WEHNER Herbert

Par Pierre Broué

Né le 11 juillet 1906 à Dresde, mort le 19 janvier 1990 à Hambourg (ou Bonn ?) . Dirigeant communiste, puis socialiste.

Fils d’un cordonnier social-démocrate, Herbert Wehner dut interrompre prématurément ses études alors qu’il se destinait à l’enseignement, son père étant mo­bilisé et sa mère gravement malade. Il entra comme employé dans l’industrie et fut notamment calculateur à la firme Zeiss-Ikon. A partir de 1923, il milita avec différents groupes anarchistes, éditant en 1925 le périodique Revolutionäre Täte. Il se lia à cette époque avec l’anarchiste allemand Erich Mühsam, héros de la révolution bavaroise de 1918-1919 et récemment amnistié d’une longue peine de prison. Il collabora avec lui dans la publication de la revue Fanal.
En 1927, tournant le dos à son jeune passé anarchiste, il entra dans le KPD et fit dans son appareil une ascension particulièrement rapide. Après avoir occupé des fonctions de responsabilité dans le Secours ouvrier et la RGO, il devint permanent du KPD en tant qu’adjoint du secrétaire politique du parti en Saxe. Élu député au Landtag de Prusse à vingt-quatre ans en 1930, il y fit son apprentissage parlementaire : remarqué pour ses qualités d’organisateur, il fut appelé en 1931 à la Centrale du parti, devenant la même année secrétaire technique du Bureau politique, une fonction discrète qui le tenait à l’écart de toute publicité mais aussi une fonction réelle de pouvoir dans le KPD, alors qu’il n’avait encore que vingt-cinq ans.
Il fut l’un des rares responsables clandestins demeurés en Allemagne après l’arrivée de Hitler au pouvoir en janvier 1933 à échapper aux mailles du filet nazi. Il suivit pas à pas le démantèlement de la direction du KPD par la répression et les arrestations successives qui paralysèrent complètement ce parti à la suite de l’in­cendie du Reichstag ; celles-ci révélèrent la fragilité de nombre de ses responsables et l’infiltration importante de la police et des nazis. C’est Wehner qui réorganisa le parti dans la clandestinité et — agissant en accord avec Wilhelm Pieck et Ulbricht, les hommes de confiance de Moscou en Allemagne —, traqua les débris des oppositions d’appareil qui s’étaient manifestées au cours des mois précédents notamment autour de Neumann/Remmele et de Schubert et ses camarades.
Il vint en France en 1934, après avoir passé clandestinement, à ski, la frontière germano-tchécoslovaque et s’être trouvé en Suisse sans passeport : c’est la lutte fractionnelle qui motiva ce périlleux voyage. Il vint demander l’appui des diri­geants de l’« émigration » contre ce qu’il appelait « les empiétements » de Schu­bert et de ses camarades sur la sphère de compétence de l’organisation clandestine en Allemagne. C’est à l’occasion de ce séjour qu’il fut chargé de mettre en pratique la nouvelle politique décidée par l’Internationale communiste devant le référen­dum sarrois : le mot d’ordre d’un Front de la liberté avec notamment le Parti social-démocrate allemand, à l’opposé de la politique des années précédentes de dénon­ciation du « social-fascisme ».
Après un séjour en Tchécoslovaquie, il alla à Moscou en 1935 et suivit les cours de l’École Lénine. Il participa également aux préparatifs du VIIe congrès de l’Internationale communiste ainsi qu’au congrès dit « de Bruxelles » qui l’élut à la direc­tion. En 1936, il était de nouveau en France sous le nom de Kurt Funk, menant pour le KPD les négociations au sujet de la constitution du Front populaire allemand.
Lorsqu’il revint à Moscou en 1937, l’Union soviétique était à l’heure des pro­cès de Moscou et de la sanglante purge stalinienne qui n’épargna pas — tout au contraire — les communistes étrangers : il a laissé dans ses mémoires une descrip­tion saisissante de l’ambiance de mort qui régnait à l’hôtel Lux où logeaient ces der­niers. Responsable du travail en direction de l’Allemagne sous la direction d’Ercoli (P. Togliatti), Wehner vit disparaître ses camarades les uns après les autres, et mas­sivement à partir du pacte Hitler-Staline. Il fut lui-même impliqué dans une enquête qui dura une année et subit plusieurs longs interrogatoires de nuit, à partir de décem­bre 1937, dans le local central de la NKVD à la Lubianka. L’un des rares Allemands réfugiés à avoir échappé finalement à la grande purge, il fut affecté en 1940 comme journaliste à la radio, tout en continuant à travailler à la reconstitution du KPD en Allemagne que l’Internationale communiste pensait pouvoir réaliser sous une forme légale dans le cadre du pacte germano-soviétique. C’est pour cela qu’il fut envoyé à Stockholm en janvier 1941, à travers l’Estonie ; il reprit immédiatement contact avec les éléments de l’appareil restés en place.
