Par Pierre Broué
Né le 7 mai 1887 à Wain (Wurtemberg), mort le 27 mars 1970 à Berlin-Est ; dirigeant communiste et syndical, oppositionnel.
Né dans un village du Wurtemberg, Jacob Walcher apprit le métier de tourneur et travailla dans la métallurgie. Il adhéra en 1906 au Deutscher Metallarbeiterverband (DMV), au Parti social-démocrate et à son organisation de jeunesse, devint permanent puis reporter. En 1910-1911, il suivit les cours de l’École centrale du parti où il fut l’élève de Rosa Luxemburg à qui il resta lié. Journaliste en 1911 à la Schwäbische Tagwacht, il appartint à la gauche qu’inspiraient à Stuttgart Clara Zetkin et Friedrich Westmeyer. Après le 4 août 1914, il fut parmi les responsables qui manifestèrent leur désaccord avec le vote des crédits de guerre. Le 21 septembre, il participa à la réunion organisée à Stuttgart par Westmeyer au cours de laquelle Karl Liebknecht, révélant le contenu des débats du mois d’août, prit ouvertement position contre la direction et sa politique de guerre. Licencié en novembre avec Edwin Hörnle en raison de ses positions politiques, il publia en liaison avec le groupe Internationale un organe d’opposition, Der Sozialdemokrat qui parut deux fois par semaine à Stuttgart.
Il s’établit ensuite à Berlin, militant au sein du noyau dirigeant du groupe Spartakus jusqu’au 10 novembre. A la demande de Rosa Luxemburg, il revint à Stuttgart où il fut élu au Comité exécutif du conseil d’ouvriers et de soldats. Délégué au congrès de fondation du KPD(S), il en fut président avec Wilhelm Pieck et réussit à entraîner dans le nouveau parti la moitié des membres de l’organisation locale de l’USPD. Il eut en particulier une grande influence sur les ouvriers métallurgistes et occupa une position solide dans leur syndicat.
Élu à la Centrale du KPD(S) au IIe congrès du KPD lors de la reprise en mains par Paul Levi, il prit la direction du travail dans les syndicats. Partisan de la constitution d’un « gouvernement ouvrier » au lendemain du putsch de Kapp, il fut délégué au IIe congrès de l’IC à Moscou, Secrétaire du Comité central après le départ de Levi en février 1921, il fut l’un des principaux collaborateurs et hommes de confiance de Brandler jusqu’à leur élimination de la direction en 1924. Délégué à Moscou pour un plénum élargi de l’IC, il rendit visite avec Enderle à Trotsky qui était en vacances en Crimée, sur la demande de celui-ci et l’informa sur la situation allemande.
Poursuivi en Allemagne pour son activité pendant la préparation de l’insurrection de 1923, il resta en 1924 à Moscou où en janvier, il négocia avec l’exécutif au nom de la « droite » et travailla jusqu’en 1926 à la direction de l’Internationale syndicale rouge. Revenu en Allemagne en 1927, travaillant au département syndical du Comité central, il demeura l’un des porte-parole de l’opposition « de droite » ou « brandlérienne », notamment lors de la crise déclenchée au Comité central par l’affaire Wittorf. Sa protestation contre la défense de Thälmann par l’exécutif de l’IC fut l’occasion de son exclusion du KPD le 14 décembre 1928.
Cofondateur et dirigeant de l’organisation de l’opposition de droite (KPO) à partir de 1928, soutenu par Paul Frölich, il entra bientôt en conflit avec la direction de Brandler et Thalheimer à qui il reprocha leur refus de poser les problèmes de la politique de l’URSS et de l’Internationale communiste. Il anima désormais une minorité qu’il amena en 1932 à entrer dans le Parti social-démocrate de gauche (SAP) qu’il rallia avec huit cents militants, avec l’objectif proclamé de le gagner au communisme. Il prit le contrôle du SAP quand celui-ci entra dans la clandestinité au moment de l’arrivée au pouvoir de Hitler.
Émigré en France en mars 1933 après un bref passage en Tchécoslovaquie, convaincu de la faillite historique de l’Internationale communiste et de ses partis à travers la catastrophe allemande, il rendit visite à Trotsky dans son exil de Saint-Palais et participa à la rédaction, au mois d’août, de la « déclaration des Quatre » pour une nouvelle Internationale, se prononçant en même temps pour la fusion du SAP avec les IKD, partisans allemands de Trotsky. Mais il ne fît pas un second pas dans la voie de la IVe Internationale : fine partageait pas l’hostilité de Trotsky au Parti ouvrier norvégien de Tranmael (DNA) et critiquait vigoureusement le rôle personnel, selon lui excessif, de Trotsky dans l’opposition internationale.
Devenu en 1935 l’un des principaux points d’appui du Bureau de Londres, il vit dans le VIIe congrès de l’Internationale communiste une réorientation positive ; sous son influence, le SAP participa en 1936 à la fondation du Front populaire allemand en émigration. Interné en France au début de la guerre, Walcher obtint en 1941 un visa pour les États-Unis où il fut actif dans le Council for a Democratic Germany. Revenu en Allemagne dans la zone d’occupation soviétique en 1946, il y rejoignit le KPD, fut membre du SED et dirigea à Berlin-Est le journal des syndicats Tribüne. Mais sa situation devait changer brusquement en 1949, comme celle des autres anciens opposants : durement attaqué, dénoncé publiquement comme un membre de la « clique Brandler », exclu du parti, chassé de son travail, il vécut de nouvelles années difficiles au cours desquelles il pouvait redouter le pire. Il fut réintégré dans le SED en tant que vétéran du syndicat en 1956 et honoré ultérieurement par plusieurs décorations. Il avait fait retirer de l’institut d’histoire de Norvège sa correspondance avec L. Trotsky dont un double se trouvait heureusement à Harvard.
Par Pierre Broué
ŒUVRE : Ford oder Marx : Die praktische Lösung der sozialen Frage, 1925.
SOURCES : Angress, Stillborn, op. cit. — Broué, Révolution, op. cit. — Drechsler, SAPD, op. cit. — Langkau-Alex, Volksfront, op. cit. — Rœder et Strauss, op, cit. — Tjaden, KPD-O, op. cit. — Weber, Wandlung, op. cit. — P. Broué, Trotsky, Paris, 1989.