conclu à un non lieu le 2 décembre 1942, elle dut faire le siège de l’Inspection académique pour être finalement réintégrée. D’abord envoyée dans une école à classe unique dans la banlieue stéphanoise (Fontanès, 11 avril 1943 – 2 mai 1943), elle fut nommée en Haute-Loire à Saint-Haon (Escublac, 3 mai – 30 septembre 1943) puis à Beauzac (Les Bernauds, 1er octobre 1943 - 30 septembre 1944). Si "elle se heurta à l’hostilité militante d’un curé vichyste" (Pierre Roy), elle fut complimentée par son inspecteur pour son travail.

Après la Libération, elle rejoignit la IVe Internationale et fut suppléante de Gérard Bloch aux élections législatives de juin 1946 dans le Puy-de-Dôme. Revenue dans la plaine du Forez, elle exerça à Moingt du 1er octobre 1944 au 30 septembre 1946. Le 21 juillet 1946, dans une lettre envoyée à l’inspecteur d’Académie pour demander un congé pour convenance personnelle elle écrivit : "Depuis quelque temps le cadre de l’enseignement est trop étroit pour mes besoins personnels (…) et ma vie est rétrécie entre les quatre murs de l’école de Moingt". Pendant l’année 1946-1947, elle prit part à la rédaction d’un organe féministe lyonnais.

Ayant réintégré l’enseignement le 1er octobre 1947, elle fut d’abord détachée pour un an à l’Inspection Académique, puis nommée à l’école maternelle de Méons, quartier de mineurs et de métallurgistes de Saint-Étienne (1er octobre 1948 – 30 septembre 1955). Elle épousa, le 20 avril 1950, Henri Aimé Beau, né en 1907, professeur à l’école pratique de Rive-de-Gier, dont elle divorça le 12 octobre 1955 pour se remarier le 2 août 1956 avec Johann Friedrich Gleichert, technicien, accordeur de pianos, né en 1909 en Allemagne.

Membre du conseil syndical de la section départementale du Syndicat national des instituteurs et institutrices dans les premières années 1950, Antonia Lafond était élue sur la liste des « Amis de l’École émancipée ». Elle était membre titulaire de la CAP (L’Ecole syndicaliste de la Loire- ESL - n°32, février 1950). Elle polémiqua avec Marie Bory, membre du CF du PCF, à propos de la politique du PCF sur la question de l’Indochine (ESL, n°33, mars 1950). Elle était à nouveau titulaire - sous le nom d’Antonia Beau - de la CAP en 1951 (ESL, n°42, mars-avril 1951). En 1953, elle était suppléante à la CAP (ESL, n°57, février 1953). Antonia Lafond était attachée à la FEN, qui lors de la scission CGT/CGT-FO en 1947, avait préservé l’unité du syndicalisme enseignant. Déléguée au congrès national du SNI, le 19 juillet 1951, elle critiqua la majorité pour n’avoir pas pris contact avec les autres syndicats.

Après la grève générale d’août 1953, elle signa avec Janine Béal dans (ESLune tribune libre – "Il faut choisir" – critiquant la revendication d’une revalorisation de 10% : "Par discipline syndicale, là où nous avons tenu des réunions aux parents et Amis de l’École, nous avons défendu les 10%. Nous en étions gênés et n’étions peut-être pas les seuls ! ! Comme nous aurions été plus forts si nous avions eu à défendre une indemnité uniforme pour les secteurs publics et privés, à valoir sur la revalorisation générale des salaires ! (…) Nous pouvions entraîner avec enthousiasme tous les travailleurs des secteurs publics et privés dans une lutte d’ensemble".

En poste à l’école maternelle de la Métare, Antonia Lafond conduisit - avec Denise Barbier (école de filles de Sury le Comtal) et Jo Bras (école de filles de Saint-Étienne) - la liste École Émancipée pour les élections au Conseil syndical et au Bureau National en décembre 1955. Avec 22 voix pour 1 766 votants et 1 662 suffrages exprimés, elle n’obtint pas d’élu. Depuis 1953 des tensions avaient éclaté au sein de la tendance École émancipée et Antonia Lafond engagea une polémique avec Jean Duperray, récemment exclu, sur la vision du syndicalisme. Affaiblie, la tendance disparut du conseil syndical départemental. Candidate au bureau national en 10e position sur la liste « EE », non élue par le conseil national du 27 décembre 1951, elle fut à nouveau candidate en 12e rang en 1955 et en 1956.

