FORTIER Émile [FORTIER Robert, Louis, Émile, Édouard]

Par Gilles Morin, Vincent Pradeau-Soulat

Né le 16 août 1906 à Charenton-le-Pont (Seine), mort le 22 mai 1945 à Courbevoie (Seine) ; instituteur ; militant syndicaliste de la Seine ; cadre du MSR et du RNP durant l’Occupation.

Fils d’un contrôleur civil devenu consul de France à Sousse (Tunisie) au début des années 1930, Émile Fortier avait probablement vécu en Afrique du Nord, en Tunisie. Il était du recrutement de Tunis et a été mobilisé avec la classe 1926, affecté au 22e SCOMA pour 18 mois. Par ailleurs, son bulletin d’adhésion au RNP précisait qu’il parlait l’arabe et l’italien.

Émile Fortier devint instituteur public le 15 janvier 1930. Contrairement à la majorité de ses collègues instituteurs, il n’avait pas suivi le cursus honorum des écoles normales d’instituteurs : en effet, il était titulaire d’une licence de droit.
Il épousa le 8 août 1931 à Paris (XIe) la fille d’une veuve couturière. Le couple eut un enfant.

Après avoir habité à Champigny-sur-Seine, il résidait à Paris, 41 rue de Bercy (XIIe) depuis 1938 et exerçait à l’école 4 rue du Pommard (XIIe) en 1939. Il s’y était illustré en écrivant pendant ses heures de cours des articles pour L’Action française, ce qui lui avait valu une mesure disciplinaire de la part du directeur de son école. Son engagement politique et syndical était fortement lié à son activité d’enseignant, puisqu’il aurait collaboré à L’Ecole française, et qu’il affirmait avoir été secrétaire, sans indiquer le niveau, du Syndicat national des instituteurs avant la guerre. Deux engagements qui, s’ils participaient d’une implication au sein d’organisations d’enseignants, relevaient d’organisations très différentes. Avec le Cercle Fustel de Coulanges, créée en 1935 par l’historien Serge Jeanneret, L’Ecole française était, dans les années 1930, une organisation qui se battait pour le retour des thèmes nationaux et du patriotisme à l’école primaire.

En outre, Émile Fortier avait fondé et présidait l’association « Mouvement Jeune instituteur et parents de France », enregistrée à la Préfecture de police, le 29 novembre 1935. Celle-ci avait pour objet selon ses statuts de « stimuler l’éducation civique et nationale, ainsi que l’instruction populaire, d’établir des liens entre les éducateurs et les familles, de participer à tous travaux et manifestations en France et à l’étranger, susceptible de servir la cause qu’elle entend défendre ».
Mobilisé en septembre 1939, il fut démobilisé comme caporal le 30 juillet 1940 à Sénéac (Hautes-Pyrénées), avec l’appui de Pierre Cathala.

Pendant l’Occupation, Fortier prit part à de nombreuses organisations. Ce multi-engagement fit alors de Fortier une figure de premier plan au carrefour du vichysme, du collaborationnisme et du monde enseignant. Après sa démobilisation, il accéda rapidement à des postes à responsabilité au sein du régime de Vichy. Comme pour d’autres enseignants, il trouva dans la volonté du régime de s’appuyer sur des enseignants partageant sa conception un moyen d’ascension rapide.

Aussi Émile Fortier devint-il délégué de la Commission corporative de l’enseignement public, qui groupait des anciens dirigeants d’associations professionnelles de l’enseignement public, constituées après l’interdiction de la CGT et des syndicats de fonctionnaires. Il était impliqué dans diverses organisations d’enseignants nouvelles : l’Association professionnelle unique des membres de l’enseignement primaire élémentaire, dont il fut élu secrétaire général le 22 novembre 1940. Il obtint à plusieurs reprises en octobre- novembre 1940 l’autorisation de faire des conférences ou de tenir des travaux de la Commission corporative de l’enseignement public. Ces réunions se déroulaient 39 rue d’Amsterdam, dans un local mis à sa disposition par Pierre Cathala, bras droit de Laval, alors secrétaire général des PTT. Une vingtaine de membres y assistaient régulièrement. Dans sa lettre de demande d’autorisation, il prévoyait la venue d’une vingtaine de professeurs et d’instituteurs, pour cette réunion consistant en des « travaux corporatifs et pédagogiques d’enseignement ».