Il entra en conflit au cours de ce travail avec le groupe d’envoyés de l’IC dirigé par Karl Mewis et « les Russes » de l’ambassade en Suède. La police suédoise l’arrêta le 17 février 1942 ; il fut inculpé d’espionnage en faveur d’un pays étranger. Moscou le dénonça comme « saboteur » et il fut exclu du KPD par sa direction de Moscou. Condamné à un an de prison en avril 1942 puis, en appel, à deux ans en novembre 1942, il fut libéré à l’expiration de sa peine purgée dans plusieurs prisons et fut interné au camp de Smedsbo (Dalarna). A l’été 1944, il recouvra sa liberté, tra­vaillant d’abord aux archives d’Uppsala, puis comme ouvrier du textile à Boras. A cette date, sa femme Lotte et ses enfants l’avaient rejoint. Il tenta de reprendre contact avec Moscou et de se faire blanchir en invoquant les « provocations » de Mewis et autres. Il semble que ces dernières démarches eussent marqué aussi la fin de ses liens avec le mouvement communiste.
A la fin de la guerre, il revint en Allemagne de l’Ouest, rejoignit le SPD et de­vint journaliste à l’un des meilleurs journaux de l’époque, le Hamburger Echo. Il retrouva de vieux camarades passés au SPD qu’il rejoignit peu après son retour. La rencontre avec le dirigeant du parti Kurt Schumacher fut décisive : à partir de l’été 1948, Herbert Wehner fit partie du cercle étroit des conseillers et collaborateurs de l’intraitable socialiste. Une seconde carrière politique commença alors pour lui. Malgré les attaques haineuses de gens de droite qui voyaient en lui et ne cesseront de voir, l’ancien agent du Komintern, l’ancien condamné pour espionnage en Suède, il se fit une place importante dans la vie politique de son pays à l’Ouest et, dans un premier temps, par son intransigeance à l’égard des socialistes ralliés à l’Union soviétique à l’Est, et du SED qui prétendait à l’héritage du SPD.
D’abord meilleur lieutenant de Schumacher, devenu lentement mais sûrement l’un des dirigeants officiels du parti sous la direction d’Ollenhauer, Herbert Wehner joua dans son parti comme dans la vie politique allemande un rôle capital jusqu’à sa retraite en 1973. L’ancien homme de l’ombre était devenu un homme politique public. Il n’avait pas pour autant perdu le goût et l’aptitude au gouverne­ment dans l’appareil et par lui. Il fut le patron du SPD reconstitué, l’homme dont Konrad Adenauer dit qu’il était « un des meilleurs administrateurs de parti (Parteimanager) » qu’il eût jamais connu.
Élu député au Bundestag en 1949, il fut président du groupe parlementaire SPD de cette assemblée de 1949 à 1966 et ne quitta cette fonction que pour devenir en 1966 et jusqu’en 1969 ministre des « Questions allemandes ». Il entra au Vorstand (exécutif) du parti en 1949, fut élu vice-président en 1958 et le resta jusqu’en 1973. Brillant second au temps de Schumacher, il devint ensuite le véritable inspirateur de la politique social-démocrate et, dans une large mesure, de la politique alle­mande en général. Adversaire résolu de l’ancienne ligne d’alliance avec le Parti li­béral qu’il jugeait peu sûre, il se convainquit que son parti ne deviendrait le premier parti d’Allemagne qu’après une alliance avec le CDU/CSU. Il fut ainsi le principal promoteur de la politique de « Grande Coalition » qui allait ramener son parti au pouvoir en 1966 et faire de lui un ministre dans le gouvernement du chancelier Kiesinger. C’est dans la même perspective qu’il faut comprendre ses efforts pour l’adoption d’un nouveau programme du parti, moins « socialiste » que démocrati­que, moins « ouvrier » que populaire, lors du congrès de Godesberg.
L’homme qui revendiqua en 1950 des élections libres et générales, au scrutin secret, égal et direct à un parlement panallemand, déclara au Bundestag en 1960 : « Le SPD part de l’idée que le système d’alliances européen et atlantique, auquel la République fédérale adhère, constitue la base et le cadre de toute action en politique extérieure, de toute action pour la réunification. »
Critique et volontiers polémique à l’égard du SED, il fut également dans une très large mesure l’inspirateur de la politique « de l’Est », du contact et des accords avec la RDA. Il fut l’un des inspirateurs de la nouvelle politique de l’Est de Willy Brandt et l’un des premiers à avoir utilisé dans ce but ses vieilles relations dans la RDA, à commencer par Erich Honecker.
La parution des souvenirs de son passé au KPD, la publication de témoignages à l’occasion de son 70e anniversaire n’ont pas totalement éclairé la personnalité voire le rôle de Herbert Wehner, qui demeurent encore sujets à querelle d’interpré­tation.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article217147, notice WEHNER Herbert par Pierre Broué, version mise en ligne le 23 juin 2020, dernière modification le 2 novembre 2022.

Par Pierre Broué

ŒUVRE : Zeugnis. Personliche Notizen 1929-1942, éd. par G. Jahn, 1982. — Frühe Reden : eine Dokumentation seines Wirkens im Sächsischen Landtag, éd. par R. Floehr, 1984.

SOURCES : Th. Pirker, Die SPD nach Hitler. Die Geschichte der Sozialdemokratischen Partei Deutschlands 1945-1964, Munich, 1965. — G. Jahn (éd.), Herbert Wehner, Beiträge zu einer Biographie, Cologne, 1976. — Langkau, Volksfront, op. cit. — Rœder et Strauss, op. cit.

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