Institutrice d’école maternelle reconnue, elle occupa plusieurs postes de directrice à Saint-Étienne dans les dernières années de sa carrière : à l’école maternelle de la Métare (1er octobre 1955 – 17 septembre 1964) ; à l’école maternelle d’application de la Richelandière (18 septembre 1964 – 16 septembre 1965), à l’école maternelle du Soleil (17 septembre 1965 – 14 mars 1968). Adepte enthousiaste de la pédagogie Freinet elle fut une maîtresse d’application appréciée de ses stagiaires.

Nommée Chevalier des palmes académiques en 1966, elle fut admise à la retraite en septembre 1968. Elle milita jusqu’à la fin de sa vie dans Comité d’organisation pour la reconstruction de la IVe Internationale (CORQI) puis au Parti des travailleurs. Toujours active dans le syndicat des instituteurs, elle tint pendant les années 1970 et 1980, dans L’École syndicaliste de la Loire, une "Chronique de la répression" traitant des questions internationales (Pologne, Irlande, Afrique du sud, Nouvelle Calédonie). Critiquant la transformation du syndicat en SNI-pegc, elle rejoignit le SNUDI - Force ouvrière à la fin des années 1980.

En hommage à son parcours, le groupe Forez de la Libre Pensée a pris le nom de "Groupe Antonia Lafond-Gleichert".

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article216958, notice LAFOND Antonia, Marcelle, épouse BEAU puis GLEICHERT par Jean-Michel Steiner, version mise en ligne le 13 juin 2019, dernière modification le 30 août 2022.

Par Jean-Michel Steiner

Antonia Lafond au milieu d'un contingent du groupe Ange.
Antonia Lafond au milieu d’un contingent du groupe Ange.

ŒUVRE : Antonia Lafond-Gleichert, Parcours d’une militante de la laïcité à l’internationalisme. Avec quelques mises au point à propos de la Résistance, Publication du courant communiste international du Parti des Travailleurs (Fédération de la Loire). APIO, Saint-Étienne, 1993, 59 p. — Tribune Libre "Il faut choisir !", École syndicaliste de la Loire, n°54, décembre 1953.

SOURCES : Arch. Dép. Loire : 1132W36, Dossiers personnels enseignants, VT 182 39, PV de l’examen du CAP (1920-1939, PER 199 (École Syndicaliste de la Loire), 9W5 et 10 (registres d’instituteurs de l’arrondissement de Montbrison (1941 et 1942)). — Arch. Mun. Saint-Étienne : 5C62-14 (Bulletin départemental de l’enseignement primaire1950, n°4), 2E157 (registre des naissances de janvier à juin 1914), 1F37 (recensement canton Nord-Est 1911), 1F63 (recensement canton Nord-Est 1954), 7C11 545 (La Tribune - Le Progrès 26 août 2006, avis de décès). — État civil de Saint-Étienne : actes de mariage n° 000340/1950 et 000701/1956. — Pierre ROY, Hommage rendu à Antonia Lafond-Gleichert - La Tour en Jarez - mardi 29 août 2006. — Témoignages de Michelle Destour, Stéphane Batigne et Pierre Roy —Notes de Jacques Girault. — GENTGEN René, La Résistance civile dans la Loire, Editions Lyonnaises d’art et d’histoire, 1996, 206 p., GOUTTE Benjamin, « Le Coq enchaîné ». Un mouvement de résistance (1941-1943), Mémoire de maîtrise, Université de Saint-Étienne, dir. Jacqueline Bayon, 1998, OLIVE Jean-Christophe, Étude de « Newsagent-Ange », un réseau de la Résistance mis en place par le S.O.E. britannique, Mémoire de maîtrise, Université de Saint-Étienne, dir Jean Merley, 1995.

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