Le 13 mars 1941 Émile Fortier adhéra au Rassemblement national populaire fondé le mois précédent. Il tint la rubrique enseignement dans le journal de ce parti collaborationniste, Le Rassemblement national, à partir du n° 11 (24 août 1941). Il figurait parmi les orateurs du parti. Le journal du Parti populaire français, Le Cri du Peuple (12 et 20 décembre 1940 et 3 janvier 1941), lui consacra différents articles le qualifiant de "traître", "Caméléon" et l’accusant d’être Franc-Maçon. Un écho ironisait sur le rassemblement « sous le signe du triangle, du goupillon et du sécateur ».

Fortier quitta le RNP à la suite de la scission de la fin de l’année, pour rejoindre le Mouvement social révolutionnaire (MSR) dirigé par Eugène Deloncle. Il appartint aux comités techniques du MSR et intervint au 1er congrès de l’Union de l’enseignement du MSR en décembre 1942. Il écrivit encore dans l’hebdomadaire du MSR Révolution nationale.

Le 9 juillet 1942, Émile Fortier fonda la Confédération générale de l’Éducation qui obtint l’autorisation de fonctionner des autorités allemandes le 25 mars 1943 ; il en était secrétaire. Il fut nommé chargé de mission au musée pédagogique en mars 1942. Collaborant également à La Gerbe, il fit des conférences sous l’égide de ce journal, sur les grandes figures coloniales française.

Il intervint à plusieurs occasions dans l’émission de Radio-Paris « La Rose des Vents », sur des sujets pédagogiques. Fortier écrivit encore dans d’autres journaux collaborationnistes, comme Aujourd’hui, La France au Travail, Le Pilori (18 novembre 1940), notamment sur « les Francs-maçons à l’École ou la nouvelle paperasse »). En 1943, il se rendit à une conférence internationale à Weimar durant deux semaines.

Robert Fortier, arrêté par les FFI à la Libération, le 14 septembre 1944 à Savigny-sur-Orge, fut interné à Noisy-le-Sec. Le conseil supérieur d’enquête, sur rapport d’Eugène Cossard, proposa sa révocation sans pension et l’interdiction à vie d’enseigner. Un arrêté du ministère de l’Éducation nationale entérina cette demande, complétée par la suspension des droits de vote par la 1ère chambre civique le 17 avril 1945.

Émile Fortier mourut accidentellement à la gare de Bécon-les-Bruyères-Courbevoie. Son dossier fut classé par la Cour de Justice le 22 juin 1945.

La trajectoire de Fortier demeurait exceptionnelle en raison de la place qu’il avait prise au sein de la nébuleuse collaborationniste, position pour le moins inenvisageable pour un instituteur – nous ne pouvons ici parler d’un simple instituteur, tant la trajectoire de Fortier semble refléter une volonté de se distinguer, en même temps qu’il pointait une hyperactivité militante.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article216962, notice FORTIER Émile [FORTIER Robert, Louis, Émile, Édouard] par Gilles Morin, Vincent Pradeau-Soulat, version mise en ligne le 13 juin 2019, dernière modification le 1er août 2021.

Par Gilles Morin, Vincent Pradeau-Soulat

SOURCES : Arch. Nat., AJ 16 7138, compte-rendu du CSE (19 janvier 1945). — APP, 1W0782/31899 ; 77W1465/22540 ; BA 1954 ; 77W1552. — Catherine Valenti, « L’Action française et le Cercle Fustel de Coulanges à l’école de l’Antiquité (première moitié du xxe siècle) », Anabases, n°4, 2006, p. 49-64. — Vincent Pradeau-Soula, Les hussards bruns de la République. Les instituteurs collaborateurs, de l’Occupation à l’Épuration 1940-1951, Master 1, 
Histoire des sociétés occidentales contemporaines, École normale supérieure Paris-Saclay Université Paris I. – Panthéon Sorbonne, 2018. — Notes de Jacques Girault.

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